■ Pourquoi prier pour la paix ?
Anita Bourdin : Le Pape l’a dit lui-même dans son allocution et dans sa prière : « L’histoire nous enseigne que nos seules forces ne suffisent pas. Plus d’une fois, nous avons été proches de la paix, mais le Malin, par divers moyens, a réussi à l’empêcher », et « nos efforts ont été vains ».
Il faut demander l’aide de Dieu face à la violence et la haine : « Nous savons et nous croyons que nous avons besoin de l’aide de Dieu. »
■ C’est une façon de se désengager ?
Certainement pas. Le P. Pierbattista Pizzaballa a expliqué qu’il fallait donner une « respiration », laisser s’exprimer « le désir de paix des peuples ».
Le Pape l’exprime ainsi : « C’est une rencontre qui répond à l’ardent désir de tous ceux qui aspirent à la paix et rêvent d’un monde où les hommes et les femmes puissent vivre en frères et non comme des adversaires ou des ennemis. »
Dans un tweet du 6 juin, il a justement appelé à l’engagement : « La paix, est un don de Dieu, mais elle demande notre engagement. Cherchons à être des gens de paix dans la prière et dans les faits. »
Le Pape voit dans cette prière un acte de confiance des enfants d’Abraham dans leur Dieu : il s’agissait de prier « en tant que fils d’Abraham », et cette prière était « une expression concrète de confiance en Dieu, Seigneur de l’histoire, qui nous regarde aujourd’hui comme frères l’un de l’autre et désire nous conduire sur ses voies ». L’objectif, c’est de se laisser montrer le chemin, pas de se désengager.
Le Pape prévient l’objection, surtout quand il s’agit de la prière de deux présidents, assurant que c’est un acte de grande responsabilité : « Nous ne renonçons pas à nos responsabilités, mais nous invoquons Dieu comme un acte de suprême responsabilité, face à nos consciences et face à nos peuples. »
■ Mais c’est une initiative du Pape, pas des peuples…
L’initiative vient de plus loin. Pour le pape François l’initiative est de Dieu. Il dit clairement que cette prière et ce désir de paix sont la réponse à un appel : l’appel du pape qu’on pourrait rebaptiser l’appel du 8 juin, s’inscrit dans l’Appel de Dieu à la fraternité universelle. Et pour atteindre cet objectif, on a besoin de l’aide d’un plus grand que nos conflits : trop de sang a été versé.
Le Pape l’exprime ainsi : « Nous avons entendu un appel, et nous devons répondre : l’appel à rompre la spirale de la haine et de la violence, à la rompre avec une seule parole : « frère ». Mais pour prononcer cette parole, nous devons tous lever le regard vers le Ciel, et nous reconnaître enfants d’un unique Père. »
Et puis le Pape se fait l’écho d’une part de la responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations et d’autre part de la lassitude devant trop de vies sacrifiées. Il évoque « des fils qui sont fatigués et épuisés par les conflits et désireux de parvenir à l’aube de la paix ; des fils qui nous demandent d’abattre les murs de l’inimitié et de parcourir la route du dialogue et de la paix afin que l’amour et l’amitié triomphent ».
Il appelle à honorer la mémoire des jeunes morts par le dialogue « à tout prix », c’est une façon de rompre la chaîne du sang qui appelle le sang : « Trop de ces fils sont tombés, victimes innocentes de la guerre et de la violence, plantes arrachées en pleine vigueur. C’est notre devoir de faire en sorte que leur sacrifice ne soit pas vain. Que leur mémoire infuse en nous le courage de la paix, la force de persévérer dans le dialogue à tout prix, la patience de tisser jour après jour la trame toujours plus solide d’une cohabitation respectueuse et pacifique, pour la gloire de Dieu et le bien de tous. »
■ La paix est possible ?
Avec la prière de ce soir, la paix était déjà là sous le ciel de Rome.
Le Pape indique le chemin du courage : « Pour faire la paix, il faut du courage, bien plus que pour faire la guerre. Il faut du courage pour dire oui à la rencontre et non à l’affrontement ; oui au dialogue et non à la violence ; oui à la négociation et non aux hostilités ; oui au respect des accords et non aux provocations ; oui à la sincérité et non à la duplicité. Pour tout cela, il faut du courage, une grande force d’âme. »
Cette prière représente pour le pape le début d’un chemin nouveau : « J’espère que cette rencontre sera le début d’un nouveau chemin à la recherche de ce qui unit, pour dépasser ce qui divise. »
Même si le P. Pizzaballa a bien averti : ne vous attendez pas à la paix le lendemain. Il y a tout le travail de la liberté humaine qui se déploie dans le temps. Mais une dynamique nouvelle est enclenchée.
■ Certains ont parlé de prière « interreligieuse » ?
Oui, pour faire vite, mais il s’agissait de trois prières successives de trois religions : chaque prière était bien distincte, trois temps différents, chacun priant selon sa tradition religieuse. On parle de dialogue interreligieux, mais la prière reste celle de chacun selon sa religion, sans syncrétisme.
Mais il est clair qu’une grande nouveauté de cette prière dans les jardins du Vatican a été la présence fraternelle du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomaios Ier. Dont le Pape a dit, déjà au Regina Coeli : « Mon frère Bartholomaios ». Et lors de la prière il lui a rendu cet hommage : « Je remercie Votre Sainteté, vénéré Frère Bartholomaios, d’être ici avec moi pour accueillir ces hôtes illustres. Votre participation est un grand don, un soutien précieux ; elle est le témoignage du chemin que, comme chrétiens, nous parcourons vers la pleine unité. »
Le pape François a dit récemment que lorsque nous marchons ensemble vers l’unité, c’est déjà l’unité. Le Patriarche a lu le livre d’Isaïe. Il a donné l’accolade aux présidents, il a manié la pelle bleue pour amener lui aussi de la terre autour de l’olivier de la paix, il a participé à la rencontre à Quatre à la Casina Pio IV…
Cette dimension œcuménique était très forte, soulignée par la présence du patriarche orthodoxe de Jérusalem, Théophilos III, et du métropolite Emmanuel, président du Comité interépiscopal orthodoxe de France.
■ Le Pape a demandé : « Ne nous laissez pas seuls ». Quel écho cette demande a-t-elle eu dans le monde ?
Le Pape a dû recevoir de nombreuses adhésions puisqu’il dit lui-même : « Cette rencontre d’invocation de la paix en Terre sainte, au Moyen-Orient et dans le monde entier, est accompagnée par la prière de très nombreuses personnes, appartenant à diverses cultures, patries, langues et religions : des personnes qui ont prié pour cette rencontre et qui, maintenant, sont unies à nous dans la même invocation. »
De nombreux diocèses ont trouvé des façons différentes de répondre à cet appel, des mouvements, comme l’Action catholique en Italie et en Argentine…
On peut citer ce que disait Émile Moatti, délégué général à Jérusalem de la Fraternité d’Abraham (http://www.fraternite-dabraham.com) qui réunit juifs, chrétiens et musulmans (France) : il voit dans cette prière « l’espérance de la victoire de la raison et des forces de paix sur les intérêts politiques à courte vue ».
Il a invité à prier « en pensée consciente, en communion avec le pape François et les présidents de l’État d’Israël et de l’Autorité palestinienne qu’il a invités aujourd’hui dans ce but », en affirmant cette conviction : « Nous croyons en la force de l’esprit et de la prière, lorsque celle-ci est désintéressée et aspire au bonheur d’autrui, d’où que viennent les initiatives. »
■ Ce pourrait être un feu de paille !
Là encore, c’est un appel aux libertés. Le Pape ne va pas s’arrêter à cette seule initiative de paix. Il s’inscrit dans la ligne des interventions de ses prédécesseurs : Benoît XV, contre la Première Guerre mondiale ; Pie XII contre la Seconde ; Jean XXIII par Pacem in Terris — et on se souvient de la crise des missiles de Cuba — ; Paul VI à l’ONU — « Plus jamais la guerre ! » ; Jean-Paul II — cité par un imam ce dimanche soir — contre la guerre du Golfe, à l’ONU, Assise ; Benoît XVI, qui disait combien l’action de Benoît XV face à la Première Guerre mondiale l’avait inspiré dans le choix de son nom.
Et ce n’est pas fini : le pape François a déjà pris une initiative décisive pour la paix en Syrie le 7 septembre dernier, il pourrait en prendre d’autres.
Dans un tweet le samedi 7 juin, le Pape disait : « La prière peut tout. Utilisons-la pour porter la paix au Moyen-Orient et au monde entier. »
En d’autres termes, il s’agit de persévérer jusqu’à ce qu’une paix juste soit conclue, et de persévérer pour que ce don précieux soit mis en œuvre de façon durable. Un traité de paix c’est l’objectif, mais ce sera aussi un point de départ.
■ Comment faire ?
La prière composée par le Pape pour l’occasion peut être priée personnellement ou en famille, en communauté, chaque jour ou à des dates régulières : le dimanche comme souvenir de cette prière du dimanche de Pentecôte dans les jardins du Vatican, ou bien, pourquoi pas, le 8 de chaque mois… Pour devenir aussi chacun des artisans de paix au quotidien. C’est la béatitude que l’imam a citée : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. » L’Esprit de Pentecôte ne va pas manquer d’inspirer des initiatives, comme l’esprit d’Assise n’a pas manqué d’être fécond. ■
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