L’eau du rocher - France Catholique
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La justice de Dieu
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L’eau du rocher

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Il y a un certain temps, oh, disons 3300 ans, Moïse se pencha du haut du mont Nebo en Jordanie – comme je l’ai fait il y a quelques jours – et il promena son regard sur la Terre Promise. Paul VI, Jean Paul II et Benoît XVI ont voulu aussi se rendre à cet endroit. Parce que de cette position dominante, le panorama de l’histoire religieuse qui a suivi, une histoire que nous gardons en mémoire, s’étend de tous côtés : de la Mer Morte au sud à la Mer de Galilée au nord, avec Jéricho au centre (une ville qui au temps de Moïse avait déjà 8000 ans), et un peu au-delà, Jérusalem.

Pauvre Moïse. Il affronta Pharaon, maintint rassemblés (plus ou moins) dans le désert pendant quarante ans les Israélites à la nuque raide, et même descendit du Sinaï avec les Dix Commandements. Mais il fut interdit d’aller plus loin. Il mourut et fut enseveli dans un lieu inconnu sur le Mont Nebo.
Tout cela à cause d’un léger manque de foi – les rebbe érudits ne sont pas d’accord sur ce que c’était exactement – dans la manière dont il suivit les instructions de Dieu pour tirer de l’eau du rocher (Nb 20 18-20). Une mise en garde pour nous tous, hommes de peu de foi.

C’est seulement dans le désert qu’on se rend vraiment compte combien l’eau est essentielle pour la vie. Et pour des choses fondamentales que vous ne voyez pas quand vous croyez que l’eau est simplement quelque chose qui sort d’un robinet.

Nous sommes partie argile (terre + eau) – et partie esprit insufflé dans l’argile par l’Esprit. Mais même avant qu’on en vienne là, sans eau, la terre est stérile, pierre dure ou sable mouvant. Cette terre peut être belle, très belle vraiment, comme les successions de montagnes et de vallées désolées au nord du mont Nebo. Mais c’est un paysage inhumain, lunaire qui conduit les gens à regarder ailleurs vers quelque chose que nous sentons à l’intérieur de nous-mêmes, quelque chose qui est davantage comme nous.

Au pied du Mont Nebo, sur une plaine encore fertile où poussent diverses cultures, dont beaucoup existaient sous cette forme dans les temps bibliques, se trouve Béthanie-au-delà-du-Jourdain, le lieu où Jean Baptiste baptisa Jésus (Jn 1 28). Nous allons commémorer dans quelques jours la naissance de Jésus, mais nous savons peu de choses sur sa vie après cela (exception notable : ses discussions avec les docteurs au Temple) jusqu’à ce qu’il vienne se faire baptiser par Jean dans le Jourdain. Les quatre Evangiles sont d’accord : c’est après cette initiation par l’eau et par l’Esprit que Notre Seigneur commença les trois années de sa « vie publique », trois années dont c’est le moins qu’on puisse dire qu’elles ont changé l’histoire de l’humanité.
Tous les évangélistes (sauf Jean) disent aussi qu’il alla au désert pendant quarante jours – résumant le voyage du Peuple Elu – et qu’il y fut tenté par le Diable avec les objets habituels : ce que j’appellerais simples satisfactions physiques, présomption spirituelle (tenter Dieu), pouvoir politique. Quelque chose qui ressemble à nos actuels matérialismes, « spiritualité » et salut par la politique. Jésus ne succomba à aucune d’elles. Il les surmonta sans, comme nous le savons trop bien en voyant le monde autour de nous, les éliminer entièrement.

Et tout cela se passait près de Jabel Mar Elias (« à deux portées de flèche du fleuve » selon un ancien pèlerin), la colline où Elie, après avoir lui-même divisé les eaux du Jourdain, comme Moïse pendant l’Exode, fut emporté dans le ciel par un char de feu.

Tout coule, comme l’a dit le philosophe grec Héraclite. Même le cours du Jourdain a changé, comme le feront les fleuves à méandres, sur des millénaires. Il a maintenant peut-être dix mètres de large, alors qu’il était dix fois plus large autrefois selon les archéologues.

Mais certaines choses – de beaucoup les choses les plus importantes – ne passent pas. En fait elles introduisent quelque chose de nouveau, indépendamment même des processus géologiques. Les grandes civilisations de la Méditerranée orientale ont émergé tout près des fleuves : la Mésopotamie (littéralement le pays entre les deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate), et les rubans verts le long du Jourdain et du Nil. C’est de ces fragiles bandes de vie que quelques-uns des courants les plus importants de l’histoire humaine ont coulé, et continuent de le faire.

Le multiculturalisme prétend que toutes les « cultures » sont égales, en théorie ; en pratique il n’en est pas ainsi. Rien de comparable aux trois grandes religions du Moyen Orient – judaïsme, christianisme, islam – n’est sorti de l’Afrique ou des Amériques ou même de l’Europe. L’hindouisme et sa ramification, le bouddhisme, a eu une profonde emprise sur une vaste population du sous-continent indien, et sur quelques autres lieux. Admirable, comme le zen, au Japon. Minime ailleurs. Le confucianisme et le taoïsme ont eu une influence durable, quoiqu’inégale, en Chine.

Mais le grand flot spirituel, celui où les courants variés se sont rencontrés et mêlés dans les plaines au-delà du Jourdain, ne ressemble à rien d’autre.
C’est encore pourtant une région très contestée, bien sûr, aujourd’hui plus qu’à toute autre époque. Jusqu’à la trêve de 1990 entre Israël et la Jordanie, la région autour du lieu du baptême de Jésus était littéralement un champ de mines. Aujourd’hui on y célèbre à nouveau des baptêmes, mais le Jordanien qui visite le site est soigneusement enregistré – le reste est encore une zone militaire sous contrôle. Du côté israélien, quelques mètres plus loin, on célèbre des baptêmes de l’Eglise orthodoxe éthiopienne – présidés par des militaires israéliens lourdement armés et trois drapeaux : Etat d’Israël, Tsahal et patrouilles de la frontière.

Le Prince de la paix est venu dans le monde et a commencé son action dans ce pays. Mais nous avons sa parole : «  Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix dans le monde. Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (Mt 10 34) Nous ne devrions pas être surpris que nos divisions durent jusqu’à ce qu’Il revienne.

Nous employons beaucoup d’images pour suggérer la dimension multiple de cette action salvatrice : le Rocher, la Voie immuable, la Vérité et la Vie – de celui dont le côté laissa couler le sang et l’eau salvateurs.

Lundi 21 décembre 2015

Source : Water from the Rock