Le grand art sacré manifeste la vérité, et la personne même de Jésus par les diverses manières dont il digère, incorpore, et représente les éléments de l’Ecriture. Cela se forme au cœur de l’artiste par un processus soutenu de lectio divina (lecture méditée de la Bible) de prière, et d’immersion dans la liturgie (Sainte Eucharistie et office divin). L’artiste sacré partage avec nous, à travers les particularités de son travail, les fruits de sa contemplation.
L’un des plus grands prédicateurs par le pinceau est le Tintoret (1519 – 1594). Pour la fête d’aujourd’hui – jeudi de l’Ascension (reporté à la célébration du dimanche dans une grande partie de l’Amérique) – cela vaut la peine d’explorer sa peinture de L’Ascension du Christ (dans la Scuola grande de San Rocco à Venise), œuvre qui nous entraîne, à travers une symphonie d’allusions bibliques, à contempler la plénitude du mystère pascal.
Une vérité souvent ignorée à propos de l’art, c’est qu’une bonne peinture, comme la liturgie et comme la spiritualité chrétienne dans son ensemble, est une expérience physique. On ne la regarde pas seulement de l’extérieur; si nous savons l’apprécier convenablement, nous y pénétrons. Beaucoup de peintures sont destinées à être abordées à partir du bas, près d’un des coins. Dans le cas présent, nous sommes introduits dans la scène par l’apôtre qui, au premier plan, tient un grand livre ouvert ; il est évident qu’il vient de consulter les écritures.
La torsion de son corps, son visage tourné, et la suite alternée de plans et de volumes passant de l’ombre à la lumière, (depuis le livre jusqu’à son genou, vers l’autre jambe, et vers la rivière) tout oriente notre regard vers un désert où les apôtres ont erré et sont maintenant assemblés. En compagnie de l’apôtre du premier plan, nous devons regarder cette scène dans la perspective de quelqu’un qui lit un livre.
Les écrivains du Nouveau Testament, et le Christ lui-même, développent chaque évènement dans les termes de l’histoire du salut qui débute dans les Ecritures des hébreux, sans lesquelles nous ne pourrions pas comprendre les actes du Christ. L’évènement clé de l’Ancien Testament est l’Exode, le départ du peuple juif de l’Egypte où il était captif, et son voyage jusqu’à la terre promise.
Les apôtres sur la toile du Tintoret, rappellent les douze tribus d’Israël errant dans le désert. Ils sont arrivés au bord d’un fleuve. Au-dessus d’eux, le Christ s’élève et, en même temps, traverse le fleuve, de droite à gauche.
Cette représentation, avec la torsion du corps du Christ tandis qu’il s’élève, apporte un écho puissant au récit, dans le Livre des Rois, du « transitus » du prophète Elie. Elie a traversé le Jourdain en séparant les eaux, comme l’a fait Moïse quand il a guidé les Israélites hors d’Egypte, et comme l’a fait Josué en les menant à la Terre Promise. Ensuite Elie a été emporté dans une tornade. Ici, Jésus, le Seigneur, accomplit ce qu’il avait lui-même présagé à travers Moïse, et à travers Josué, son homonyme, délivrant Son peuple de ses entraves et le guidant vers le Paradis.
En contraste avec le paysage plutôt désertique du bas, tandis que le Christ s’élève, Il est environné d’une explosion de verdure de la Terre Promise, branches de palmier et de laurier portées par des anges, emblèmes de sa Passion victorieuse. Saint Luc appelle les souffrances et la mort de Jésus un « exode », et la riche peinture du Tintoret nous ouvre le sens de ce mot spécifique et inspiré.
L’ascension du Christ accomplit son propre « exode ». Mais aussi, l’implication est claire : Là où il va, nous devons le suivre. Il est le « premier fruit », et en lui, notre nature, corps compris, est saisie. L’ascension du Christ que nous voyons ici est entièrement corporelle.
De façon surprenante, le Christ du Tintoret est à genoux tandis qu’il traverse le Jourdain. Ce trait inhabituel nous induit une autre leçon. L’exode entier du Christ s’accomplit en obéissance au Père – c’est pourquoi ses souffrances et sa mort nous ont sauvés. Il a toujours et en tout, été totalement obéissant envers le Père. Même au cours de sa merveilleuse Ascension, Il demeure dans une posture d’obéissance. Et nous aussi devons suivre le Christ et nous efforcer d’obéir à Dieu complètement, même au prix de nos vies. Tôt ou tard, nous passerons tous de l’autre côté.
De plus, nous, chrétiens sommes toujours venus de ce côté du rivage et sommes morts et ressuscités dans le baptême ; nous sommes déjà de l’autre côté avec le Christ dans Son Royaume, puisque nous sommes en Lui, et qu’Il est là-bas.
Et pourtant, nous sommes encore en chemin dans le désert. Les apôtres de la peinture nous montrent ce que nous pouvons faire pour recevoir des forces sur le chemin : joindre nos mains ou les croiser sur nos poitrines dans la prière ; tomber à genoux devant la grille du sanctuaire (dont une version rustique apparaît ici même, au désert) ; participer au sacrement dans lequel le Christ demeure corporellement avec nous, même si Son Corps est aussi au ciel. Et méditer continuellement les Saintes Ecritures car c’est en elles que l’on trouve le Christ et qu’il nous parle.
25 mai 2017