L’apocatastase est-elle une notion recevable ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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L’apocatastase est-elle une notion recevable ?

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Ces derniers temps je ne cesse d’être préoccupé – allez donc savoir pourquoi ! – par le refus qu’oppose notre époque aux paroles du Christ sur l’Enfer, prétendant qu’une relégation éternelle serait inhumaine ! Certains de mes amis ont cédé à cette tentation et tiennent pour impossible que des hommes soient condamnés pour toujours à rester en compagnie du Prince de ce Monde, dit aussi des Ténèbres ! Il leur semble que Dieu se doit d’intervenir et faire en sorte que personne ne demeure à jamais enfoui dans le brasier de l’Enfer, ce « feu qui brûle sans jamais s’éteindre », comme le définit Jésus. Pour l’un, point d’Enfer durable car le péché n’est pas ce que l’on en dit ; pour un autre, plus radical, le péché n’existant pas il ne peut exister d’Enfer, mais un troisième, ne niant point la réalité du péché, trop évident, ni de ce fait l’existence de l’Enfer, conteste fortement qu’il puisse être éternel étant donné qu’est infinie la miséricorde de Dieu.

Tenir de tels propos engage si dangereusement le destin de plusieurs de ceux que j’aime qu’il me paraîtrait inconséquent de ne pas tenter de les détourner de cette funeste doctrine : il ne suffit pas d’être habité de bonnes intentions pour être dans le droit fil de la vérité. Libre à eux ensuite de ne pas tenir compte de ce que je vais tâcher de leur dire en vue de les convaincre, non par la brutalité du sauvage mais par la douceur des arguments.

D’abord, leur rappeler quelques textes de l’Écriture :

1/ « Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car : Fort comme la Mort est Amour ; inflexible comme Enfer est Jalousie ; ses flammes sont des flammes ardentes : un coup de foudre sacré. » (Cantique 8,6)

2/ « Je vais vous dire qui vous avez à craindre : celui-là qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne –1

. Oui, je vous le déclare, c’est celui–là que vous devez craindre. » (Luc 12,5)

3/ « Et moi, je vous le dis : quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère : Imbécile sera justiciable du Sanhédrin ; celui qui dira : Fou sera passible de la géhenne de feu. » (Matthieu 5,22)

4/ « Si ton œil droit provoque ta perte, arrache-le et jette-le au loin : car pour toi est préférable la mort d’un seul de tes membres plutôt que ton corps soit tout entier jeté dans la géhenne. » (Matthieu 5,29)

Et :

« Si ta main droite te fait chuter, coupe-la et jette-la loin de toi : car pour toi est préférable la perte d’un seul de tes membres plutôt que ton corps soit tout entier jeté dans la géhenne. » (Matthieu 5,30)

5/ « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne. » (Matthieu 10,28)

6/ « Si ton œil entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu ! » (Matthieu 18,9)

7/ « Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui parcourez mers et continents pour gagner un seul disciple, et, quand il l’est devenu, vous le rendez digne de la géhenne, deux fois plus que vous ! » (Matthieu 23,15)

8/ « Serpents, engeance de vipères, comment pourriez-vous échapper au châtiment de la géhenne ? » (Matthieu 23,33)

9/ « Si ta main entraîne ta chute, coupe-la ; mieux vaut entrer manchot dans la vie que d’aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint pas. » (Marc 9,43)

10/ « Si ton pied entraîne ta chute, coupe-le ; il vaut mieux que tu entres estropié dans la vie que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne. » (Marc 9,45)

Ce sont là propos qui me paraissent déterminants : à partir du moment où l’on a donné sa foi au Christ, il devient impensable de couper ce qui ne nous plait pas dans ses paroles ou ne correspondrait pas à l’idée que nous nous faisons de Lui. Certes, l’interprétation est toujours recommandée mais éclairée : elle ne peut jamais aboutir à la négation de ce qui est dit par le « seul Maître » que nous puissions avoir. L’évangile est sans coupure comme sa tunique est sans couture ! Sans mutilations…

Le point décisif est le plus souvent oublié : le choix des uns et des autres …

Souvent il m’est arrivé d’expliquer à des enfants comme à des adultes que la liberté de l’être humain n’est pas un simple concept ou une théorie que l’on pourrait indifféremment prendre ou laisser : elle est consubstantielle à sa nature. Si cette liberté de notre être est une merveille unique dans la création, elle doit être acceptée en tout ce qu’elle implique : quand Jésus dit à ses apôtres « Que votre oui soit oui, que votre non soit non », Il ne prêche pas dans le vide du sens. Ne retrouvant pas la référence de cette citation, j’ajoute celle-ci : « Quand vous parlez, dites Oui ou Non : tout le reste vient du Malin. » (Matthieu 5,37)

Voici le propos essentiel et qui concerne directement le non-effacement de l’Enfer : « Voilà pourquoi, je vous le déclare, tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes, sauf le blasphème contre l‘Esprit qui ne le sera pas » (Matthieu 12,31) Ce « qui ne le sera pas » n’appartient pas au doute …

Une précision d’importance est en outre ajoutée : « Si quelqu’un prononce une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais s’il parle contre l‘Esprit-Saint, cela ne lui sera pas pardonné pas plus en ce monde que dans le monde qui vient. » (Matthieu 12,32)

Marc, donc saint Pierre, confirme : « Mais si quelqu’un blasphème contre l‘Esprit-Saint, il reste sans pardon à jamais : il est coupable de péché pour toujours. » (Marc 3:29)

Et voici que, malgré l’autorité de ces paroles directement tirées des évangiles, sorties directement de la bouche du Christ, survient toujours cette pensée d’apparence miséricordieuse que Dieu le Père finira bien, ne pourra que finir par faire revenir au sein de son amour jusqu’au dernier des démons ! Il convient en effet de ne pas oublier que ce sont les démons qui ont quitté le navire céleste par leur décision du « non serviam » ! Ne pas inverser les rôles, d’autant que ces démons, en rompant unilatéralement avec Dieu, se sont en quelques sorte amputés de l’intelligence de l’amour : ils sont comme à jamais invalides du cœur, absolument étrangers à tout ce qui a rapport avec l’amour, donc avec Dieu…

Jamais n’a été formulée la possibilité d’un tel « retour » … La foi ne peut se concevoir qu’à partir de ce qui a été enseigné par le Seigneur. Nous n’avons pas à prétendre ce qui est contraire à ce qu’Il a dit : le sens même de la liberté qui nous a été donnée en partage en dépend. Prétendre vrai ce qu’Il n’a pas enseigné revient à s’opposer à Lui comme à lui dicter sa conduite.

Il ne s’agit pas ici d’une simple banalité. Si notre « non » ne peut être définitif, notre « oui » ne saurait l’être. Notre capacité à nourrir en nous la haine est comme la garantie que nous pouvons aimer et cela sans en douter. Je puis choisir en vérité. Si je mens, il faut que mon mensonge soit réellement mensonge : authentifié par le fait qu’il est prononcé librement et donc assorti consciemment de toutes ses conséquences.

Il en va de même si je témoigne en disant la vérité : allant donc à l’extrême de ce que je puis connaître d’elle.

Nous ne savons de cette réalité dénommée Enfer que par ce qu’en révèle l’Écriture : ici notamment par ce faisceau de citations, ce qu’en dit le Christ. Très librement, je puis contester ce qu’Il affirme, mais alors je cesserai de Le considérer comme étant la Vérité elle-même ! Si je conteste ce qui sort de la bouche de Dieu, j’entre directement dans l’abîme où règne le Prince du Mensonge. Il me faut choisir ! Relire dans cette perspective la parabole du festin de mariage organisé par un Roi qui invite à tour de bras : mais un invité est entré sans avoir revêtu la robe nuptiale 2 : il doit quitter le banquet. Or ne sont que deux lieux possibles : cette salle du Royaume et les « ténèbres extérieures », « là où sont pleurs et grincements de dents ».

Catherine de Sienne parle de ceux qui, hélas mille fois, ont refusé d’être pardonnés : il y a toute sorte de refus, qui peuvent aller jusqu’à vouloir absolument vivre sans Dieu, hors de sa présence, là où Il ne saurait habiter. Ce refus peut s’exprimer par une contrefaçon de la foi : « Il n’est pas de Dieu », sera-t-il dit. Il peut faire se prononcer des accusations ordurières contre Lui, des diffamations ignobles, autrement nommées blasphèmes, adressées directement à l’Esprit-Saint !

Reste donc ce mot étrange, blasphème ! Il est loin de revêtir la sorte d’innocence que lui attribuent nombre de nos contemporains ; il est d’abord un outrage volontaire fait à Dieu. Une vomissure crachée sur sa Sainte Face. Une insulte gravissime, qui va jusqu’aux pires des ignominies pensées ou accomplies. Renan révèle la légèreté de sa réflexion quand il écrit : « Le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vulgaire : car, bien que le blasphème réponde à une vue incomplète des choses, il renferme une part de protestation juste… » Sans doute croyait-il appartenir à l’espèce des grands esprits… Son humilité n’allait pas jusqu’à s’estimer simple pauvre pécheur, homme vulgaire …

Il n’est pas de grands esprits qui survivent à l’orgueil.

Le blasphème peut aller jusqu’à déclarer la guerre à chacune des Personnes de la Sainte Trinité.

La Vierge Marie s’est souvent montrée extrêmement affectée – affligée au plus intime de son cœur – par les innombrables blasphèmes qui furent prononcés à travers les temps : mis à part ceux qui furent et continuent d’être adressés à l’Esprit-Saint, elle invitait le blasphémateur à se repentir, afin justement de s’éviter la chute en la seconde mort dont parle avec effroi l’évangéliste Jean : rien d’autre que la réduction à n’être plus qu’un esclave de Satan. Ce ne fut pas un acte de faible importance, bien au contraire, que la révélation de l’Enfer qu’elle fit aux jeunes voyants de Fatima !

Catherine de Sienne, docteur de l’Église, écrit sous la dictée : « Voilà le péché irrémissible en ce monde comme en l’autre : celui de l’homme qui, méprisant ma miséricorde, a refusé d’être pardonné. C’est pourquoi je le tiens pour le plus grave des péchés. Le désespoir de Judas m’attrista davantage et fut une plus grande peine pour mon Fils que sa trahison. Aussi les hommes seront-ils condamnés pour ce faux jugement qui leur fit croire que leur péché était plus grand que ma miséricorde : cause de ce qu’ils seront punis avec les démons et éternellement tourmentés avec eux. »

En quoi consistent ces tourments ? Qui les inflige ? Ce sont questions en suspens : je penserais volontiers qu’ils émanent directement de l’être qui a toujours refusé de suivre les commandements ou les conseils de Dieu : outre « petit ruisseau » 3 il finit par concevoir à quel point il a eu tort, laissant alors une rage sans limite s’emparer de son être, lui faisant prononcer injure sur injure, commettre blasphème sur blasphème, chacun comme transformé en une lance de feu dirigée contre lui-même !

Dieu a délibérément révélé la vérité sur Celui qu’Il est et sur ce qu’Il fait : douter de sa parole devient dès lors une cause de rejet, dans la mesure où ce doute n’a pas pour seule cause l’ignorance ou une délirante naïveté. Or aujourd’hui se pratique couramment une inversion, odieux et ultime blasphème, qui ferait de Satan l’auteur de notre liberté : alors qu’il a « brûlé » la sienne en une décision certes tragique mais irrévocable d’être à jamais le « Non-Serviteur », à la différence du Christ qui enseigne à ces disciples que le Premier ne peut être que celui qui se fait volontairement « esclave » d’amour, Lui qui alla jusqu’à donner l’exemple suprême du Roi-Serviteur.

N’ayant pas l’intention d’écrire un ouvrage, même court, sur ce sujet – il en existe déjà, et fort bien faits, dont l’un vient d’être réédité, – je me contenterai de ces quelques paragraphes : ils devraient normalement suffire à mon lecteur pour le persuader que l’on ne peut se faire impunément le propagandiste de l’« apocatastase », terme qui signifie « la restauration finale de toutes choses en leur état d’origine ». Le Traité des principes d’Origène se trouve être à l’origine de cette théorie théologique, non approuvée par l’auteur qui entendait seulement exposer certaines idées exprimées par la culture hellénistique de son temps afin de les confronter aux écritures chrétiennes… mais qui fut source dangereuse de réflexion pour nombre de penseurs des temps anciens – dont Grégoire de Nysse, Évagre le Pontique et Didyme l’Aveugle – comme des nouveaux ! Leurs positions étaient semblables à celles qui furent jugées hétérodoxes en 542 et 543, soit contraires à la vérité de la foi … En effet, furent condamnées en 542 par l’empereur Justinien dix propositions tirées de ce traité ; Ménas, évêque de Constantinople, confirma cette condamnation, reprise par le deuxième concile de Constantinople. Le principal reproche était que cette thèse annulait la liberté et la responsabilité des créatures, puisque les dispositions et les actes de chacun n’étaient plus pris en considération. Contre cela, le Concile affirmait : « Si quelqu’un dit que les Vertus célestes, tous les hommes, le diable, les Puissances du mal seront unis pareillement au Dieu Verbe et de la même manière que Christ, qu’il soit anathème », c’est-à-dire excommunié !

Je serais profondément navré que ceux de mes amis qui professent, plus ou moins, cette doctrine déviant de la droite ligne de la foi, se retrouvent, d’esprit sinon de fait, dans la posture de l’excommunié : celui qui est jeté dehors.

Dominique Daguet

  1. Extrait tiré de la définition proposée par le CNRTL (Centre national de Ressources textuelles et lexicales) :
    A. – Langue biblique (souvent avec majuscule). Enfer (représenté comme un feu éternel). Géhenne du feu; feu de la géhenne; être jeté, précipité dans la géhenne. « Les élus entreront dans un séjour délicieux (…). Les autres iront dans la Géhenne » (Renan, Vie Jésus,1863, pp. 285-286). « Par la grand’porte ouverte, on croyait assister à quelque scène de géhenne, parmi les ricanements des démons » (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 94) :

    Au paradis, le serpent a été l’instrument du diable. Le feu éternel n’a pas été fait pour nous, mais pour le diable et ses anges; pour nous, le royaume a été préparé. Mais le diable travaille à nous faire aller avec lui dans la géhenne. Théol. cath.,t. 4, 1, 1920, p. 362.

    − Au plur., rare, p. méton. « Sans attendre les géhennes de l’autre monde, Esterhazy lui fait et lui fera son châtiment ici-bas » (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 445).

    − P. métaph. « Quatre (…) baies se font face (…) soigneusement closes pour ne pas laisser entrer la géhenne enflammée du dehors » (Gide, Retour Tchad,1928, p. 940).

    B. − P. ext., vx. Torture, supplice de la question pour arracher des aveux aux criminels. « Monseigneur de Beauvais (…) la menaça, si elle ne confessait point toute la vérité, d’être mise à la géhenne. Les instruments étaient préparés » (A. France, J. d’Arc, t. 2, 1908, p. 337). […]

    Géhenner, verbe.a) Emploi trans. Torturer, soumettre à des contraintes pénibles (surtout au fig.). Si l’oligarchie française n’avait pas une vie future, il y aurait je ne sais quelle cruauté triste à la gehenner après son décès (Balzac, Langeais,1834, p. 226).b) Emploi intrans. Endurer une grande peine morale. « Il y a peut-être là-haut une récompense pour ceux qui ont tant géhenné à attendre les autres » (Morand, Homme pressé,1941, p. 50).

    Prononc. et Orth. : [ʒeεn]. DG et Passy 1914 h aspiré (prononc. emphatique). Ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. Ca 1265 « enfer » (Br. Latini, Trésor, II, 129, éd. F.-J. Carmody, p. 311 : feu de gehenne). Du lat. chrét. gehenna, gr. γ ε ́ ε ν ν α « enfer » dans le N.T. (Mat. 5, 22 etc.); lat. chrét. Geennom (A.T. Vulgate Jos. 18, 16) gr. Γ α ι ́ ε ν ν α (Septante, ibid.), hébr. biblique gē-Hinnōm « vallée de Hinnom », vallée au sud de Jérusalem, où des Juifs idolâtres offraient des enfants en sacrifice au dieu Moloch (2 Rois 23, 10; Jér. 7, 31-32), v. Bible Suppl. Cf. gêne. Fréq. abs. littér. : 79.

  2. Cette robe est telle le bain d’eau lustrale : seul le pardon de Dieu donné au pécheur repenti convient à la définir…
  3. Ainsi nommait le passage de la mort Gabriel Marcel…,