Que l’amour désordonné de l’argent – qu’on appelle communément la cupidité ou l’avarice – soit un péché capital, c’est une évidence. L’argent, bon serviteur, est un mauvais maître. Et ceux qui s’acharnent à en posséder toujours plus ne se rendent pas compte que c’est l’argent qui les possède. Tout le monde sait cela. Est-ce à dire que la cupidité soit le mal fondamental, la racine de tous les maux ?
C’est ce que saint Paul paraît affirmer dans la Première épître à Timothée, d’une manière d’ailleurs si frappante qu’elle est passée en proverbe : « Quant à ceux qui veulent amasser des richesses, ils tombent dans la tentation, dans le piège, dans une foule de convoitises insensées et funestes, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition ; car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent : radix omnium malorum est cupiditas » (1 Tm 6, 9-10). Notez bien au passage qu’il s’agit de la cupidité au sens strict, puisque le mot cupiditas traduit ici le mot grec philarguria, c’est-à-dire littéralement « l’amour de l’argent ».
Des sources actives de perdition
De prime abord, une telle affirmation paraît excessive, car elle néglige le fait qu’il existe d’autres sources de péché : à côté de la passion de posséder – libido possidendi –, on trouve en effet la passion de sentir – libido sentiendi – et la passion de dominer – libido dominandi. Autrement dit, pour parler comme saint Jean, la « concupiscence de la chair » et « l’orgueil de la vie » (1 Jn 2, 16). Tous les maux ne sauraient donc avoir leur origine ultime dans l’amour de l’argent, puisque l’amour du pouvoir et celui du plaisir, irréductibles à l’amour des richesses, sont des sources actives de perdition. Il est d’ailleurs bien évident que la chute de l’Ange n’a pas eu pour motif l’amour de l’argent, et que les crimes humains les plus sataniques n’ont, précisément, guère de rapport avec la pathologie d’Harpagon. Robespierre, Hitler et Pol Pot n’avaient pas mis leur cœur dans l’argent, pour lequel ils affichaient même un profond mépris. De tout cela, saint Paul était parfaitement conscient, on s’en doute. Mais alors, pourquoi avoir écrit cette phrase ? Il y a plusieurs façons de résoudre cette petite difficulté.