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Dans l’émission Le Grand Témoin, depuis 7h33 ce lundi matin 21 septembre, Louis Daufresne reçoit Charles-Henri Filippi, inspecteur des finances, banquier, membre de cabinet ministériels, membre du conseil d’administration de L’Oréal, auteur de « L’Argent sans maître », éditions Descartes & Cie.
Je n’ai malheureusement pas lu cet ouvrage de l’invité de Louis Daufresne de ce matin mais tout m’invite à le faire au plus vite car les préoccupations de Monsieur Filippi me semblent correspondre aux interrogations les plus urgentes que la crise actuelle devrait imposer au débat public. Déjà la référence qu’il fait aux travaux du grand sociologue Georg Simmel suffirait à attirer l’attention car le propre de Simmel c’est de saisir la question de l’argent dans sa signification sociale véritable, la plus large, dans ses effets sur les relations humaines, sur la perception des choses et jusqu’à la métaphysique. Car il ne craint pas d’appeler l’argent « le nouveau Dieu », voilà donc la meilleure sociologie possible.
Mais n’est-ce pas retrouver un sujet de querelle infini où l’on met en opposition par exemple la mentalité calviniste et la mentalité catholique selon la célèbre analyse de Max Weber ? Il y aurait une répulsion spécifiquement catholique à l’égard de l’argent. La condamnation de l’usure telle qu’elle fut pratiquée au Moyen Age, n’est-elle pas caractéristique d’une prise de position anti-moderne qui a toujours marqué jusqu’à nos jours la doctrine sociale de l’Eglise ? Il est vrai que les choses ne sont pas toujours tranchées définitivement et qu’il existe parmi les catholiques différentes sensibilités, certaines très libérales, notamment aux Etats-Unis. Il me paraît même que cette sensibilité fait beaucoup plus entendre sa voix aujourd’hui que naguère et qu’elle a participé aux échanges qui ont précédé la rédaction de la dernière encyclique de Benoit XVI.
On m’a dit, mais je n’ai pu le vérifier moi-même, que le Saint Office avait suspendu naguère les spéculations théologiques sur la notion d’usure, un peu comme on avait interrompu certaines spéculations sur la grâce qui avaient entrainés les protagonistes dans des impasses. Mais cette interdiction n’a pas empêché que se poursuive une remise en cause du rôle de l’argent. On la retrouve dans les encycliques sociales, on la retrouve notamment chez un Charles Péguy qui nous a laissé des formules mémorables « L’argent n’est point déshonorant quand il est le salaire et la rémunération et la paye, par conséquent quand il est le traitement, quand il est pauvrement gagné. Il n’est déshonorant que quand il est l’argent des gens du monde. » Mais voilà, dira-t-on l’avis d’un moraliste et nullement d’un spécialiste, d’un économiste. N’oublions pas toutefois que Péguy s’est beaucoup intéressé à l’économie politique. Mais il est arrivé à un authentique économiste catholique, François Perroux, que j’ai vu de mes yeux décoré de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand par le cardinal Lustiger, en présence de toute la classe politique et de ses collègues universitaires, affirmer cette chose incroyable qu’il fallait déshonorer l’argent. Curieux programme pour un économiste qui semble saborder l’objet premier de sa discipline. N’est-ce pas le signe qu’il y a quelque chose d’irréductible dans cette affaire d’argent, quelque chose d’irréductible qui affecte l’économie d’un facteur d’indécision moral, métaphysique, mais je laisse la réponse à Monsieur Filippi qui à ma différence sait de quoi il parle.
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