«Tout chrétien est aujourd’hui un soldat ; le soldat du Christ. Il n’y a plus de chrétien tranquille. » Lorsqu’il écrit ces lignes, deux ans avant la guerre de 14, Charles Péguy ne se doute pas de leur caractère prophétique pour notre époque. Ce que veut dire l’écrivain est que pour un chrétien du XXe siècle commençant, matérialiste et hédoniste, la première guerre à mener est d’abord celle contre l’incrédulité et l’infidélité à Dieu.
Trois ans plus tard, en 1917, la Vierge Marie avertissait que faute de consacrer la Russie à son Cœur immaculé, celle-ci répandrait ses erreurs sur le monde. La Russie d’alors, cela voulait dire plus largement le matérialisme athée né de la Révolution française, et le refus de reconnaître Dieu comme Créateur et Sauveur : folie de l’homme qui se croit autosuffisant…
Brûlante actualité
Mais un siècle plus tard, le message reste d’une brûlante actualité, comme le soulignait Benoît XVI en 2010 : « Celui qui penserait que la mission prophétique de Fatima est achevée se tromperait. » Et il ajoutait : « L’homme a pu déclencher un cycle de mort et de terreur, mais il ne réussit pas à l’interrompre… » Le retour de la guerre en Europe serait-il le signe que la consécration à son Cœur immaculé n’aurait-elle pas été faite comme la Sainte Vierge l’avait demandé ? Les spécialistes en débattent encore…
Toujours est-il qu’aujourd’hui, malgré de nombreuses apparitions mariales appelant à la prière et à la pénitence, malgré deux guerres mondiales, cet appel pressant semble tout aussi difficile à entendre : l’homme ne pourra se sauver ni se libérer du mal par ses propres moyens…
« Il n’y a plus de chrétien tranquille. » Pour Péguy, la foi n’était pas un édredon destiné à recouvrir notre existence sous un vague saupoudrage spirituel : le mal est une réalité, la ligne de front passe à l’intérieur de chacun, et le combat spirituel, comme le disait Rimbaud, est aussi brutal que la bataille d’hommes. À trop l’avoir oublié, nous nous sommes désarmés, au propre comme au figuré…
Ainsi, en ce début de Carême, l’actuel Souverain pontife vient-il d’appeler les croyants à la prière et au jeûne, pour faire cesser l’escalade de la violence en Ukraine. Le jeûne, la croix, le sacrifice : c’est certes moins séduisant que les « lendemains qui chantent »… mais c’est la voie royale, parcourue par le propre Fils de Dieu pour lutter contre le péché de l’homme.
Bien sûr, il s’agit d’une logique déconcertante, mais elle a révolutionné le monde en lui ouvrant une espérance surnaturelle. « Devant la somme d’égoïsme, de luxure, d’orgueil qui rend les âmes opaques à la grâce, écrivait en 1978 le Père Gaston Courtois, la prédication, le témoignage même ne suffisent plus : il faut la croix » : c’est la seule manière de régénérer les âmes.
Et c’est aussi le chemin, mystérieusement, proposé aux disciples du Christ, comme le soulignait saint François de Sales pour qui le Calvaire était en réalité le « mont des amants ». Car c’est là que s’exprimaient avec le plus de force l’amour et la confiance totale envers le Père.
Ce chemin escarpé, les enfants de Fatima ont accepté de le gravir, tels les justes de l’Écriture acceptant d’offrir leurs souffrances pour sauver la cité des hommes, « en intercession pour la conversion des pécheurs » (Mémoires de Sœur Lucie). Deux sur trois sont désormais canonisés.