L’essai que Pierre Manent vient de faire paraître chez Desclée de Brouwer sous le titre Situation de la France suscite un débat, qui fort heureusement, n’est pas empoisonné par le climat polémique, qui d’ordinaire, gâche les nécessaires controverses. C’est qu’il donne d’abord à réfléchir plutôt qu’à alimenter les humeurs. S’il y a désaccords, ceux-ci s’expriment sous le mode de la disputatio chère à la tradition médiévale. Par exemple, Pascal Bruckner dans Le Point exprime un avis, par rapport auquel je m’inscris en faux, mais il est motivé. Selon lui, Pierre Manent nous assènerait « une grande leçon de défaitisme » face au triomphe du fanatisme islamique.
Je n’ai rien lu de tel cet été, en lisant par deux fois cet ouvrage court mais d’une densité extrême, qui entend exposer, de fait, la question de l’islam aujourd’hui, principalement sous l’angle de la cohabitation d’une forte communauté musulmane dans notre pays. Certes, Manent montre que l’affaire est considérable et qu’elle ne se résoudra pas grâce à la laïcité, qui s’avère inopérante, car elle voudrait contraindre à l’invisibilité un phénomène qui n’est pas soluble en termes d’individualisme moderne. « L’islam, écrit-il, reste la règle évidente et obligatoire des mœurs » et nous avons à nous confronter à des modes de vie qui ne nous sont pas agréables. C’est donc à un modus vivendi que nous sommes contraints, qui suppose concessions et interdits ; ces derniers concernant le voile intégral, la polygamie et la dépendance financière des mosquées aux puissances étrangères.
Bien sûr, le politique doit s’affirmer sur ce terrain, mais en étroite connivence avec la société. Et de ce point de vue, il accorde une importance singulière au rôle que peut jouer l’Église catholique, qu’il définit comme « la seule force spirituelle engagée dans une démarche qui prend en compte d’une manière délibérée et pour ainsi dire thématique les revendications et les vues des autres ». Pierre Manent confirme ainsi une intuition que j’ai en tête depuis longtemps et que je ne puis que signaler aujourd’hui. On ne règle pas une difficulté de nature religieuse en ignorant délibérément sa spécificité. Manent écrit encore que « la laïcité ne donne qu’une représentation abstraite et fort pauvre de la vie commune, tout simplement parce qu’on n’habite pas une séparation ». Et voilà trop vite évoquée une réflexion qu’il faudra reprendre.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 30 septembre 2015.