La Communauté Sant’Egidio a posé un acte prophétique en choisissant Sarajevo comme site de la 26e rencontre annuelle interreligieuse de prière pour la paix du 9 au 11 septembre 2012. Vingt ans après le début du siège de la ville, qui dura quatre années d’avril 1992 à février 1996, faisant 11 541 victimes, le geste n’était pas que symbolique. Car le passé n’est pas passé. Si la sécurité est rétablie, la république de Bosnie est toujours en état de crise politique et elle est par conséquent encore soumise à une tutelle internationale. Les conditions de retour à la paix et à la coexistence ne sont pas réunies. Ce n’est pas le moindre mérite de la rencontre d’avoir à nouveau braqué les projecteurs sur la ville martyre qu’on a tendance à oublier. Nul endroit ne pouvait mieux illustrer le thème retenu cette année : « Vivre ensemble c’est le futur ». Qu’est-ce qui fait que l’on ne puisse vivre ensemble à travers nos différences ? L’appel à la paix signé par les participants le 11 septembre, jour anniversaire de la destruction des tours jumelles de New York, y répond. Si l’on ne parvient pas à vivre ensemble, on ne peut vivre ni survivre, a conclu Andrea Riccardi. C’est vrai pour Sarajevo, mais où que ce soit dans le monde. Il revient aux religions d’aider à vivre ensemble.
Toutes les communautés religieuses de Bosnie étaient présentes : le cardinal Vinko Puljic, le patriarche Serbe-orthodoxe Irinej, le grand mufti Mustafa Ceric, le représentant de la communauté juive, Jakob Finci, ont réellement porté ensemble la réunion avec la communauté Sant’Egidio. Le patriarche orthodoxe a participé à la célébration eucharistique du samedi soir à la cathédrale catholique. Le cardinal en a fait autant le dimanche à la cathédrale orthodoxe. Les Juifs ont été bien représentés tout au long des débats avec d’importantes personnalités du Comité Juif International et d’Israël. Les organisateurs avaient prévu 28 tables rondes dont cinq furent consacrés aux derniers développements dans les pays arabes et à l’Islam. Chacun avait en tête le voyage imminent du Saint-Père au Liban. Benoit XVI a d’ailleurs suivi de très prés les travaux de Sarajevo en recevant la veille en audience privée les trois dirigeants principaux de la communauté, Riccardi, Mgr Paglia et Marco Impagliazzo, son président, et en adressant un message personnel à la réunion. Instrumentalisation et refus de Dieu sont, selon le Pape, les deux sources de violence.
Le Premier Ministre italien, Mario Monti, et le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, avaient fait le déplacement pour la séance d’ouverture le dimanche soir. Monti, qui compte Andrea Riccardi dans son gouvernement, ministre de l’Intégration et du développement, n’a pas manqué d’évoquer la crise de la dette comme un facteur de division au lieu que l’Euro était censé être un facteur de cohésion. L’Union européenne ne saurait être affaiblie alors que tant dépend d’elle dans les Balkans. Sans le budget communautaire, sans le représentant spécial de l’Union, tout serait encore plus difficile.
Le contexte local demeure marqué par les évolutions religieuses qui se sont librement exprimées. L’attitude et les propos du patriarche serbe-orthodoxe se situaient dans une perspective résolument œcuménique qui a surpris par son audace et sa précision. Mgr Irinej dit préparer une réflexion générale sur la situation des Eglises et des communautés religieuses en Europe en saisissant l’occasion du 1700e anniversaire de l’édit de Milan (313) sur la liberté et, ajoute-t-il, l’égalité religieuses. Il se propose de faire de ce jubilé une étape vers la réconciliation.
Réconciliation qui préoccupe aussi le grand mufti musulman, le bien connu Mustafa Ceric, en place depuis 1993 et qui doit céder la place le mois prochain. Un intervenant orthodoxe l’a accusé de rechercher la constitution d’un Etat musulman homogène, en lieu et place de l’actuelle fédération bosno-croato-serbe, en se fondant sur un propos tenu devant un rabbin new-yorkais. Or le fait est que la presse internationale avait récemment relevé un changement d’attitude, mais la vérité était la suivante : lors de l’anniversaire du massacre de Srebrenica de 1995, l’invité d’honneur était le rabbin Arthur Schneier. Pour un massacre de musulmans ? La vérité est que le rabbin venait en tant que survivant d’Auschwitz. Et que, pour la première fois, les victimes des génocides se reconnaissaient entre elles. Si juifs et musulmans ici se rapprochent, faut-il que ce soit sur le dos des chrétiens, ici des Serbes ? Les questions traitées à Sarajevo n’ont rien de théorique. Mieux valait qu’elles le soient dans une rencontre de prière pour la paix que dans d’inutiles et interminables controverses.
La 27e rencontre aura lieu à Rome.
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