Hier, on apprenait que le pape François travaillait sur un document pour régulariser les procédures de traitement des allégations d’abus sexuels ou de négligences dans le traitement des cas d’abus sexuels. Que ce nouveau document modifie ou pas le motu proprio que le Saint-Père a émis le 26 juin dernier sous le titre Come una madre amorevole (Comme une mère aimante), n’est pas clair.
Le précédent document souligne et clarifie les « motifs graves » pour lesquels un évêque peut être démis de la charge ecclésiastique, en particulier pour ce qui concerne la négligence dans le traitement des abus sur mineurs. Il stipule qu’un évêque peut être démis pour négligence « même sans faute morale grave de sa part ». Le document demande un « Collège de juristes » – un ensemble de canonistes – pour aider le Saint Père à déterminer s’il faut, et comment, confirmer les conclusions du Tribunal Apostolique qui juge réellement le cas canonique.
Prenons l’exemple de l’archevêque Anthony Apuron à Guam. Apuron a été reconnu coupable de « délits contre le Sixième Commandement » avec des mineurs. Son appel a échoué, et le Tribunal apostolique de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avec l’approbation et l’autorité du Saint-Père, a rendu une sentence finale qui fut annoncée la semaine dernière : Apuron a été démis de sa charge d’archevêque, a reçu l’interdiction de porter les insignes de son rang d’évêque et d’habiter dans l’archidiocèse d’Agaña. On remarque que – à la différence du cas de Theodore McCarrick -, Apuron n’a pas été renvoyé de l’état clérical.
Il n’apparaît pas immédiatement clair pourquoi un évêque accusé d’avoir abusé de mineurs (Apuron) est autorisé à rester dans l’état clérical, tandis qu’un autre (Theodore McCarrick) est ramené à l’état laïc. À plusieurs égards, les cas sont similaires – tous deux sont impliqués dans des abus sur mineurs – mais McCarrick a également été trouvé coupable de sollicitations dans le confessionnal, ce qui constitue une faute grave en soi. Crimes différents : sentences différentes.
Mais les différences ne se résument pas en une sorte de ligne directrice pontificale de détermination de la peine. Le pape François a résisté à un mécanisme à taille unique pour traiter du problème des évêques, selon une approche qui, au moins en théorie, permet aux remèdes d’être adaptés pour convenir à l’offense particulière, mais permet également d’être adaptés aux exigences culturelles, sociales et politiques particulières de chaque cas. Le Collège des Juristes établi dans Come una madre amorevole l’aide à faire cela, et le Pape peut choisir différents juristes pour des cas différents.
En fait, le pape François a décrit le processus, et comment il trouve que ça l’aide, lors d’une conférence de presse l’été dernier, à son retour de Dublin – une conférence de presse dont on se souvient surtout pour sa réponse mémorable aux questions sur le testament tout juste publié de Viganò. Le pape François avait utilisé comme exemple le cas Apuron, qui était en cours d’appel :
« Le dernier [cas] est celui de Guam, de l’archevêque de Guam, qui a fait appel. Et j’ai décidé – car il s’agit d’un cas très difficile – d’user du privilège que j’ai de prendre l’appel moi-même et de ne pas le transmettre au conseil d’appel qui agit pour tous les prêtres. Je l’ai pris sur moi. Et j’ai constitué une commission de canonistes qui m’aident, et ils m’ont dit que, lorsque je reviendrai, après un mois au maximum, une recommandation serait émise de manière que je puisse rendre un jugement. D’une côté, c’est une affaire compliquée, mais pas difficile parce que l’évidence est claire. Je ne peux pas préjuger, j’attends le rapport puis je jugerai. Je dis que l’évidence est claire parce que c’est cette évidence qui a conduit le premier tribunal à prononcer une condamnation. »
Il y a des avantages et des inconvénients à ce genre de procès. D’un côté, il peut-être adapté sur-mesure aux besoins du cas considéré, comme on l’a déjà vu. Mais il y a aussi un véritable revers. En prenant la responsabilité personnelle de réunir l’équipe de juristes sur l’avis desquels il va s’appuyer pour un cas donné, le pape François se rend lui-même personnellement responsable de l’issue des affaires et sur la manière dont le traitement de chacune est perçu par les fidèles.
L’impartialité de la loi n’est pas la même chose que l’étreinte d’une mère aimante, selon un point que le pape tient à souligner. Mais il y a aussi une très bonne raison pour laquelle on n’autorise généralement pas les mères à présider les procès criminels de leurs fils. Dit plus brutalement : une des raisons pour laquelle l’Église se retrouve dans cette crise est sûrement que trop d’évêques ont montré trop de déférence paternelle envers leurs prêtres capricieux, et pas assez de jugement désintéressé sur les crimes odieux en question. Ce ne fut pas toujours – ou peut-être même pas souvent – le résultat de mauvaises intentions ou de malice. Il est facile de voir comment ce pourrait être le résultat précisément du contraire.
On ne doit pas mettre en question le jugement du Pape (celui-ci ou n’importe quel autre) pour réaliser les dangers inhérents à des procès judiciaires si personnalisés.
Cela n’est pas non plus une préoccupation abstraite. Le pape François a fait une terrible erreur, pour laquelle il a présenté ses excuses, en défendant l’évêque Juan Barros au Chili jusqu’au point de dénoncer les accusateurs de Barros.
Et puis il y a le cas de l’évêque Gustavo Zanchetta, l’un des premiers nommés par le pape François. Zanchetta a été retiré de son diocèse en Argentine après diverses plaintes – y compris des plaintes selon lesquelles de la pornographie gay fut trouvée sur le téléphone de Zanchetta – et amené à Rome par François. Le pape peut voir ça comme le fait de ramener un fils rebelle à la maison, où il pourra être sous la surveillance plus étroite d’un père qui l’aime.
D’autres voient cela, disons, différemment.
Le pape François a raison de se méfier des « remèdes » juridiques et bureaucratiques pour ce qui est fondamentalement une crise spirituelle et morale. Mais compte tenu de tout ce que l’on sait sur la manière dont des méfaits presbytéraux et épiscopaux ont été traités – ou plutôt, maltraités – dans les dernières décennies, il est raisonnable de se demander si l’approche très personnelle, ad hoc même, du pape François vis-à-vis d’évêques égarés est le modèle le plus prudent pour l’Église aujourd’hui. L’avenir le dira.
(11 avril 2019)
Le pape François et l’archevêque Apuron au Vatican (février 2018)
Stephen P. White est membre des Études Catholiques au Centre de politique publique et d’éthique de Washington.