Aujourd’hui, fête de l’Ascension, il est permis de laisser provisoirement de côté l’actualité politique, pour s’interroger sur le mystère chrétien. On oublie peut-être un peu trop que l’Église n’a d’existence qu’à nous le révéler, le mettre en évidence et nous faire réfléchir à la lumière qu’il projette sur notre existence personnelle et collective. Je sais bien que la crise institutionnelle, cruellement ressentie depuis des mois n’a guère favorisé ce regard sur l’essentiel. Et pourtant, la crise elle-même devrait nous inciter à ce recentrement. Je ne sais pas si mon expérience personnelle rend compte de toute la réalité, mais je constate qu’autour de moi il n’y a guère d’intérêt pour les discussions sur la crise elle-même. Celles-ci seraient plutôt réservées à de cercles d’initiés. Non que les maux et les scandales dont les médias parlent abondamment n’atteignent pas les consciences des catholiques, mais ce qu’ils demandent à l’Église n’est pas prioritairement de disserter sur ses structures. C’est de faire comprendre à quel point seul l’amour de Dieu, tel qu’il s’est manifesté dans le Christ, est digne de foi.
Ce disant, je parodie Urs von Balthasar, un théologien de haute volée, mais dont l’enseignement de fond est directement accessible à qui se donne la peine de l’écouter : « Le motif de crédibilité, celui qui rend vraiment le christianisme “digne de foi”, c’est l’amour divin lui-même s’attestant dans les paroles, la vie et la mort du Christ. » L’Ascension nous renvoie directement à cette Révélation, car elle nous invite à méditer l’ultime étape de la venue du Christ parmi nous. Après avoir traversé la mort de la croix et ressuscité le troisième jour, Jésus entre pleinement dans la gloire divine où il fait pénétrer notre humanité. Car telle est la gloire aussi qui nous est promise.
L’Église n’est rien si elle ne nous conduit à comprendre et vivre de ce mystère. L’historien Guillaume Cuchet a établi une relation troublante entre l’affaissement brutal de la pratique religieuse dans les années soixante et l’effacement de la question des fins dernières dans la prédication de la même époque. Sans doute avait-on le sentiment qu’une telle prédication était trop éloignée de nos vies concrètes. Mais c’était une erreur profonde. L’Ascension du Seigneur nous renvoie au sens même de notre condition humaine plénière, avec le destin de notre corps. Natalia Trouiller, dans le manifeste crucial qu’elle vient de publier, nous le rappelle à partir de saint Paul aux Philippiens. C’est le Seigneur Jésus qui transformera notre corps misérable en le rendant semblable à son corps glorieux (Ph 3, 20-21).