Quelqu’un m’a reproché hier la tonalité plutôt sombre de la dramatique divine, si présente à la Semaine sainte. Mais comment échapper à la dimension rédemptrice du Salut et à la Croix du Seigneur ? C’était l’obsession de Blaise Pascal, reprenant saint Paul : que la Croix ne soit pas évacuée ! Pourtant, on aurait tort d’en déduire que le christianisme est la religion de la tristesse. Nous savons que la Grande Semaine débouche sur la résurrection du Seigneur, et que celle-ci constitue la victoire définitive sur le mal et sur la mort. C’est pourquoi le même Paul en conjure les fidèles de sa chère ville de Philippe : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur. Je le dis encore, réjouissez-vous. » Mais il faut prendre dans son ensemble, dans son économie totale, le mouvement qui conduit à la sortie du tombeau et à l’apparition du Ressuscité. Il n’y a résurrection que parce qu’il y a eu traversée de la mort et descente aux enfers. La grande mystique Adrienne von Speyr a pu inspirer ainsi au père Balthasar une puissante méditation théologique sur le Samedi saint.
Il y a une force symphonique inégalable, dont on perçoit la beauté et la grandeur si l’on saisit la logique totale qui s’identifie au dessein de Dieu sur l’humanité. La mort de Jésus sur la croix ne nous importe pas d’abord par ce qu’il y a enduré des souffrances inouïes. Ces mêmes souffrances de la chair, tous les suppliciés de l’Antiquité les ont endurées jusqu’à l’inimaginable. La souffrance de Jésus est d’une nature singulière parce qu’elle est rédemptrice. Saint Paul va jusqu’à dire que le Christ s’est fait péché pour nous, afin de faire mourir le péché avec lui sur la Croix. De même, la résurrection ne saurait être comprise sur le mode d’une sorte de prouesse, propre à nous épater. Pascal a le mot juste en parlant de « résurrection cachée », car le Ressuscité ne se montre pas dans une sorte de spectacle, qui surpasserait tous les spectacles. Il se montre aux siens avec une sorte de discrétion, qui sollicite la foi, ce que le père Rousselot appelait « les yeux de la foi », seuls sensibles à la réalité du nouveau Royaume qui s’établit. C’est une autre dimension de l’être-homme qui s’affirme au-delà de la mort (Joseph Ratzinger). Une autre dimension que le Ressuscité nous transmet à tous, et qui confère à l’espérance chrétienne un horizon sans commune mesure.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 1er avril 2015.