Dimanche dernier, nous sommes arrivés à ce moment de l’Avent – le dimanche de Laetare – explicitement exempté de pratiques pénitentielles afin de nous réjouir, de célébrer. Un jour où l’on peut brièvement appuyer sur la touche « pause » en ce qui concerne les austérités de l’Avent. Et qui ne s’en réjouit pas ? Qui ne préfère pas les réjouissances à la repentance ? Et puis maintenant, nous voilà replongés pour quelques semaines dans des pénitences spéciales. Que signifie ce va et vient ?
Il est certain que nous savons intellectuellement – par expérience ou par intuition, – à quel point la pénitence est vitale pour la bonne santé de nos âmes. Et pourtant il y a tant de routes vers la bonne vie qui se disputent notre attention. Par exemple, l’éducation est souvent considérée comme bien plus importante dans la vie ; sans elle, on nous fait croire qu’une vie décente est quasiment impossible.
De nos jours, nous pouvons avoir une excellente éducation, selon certains standards, et pourtant : qu’en est-il de nos âmes ?
Même si l’on sait la valeur prééminente du repentir, cependant, on a toujours cette tentation de le laisser de côté en s’affirmant fortement, ou, avec plus de bienveillance, en s’emparant des bonnes choses à notre portée. Et il y en a tellement !
Eh bien, puisque nous méditons sur la repentance,- dans le contexte plus large d’imiter le Christ – nous pouvons aussi bien contempler la façon dramatique dont Jésus était impénitent. Habituellement, nous pouvons assimiler l’impénitent à un méfiant, un rebelle, un aimable voyou. C’est une bonne vision, une manière agréable de le présenter. Mais Jésus, si oublieux de soi, si obéissant ! Impénitent ?
En tous cas, c’est ainsi que Joseph Ratzinger a dépeint la nature inlassable de son Amour. Dans un passage saisissant de son livre écrit en 1968 « Introduction au Christianisme », il écrit :
Il y a une tranquillité qui sait : en dernière analyse, je ne peux pas détruire ce qu’IL a construit. Car en lui-même, l’homme vit avec la terrible conscience que son pouvoir destructeur est infiniment plus grand que son pouvoir constructeur. Mais ce même homme sait qu’en Jésus Christ, le pouvoir de construire s’est montré infiniment plus fort. C’est la source d’une profonde liberté, une connaissance de l’amour impénitent de Dieu ; Il voit toutes nos erreurs et demeure bien disposé envers nous.
Cette connaissance,- cette science,- de l’amour impénitent de Dieu,- n’est pas seulement profondément réconfortant, mais la source d’une grande liberté. Incidemment, Frederica Mathewes-Green fait le même rapprochement quand elle discute de repentance, dans son livre The Jesus Prayer (La prière de Jésus) – récit attrayant de son expérience de cette pratique Orthodoxe orientale particulière :
Il en sait bien plus sur le mal qui nous habite que nous ne pourrions supporter d’en savoir nous-mêmes. Pourtant, il nous aime complètement, plus que personne au monde ne pourrait jamais nous aimer. Cette combinaison d’être parfaitement connu et pourtant totalement aimé est la seule vraie libération.
La vérité, c’est que cet amour a ses caractéristiques propres, comme les autres sciences. Il est aussi incompatible avec la licence qu’avec cet autre extrême, le légalisme formel et rigide. Il ne peut pas subir une métamorphose commode et devenir plus ou moins synonyme des autres connotations habituelles et faciles de ce mot. La forme basique de l’amour, maintient Ratzinger, demeure la justice ; l’amour dépasse la justice, mais ne la détruit jamais : « Un amour qui renverserait la justice créerait une injustice et ne serait plus autre chose qu’une caricature de l’amour. »
En fait, Ratzinger nous invite surtout à être attentifs à cette expression de notre foi : « Il reviendra pour juger les vivants et les morts. » Après nous avoir prévenus contre le fait d’entretenir au fond de nous une confiance en soi faussement chrétienne, il écrit : « En même temps, le chrétien sait pourtant qu’il n’a pas la liberté de faire ce qui lui plait » Même une grâce aussi puissante –l’amour impénitent de Dieu – n’efface pas notre liberté. Nous devons décider comment y répondre ; C’est précisément ainsi, écrit-il que se confirme vraiment l’égalité de tous les hommes.
Prétendre que, quelque que soit notre choix, il est bon parce que c’est notre choix, non seulement ne fait que normaliser le narcissisme, mais excise le drame ultime de la vie humaine. Et il conclut : « Rien ni personne ne nous permet de réduire la gravité profonde qu’implique une telle connaissance ; cela montre que notre vie est quelque chose de sérieux et précisément lui donne ainsi sa dignité. »
Dans ce bref passage, Ratzinger cristallise le concept fondamental de la liberté, l’égalité et la dignité en les reliant à l’amour impénitent de Dieu. Et par le fait même, en présentant simplement la règle d’or – il démasque le sens moderne de ces concepts qui sont devenus « une trinité d’anciens concepts chrétiens devenus fous », pour paraphraser Chesterton.
La version folle de ces concepts – liberté comme licence, égalité prenant fait et cause contre la nature, et dignité comme autonomie – sont typiquement ce qui constitue l’idée de « qualité de vie » à laquelle bien des gens dans notre occident sécularisé attribuent les questions essentielles personnelles, culturelles et éthiques.
Cependant, la superficialité, la tristesse et l’absence de but qui ont proliféré à la suite du confort matériel – poussent encore la masse critique à ne pas remettre en question la manière commune dont on comprend ces mots.
Ainsi, la chrétienté à ce moment historique, à l’inverse de 1968 ou 1989 (ainsi que l’a débattu Ratzinger dans la préface citée ci-dessus) « se fera-t-elle entendre en tant qu’alternative très importante. » ? Maintenant que nous avons un nouveau Pape, cela reste à voir.
Je pense que la plupart d’entre nous sommes simplement trop confortables, que nos souffrances n’ont pas encore dépassé notre prodigalité. Mais comme nous sommes aux prises avec la grande distance qui nous divise sur ce qui importe le plus – avec la profondeur de l’erreur qui nous a engloutis,- nous pouvons espérer que bien des gens seront poussés à se tourner vers nous, se souvenant que le Père, qui seul peut restaurer tout ce qui a été perdu, a aimé l’enfant prodigue alors qu’il était encore loin .
Est-ce que ce n’est pas là le but ultime de notre repentir ? Qu’à travers l’oubli de soi et la fidélité à la justice, nous puissions avec Son aide, devenir comme le Maître, impénitents dans l’amour.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/unrepentant-love.html