« Les beautés sublimes » de W.B. Yeats – lettre d’amour posthume en quelque sorte, à certains personnages immenses qui ont donné forme à la vie du poète – se termine par une nostalgie mélancolique pour « tous les Olympiens, que nous ne verrons plus jamais. » Avec ces huit mots, le barde fait apparaître une constante qui hante notre existence : la conscience que certaines vies humaines sont tellement colossales et riches que la terre entière est appauvrie par leur disparition.
Kate O’Beirne, qui est morte cette semaine et dont les funérailles étaient hier à la Cathédrale Saint Thomas More du diocèse d’Arlington, était justement un de ces visiteurs en provenance du Panthéon. Elle était une présence féminine médiatique massive, de façon variée, comme éditrice à Washington de la Revue Nationale ; secrétaire adjointe dans l’administration Reagan ; présence conservatrice intimidante dans le spectacle sur CNN « Capital Gang » ; auteur d’une chronique populaire nommée « du pain et des jeux », également pour la Revue Nationale ; Vice-présidente de la Fondation pour l’héritage ; et présidente de l’Institut de la Revue Nationale.
Et tout ceci n’était que des boulots de jour. Elle avait épousé James O Beirne, officier dans l’armée américaine dont la carrière, elle aussi, ne pourrait être résumée brièvement ; elle était la mère de Philip O’Beirne et de John O’Beirne, idem. Rien de ce qui la concernait n’était banal ; tout était exceptionnel.
Pour commencer, il y avait sa présence physique frappante – son port de reine, son ravissant visage dont il fallait faire le portrait, son sens exubérant de la mode qui faisait que la rencontrer était une petite aventure dans l’élégance. Tout ceci, bien qu’inoubliable, n’était pourtant que des symboles extérieurs et matériels de ce qu’il y avait en elle d’immatériel et d’extraordinaire.
Epouse et mère, elle était aussi mentor pour des centaines de personnes, et une sœur pour un nombre incalculable d’autres, particulièrement dans le clergé. Elle fut une fille de Rome, joyeuse et impénitente, pendant les années où les pénitences et les lamentations étaient à l’ordre du jour. Kate aimait l’Eglise, et l’Eglise aimait Kate. Sa conviction que la foi était la vérité, faisait que chacun de ses « bons mots » s’appuyaient sur une base solide.
L’irrévérence au service de la révérence : comme aurait pu l’expliquer Chesterton, le paradoxe qu’était le travail de Kate dans le monde n’était en fait pas du tout un paradoxe. La multiplication des hommages depuis sa mort en sont l’illustration, y compris celui provenant de son ancienne maison : La Revue nationale. La dame pouvait aussi être une fripouille. Elle se délectait de remettre à leur place ses nombreux amis dans la vie religieuse – aussi bien que dans la vie quotidienne, et avec grand succès ; Kate pouvait faire rire les cardinaux au milieu de l’église.
Parmi les histoires drôles que l’on raconte sur elle, il y en a une qui a fait son chemin au cours de l’homélie du père Paul Scalia à son enterrement. Comme l’expliquait son collègue Ramesh Ponnuru, « l’année dernière, en quittant le petit déjeuner de la Prière Nationale Catholique – une de ses dernières sorties publiques – elle a vu un prêtre qu’elle appréciait particulièrement donner un pourboire à un portier, du moins est-ce ce qu’elle a cru. Elle lui a doucement fait remarquer : ‘Père, vous avez fait vœu de pauvreté, mais pas lui.’ »
De telles histoires expliquent pourquoi on fait un tel cas de la fougue de Kate dans les hommages qui se déversent depuis sa mort la semaine dernière. Même ainsi, l’énergie était le moindre de ses talents : Kate n’était pas seulement manieuse de mots, elle avait une intelligence de tout premier ordre. Elle pouvait réfléchir plus vite que les autres mortels, et elle pouvait couper la parole d’une boutade, avec une malice qui était presque surnaturelle. Si Shakespeare avait permis que Tatiana se sauve avec Puck, Kate en aurait été le résultat.
L’éblouissement que provoque la Gestalt de Kate risque d’obscurcir sa rigueur en tant que Verstand. Pour ne citer qu’un seul exemple, son livre, les femmes qui rendent le monde pire, publié il y a une douzaine d’années, ne se contente pas de prévoir des failles sismiques courantes. On pourrait tout aussi bien le republier « verbatim » aujourd’hui, tant il est prémonitoire dans son analyse, et conforme au naufrage culturel qui est encore beaucoup plus visible maintenant qu’il ne l’était il y a douze ans.
Regardons le début du chapitre quatre : « Nous parents de garçons, nous avons permis gentiment à des militants du genre de traiter nos fils comme des co-conspirateurs non-inculpés dans l’histoire des crimes du genre, tandis que les parents des filles autorisent leurs filles à se faire patronner comme victimes impuissantes d’une préférence sexuelle fantomatique et handicapante dans les écoles d’Amérique. Rarement sinon jamais on n’a capté en une seule phrase les multiples illusions concernant le genre et le sexe qui sévissent à notre époque.
Contrairement à la plupart de ceux qui pleurent maintenant la perte de cette grande Kate, je n’ai fait sa connaissance qu’à la fin de sa vie. Mais le fait que je sois arrivée tard dans son entourage ne l’a pas empêchée de me traiter (comme quelque milliers d’autres), comme si on nous avait séparées artificiellement à notre naissance, et que nous avions énormément de temps et de réjouissances à rattraper. Il y a un an, avec sa meilleure amie Ann Corkery, Kate et son mari Jim ont organisé une de leurs nombreuses soirées fameuses à la maison O’Beirne, et ceci à l’occasion de la sortie de mon dernier livre.
Il s’est avéré que c’était son dernier numéro vedette face à un public nombreux. Des mois de souffrance ont suivi, que la plupart de ses nombreux amis ont ignorés, et une foule de centaines d’entre eux l’entouraient pour la dernière fois hier à ses funérailles.
Le partenariat Cokery-O’Beirne était célèbre pour avoir présidé chaque été un voyage très frappant pour un groupe de journalistes. En souvenir de l’excursion de 2015, il y a une photo que j’ai prise de Kate sur le toit du palais Apostolique. Elle est appuyée contre une corniche en marbre, vêtue avec élégance d’un pantalon bleu, d’un chemisier rayé aux tons de bijoux, de nombreux bracelets aux poignets, et de lunettes de soleil griffées à monture corail. Elle a plus l’air d’un mannequin qui répond à une annonce pour la Dolce Vita, qu’à une consigliere qui était en pleine conférence avec des membres de la Curie, quelques-uns des principaux journalistes de Rome, et un ou deux archevêques – et tout ceci avant le déjeuner.
Derrière elle sur la photo, il y a un ciel romain couleur de bluet ; Au-dessous, au pied du cadre, des statues de saints sur la colonnade de la place Saint Pierre montent la garde. Suspendue pendant une seconde entre ciel et terre, Kate semble radieuse et détendue, s’émerveillant de ce qui est au-dessus et au-dessous d’elle, à la fois dans ce monde et hors de ce monde.
Et c’est ainsi qu’il faut se souvenir d’elle. Finalement, et paix à Yeats, c’est notre conviction que nous la reverrons, cette fille de l’Olympe.
29 Avril 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/29/the-glamour-of-good-kate-obeirne/
Photo : Peggy Noonan, Mme O’Beirne, p. Roger Landry et Elizabeth Lev à Rome.