La meilleure façon de cacher le fait que vous êtes un guerrier culturel est d’accuser les autres, qui ne sont pas d’accord avec vous, d’être des… guerriers de la culture. Comme Saul Alinsky, le saint patron de la politique progressiste d’aujourd’hui, l’a si bien vu, la défense la plus efficace réside dans une attaque brutale, et de préférence dirigée contre des personnes, pas seulement contre leurs idées.
Les rédacteurs du National Catholic Reporter, par exemple, et de la gauche catholique en général, ont utilisé cette technique pendant des décennies – mon ancien patron, l’archevêque Charles Chaput, était une cible habituelle – et ils le font encore, avec une habileté impressionnante.
Bien sûr, il s’agit d’une forme de projection de vos propres déplorables envies et ressentiments sur les autres, puis de transfert de la responsabilité de vos propres péchés. Et oui, les moralisateurs se plaindront qu’un tel comportement est en fait une calomnie, une espèce de mensonge, quelque chose que Dante a assigné directement au huitième cercle de l’Enfer.
Mais bon, tout est bien qui finit bien. Le pardon est accordé lorsque les « bons » – c’est-à-dire vos alliés – gagnent.
Voilà donc le problème : trop souvent, la gauche chrétienne a tendance à apparaitre comme unes sorte de mouvement religieux « Me Too » au sein du courant plus large de l’activisme progressiste ; pas toujours, et pas sur toutes les questions, mais assez souvent pour inquiéter ceux qui sont en dehors du bercail.
Évidemment, cette inquiétude n’est pas toujours justifiée. Les œuvres sociales sont un des devoirs du chrétien. Au cours des 125 dernières années, les encycliques papales ont exposé en détail la doctrine et les obligations sociales catholiques. Et bien sûr, les chrétiens qui penchent à droite peuvent souvent être décrits, tout aussi précisément, comme une équipe de fermiers bibliques défendant les causes conservatrices.
Mais l’activisme « progressiste » possède une cohérence idéologique, un avantage organique, qui fait généralement défaut à la droite. La raison en est simple. La politique progressiste possède son propre ADN religieux, indépendamment de tout chevauchement avec la foi chrétienne.
Dans son essai Ersatz Religion, Eric Voegelin, l’éminent philosophe politique contraint de fuir l’Europe nazie, a placé le progressisme dans la même famille de mouvements zélés, gnostiques, et similaires à des religions, que le marxisme, le positivisme, le fascisme et le national-socialisme. Chaque mouvement est une facette différente mais en lien avec le même instinct sous-jacent. Et cet instinct est toujours défini par les mêmes caractéristiques.
Comme l’a soutenu Voegelin, le croyant gnostique est mécontent de sa situation. Il est convaincu que ses problèmes sont causés par un monde mal organisé. Il croit également que « le salut du monde est possible ». Il en conclut que, pour que le salut arrive, l’ordre de des choses doit être modifié par un processus historique.
Il accepte comme une vérité de foi que le processus salvifique puisse être réalisé par les propres efforts de l’homme. Enfin, « la tâche du gnostique est de chercher la démarche pour un tel changement. La connaissance – gnose – de cette méthode d’altération est la préoccupation centrale du gnostique »… ainsi que sa détermination d’imposer cette connaissance à la société pour son propre bien.
Cela peut sembler très éloigné de la nature de la pensée chrétienne progressiste d’aujourd’hui. Mais peut-être pas. Le philosophe catholique italien Augusto Del Noce, dans son essai de 1967 intitulé On Catholic Progressivism, note que les fidèles catholiques cherchent à « mettre le monde moderne en accord avec les principes éternels » tout en respectant son caractère unique. Mais les chrétiens opérant sous l’étiquette « progressiste » incarnent souvent « l’exact inverse, puisqu’ils cherchent à aligner le catholicisme sur le monde moderne ».
Del Noce était prophétique en pressentant les attaques contre la théologie catholique en matière de sexe qui découleraient de la révolution culturelle des années 1960. Plus de cinquante ans plus tard, Humanae Vitae et Donum Vitae sont à nouveau attaqués – cette fois, avec une ironie perverse, de l’intérieur même du Vatican et de son « Académie pontificale pour la vie ».
Ailleurs, Del Noce met en garde contre « le remplacement de la métaphysique par la sociologie » et la lente saignée de la foi transcendante vers un système d’éthique positif, bien que flexible, masqué par des appels incessants à la compassion et un « anti-intellectualisme obligatoire ». Si cette dérive ne semble pas familière dans la vie catholique d’aujourd’hui, c’est que le lecteur s’est endormi.
Avec un argumentaire affuté, Del Noce soutient qu’alors qu’une discussion avec un intellectuel rigoureusement marxiste est possible, il n’en est pas de même avec un progressiste catholique. Non pas parce que nous le méprisons, mais parce qu’il méprise son critique, le traitant dès le départ comme quelqu’un qui s’arrête à un simple intellectualisme de formule. Par conséquent, on ne discute pas avec un progressiste catholique, mais face à lui, en espérant simplement que nos arguments puissent fournir une occasion de stimuler sa réflexion critique.
Il n’est pas inutile de rappeler que les « docteurs de la loi » – si souvent honnis ces dernières années – ont eu une main plutôt généreuse dans la construction et le maintien d’une civilisation imprégnée d’une âme chrétienne. Certains d’entre eux, au moins, savaient penser, un art aujourd’hui perdu. La dernière chose dont on a besoin, c’est d’un nouvel ersatz de pensée catholique, dépouillée de ses arêtes vives, qui revient à suivre un monde tellement desséché spirituellement qu’il n’a même pas une compréhension païenne du surnaturel.
Dans les annales des injures, des épithètes comme « guerrier culturel » et « fasciste » ont beaucoup en commun – un véritable air de famille – comme l’a montré récemment notre deuxième président catholique, qui est maintenant clairement « progressiste ». Comme l’a noté Lance Morrow dans le Wall Street Journal du 6 septembre :
« S’il y a des fascistes en Amérique ces jours-ci, ils sont susceptibles d’être trouvés parmi les tribus de la gauche. Il s’agit de M. Biden et des siens… dont les opinions se sont, depuis le 6 janvier 2021, durcies en une foi absolue que tout parti ou système de croyance politique autre que le leur est illégitime, inhumain, monstrueux et (excusez du peu) une menace pour la démocratie. L’évolution de leurs émotions surdimensionnées – leur sentimentalité devenue fanatique – les a conduits en 2022 à embrasser la formule de Mussolini : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ». Ou contre le parti. Pendant ce temps, leurs penseurs se demandent si la Constitution et la séparation des pouvoirs sont vraiment ce qu’elles sont censées être. »
Hitler et Mussolini ont d’ailleurs commencé comme des hommes de la gauche révolutionnaire : la réelle incarnation des « guerriers de la culture ». Au cas où quelqu’un se poserait la question.