La prostituée de Jéricho [Rahab] et les deux espions (James Tissot, 1836-1902).
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Deux éminents philosophes catholiques, Christopher Tollefsen et Christopher Kaczor, ont publié sur le site Public Discourse des essais sur l’aspect moral de la tactique du groupe « Pro-Vie » Live Action. Deux autres philosophes catholiques, Robert P. George et Joseph Bottum ont aussi apporté leur contribution.
L’association Live Action a récemment diffusé un clip video mettant en scène deux de ses membres se faisant passer pour une prostituée et son protecteur lors d’une visite à une clinique « Planned Parenthood » (NDT : aux U.S.A., Planning Familial). À l’instar d’une opération policière « coup de poing », Live Action a enregistré l’entretien sans autorisation. On voit les soi-disant « mac » et « prostituée » de Live Action poser nombre de questions au responsable « Planned Parenthood » l’incitant à commettre ou à cacher plusieurs délits.
Selon Tollefsen ce procédé, même s’il révèle un méfait, est mauvais en soi car fondé sur le mensonge, et mentir est toujours mal. Par contre, Kaczor estime que toutes les contre-vérités ne sont pas immorales, et donc que toutes les contre-vérités intentionnelles ne sont pas, à proprement parler, des mensonges. Hormis le bien-fondé de la démarche de « Live Action », il me semble que Tollefsen et Kaczor ont tous deux raison si on affine le raisonnement: mentir, c’est proférer intentionnellement une contre-vérité permanente, alors que l’expression intentionnelle d’une contre-vérité n’est pas nécessairement un mensonge, de même qu’un meurtre résulte de l’intention injustifiée de tuer, alors que tuer intentionnellement peut ne pas être un meurtre (par exemple exécuter un condamné, ou tuer un adversaire dans une juste guerre).
Deux exemples tirés des écritures éclairent ce propos.
Saint Paul écrit (Hébreux, 11:25): «Par la foi, Rahab la prostituée ne périt pas avec les incrédules, parce qu’elle avait accueilli pacifiquement les éclaireurs.» L’épitre de Saint Jacques (2:25) nous enseigne: «Rahab, la prostituée, n’est-ce pas par les œuvres qu’elle fut justifiée, quand elle reçut les messagers et les fit partir par un autre chemin ?» Elle a bien proféré intentionnellement une contre-vérité. Voici l’histoire, telle que rapportée dans le Livre de Josué (2:17):
Josué, fils de Nûn, envoya secrètement de Shittim deux hommes pour espionner, en disant : « Allez, examinez le pays et Jéricho. » Ils y allèrent, se rendirent à la maison d’une prostituée nommée Rahab et ils y couchèrent. On dit au roi de Jéricho: « Voici que des hommes sont venus ici cette nuit, des Israélites, pour explorer le pays.» Alors le roi de Jéricho envoya dire à Rahab:«Fais sortir les hommes venus chez toi — qui sont descendus dans ta maison — car c’est pour explorer tout le pays qu’ils sont venus.» Mais la femme prit les deux hommes et les cacha. « C’est vrai, dit-elle, ces hommes sont venus chez moi, mais je ne savais pas d’où ils étaient. Lorsqu’à la nuit tombante on allait fermer la porte de la ville, ces hommes sont sortis et je ne sais pas où ils sont allés. Mettez-vous vite à leur poursuite et vous les rejoindrez.» Or elle les avait fait monter sur la terrasse et les avait cachés sous des tiges de lin qu’elle y avait déposées. Les gens les poursuivirent dans la direction du Jourdain, vers les gués, et l’on ferma la porte dès que furent sortis ceux qui étaient à leur poursuite.
Le second exemple nous cite les sages-femmes des Hébreux proférant une contre-vérité au Pharaon afin de sauver les nouveaux-nés Hébreux (Ex. 1:15-21):
Le roi d’Égypte dit aux accoucheuses des femmes des Hébreux, dont l’une s’appelait Shiphra et l’autre Pua : « Quand vous accoucherez les femmes des Hébreux regardez les deux pierres. Si c’est un fils, faites-le mourir, si c’est une fille, laissez-la vivre.» Mais les accoucheuses craignirent Dieu, elles ne firent pas ce que leur avait dit le roi d’Égypte et laissèrent vivre les garçons. « Le roi d’Égypte les appela et leur dit : « Pourquoi avez-vous agi de la sorte et laissé vivre les garçons ? » Elles répondirent à Pharaon : « Les femmes des Hébreux ne sont pas comme les Égyptiennes, elles sont vigoureuses. Avant que l’accoucheuse n’arrive auprès d’elles, elles se sont délivrées.» Dieu favorisa les accoucheuses; quant au peuple, il devint très nombreux et très puissant. Comme les accoucheuses avaient craint Dieu, il leur accorda une postérité.
Ainsi les sages-femmes furent bénies de Dieu pour ce qu’elles avaient fait. C’était précisément proférer une contre-vérité pour épargner des innocents.
Que la démarche de « Live Action » soit justifiée ou non est une autre question. On serait en droit de demander si « Live Action » a agi selon la morale en usant de tromperie pour induire les employés de » Planned Parenthood » à commettre le péché. Mais ceci est une autre question à traiter par ailleurs. Néanmoins l’expression intentionnelle d’une contre-vérité n’est pas en soi un motif de condamnation morale de toute l’action entreprise.
Francis J. Beckwith enseigne la philosophie et les relations Église-État à l’Université Baylor. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont Defending Life: A Moral and Legal Case Against Abortion Choice (La défense de la vie: une cause morale et légale contre le choix de l’avortement).
NDT: le texte français des citations bibliques n’est pas traduit de cet article américain; il est directement issu de « La Bible de Jérusalem ».