Deux mois déjà, mais l’événement nous a tellement touchés au plus intime de nous-mêmes qu’il s’est gravé en nous, à tel point que la distance du temps ne parvient pas à l’estomper. La figure du père Jacques Hamel nous est devenue familière, comme si nous avions été ses paroissiens. Avec la parole des témoins recueillie par Jan de Volder1, nous avons le sentiment d’avoir assisté à cette dernière messe et de revivre les moments du sacrifice du père Jacques. Les deux jeunes gens qui l’ont frappé avaient-ils conscience de la symbolique du meurtre qu’ils accomplissaient ? « Agneau de Dieu, agneau vainqueur, prends pitié de nous pécheurs. »
Le meurtre à l’autel, au moment où s’achève le sacrifice de la messe, pour un chrétien, c’est un symbole complètement saturé. Un symbole auquel on ne peut rien ajouter, et dont le commentaire affaiblirait le sens. Il parle directement, il renvoie sans aucun intermédiaire au sacrifice parfait, celui de la Croix. Le père Jacques qui était l’humilité même s’est trouvé identifié à l’agneau de Dieu. La seule contemplation nous suffit et le reste en suivra naturellement comme ce qui vient du cœur. L’innocent crucifié se remet directement au Père. Il est pure offrande, il n’a pas à se justifier, encore moins à demander vengeance : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Ces mots, l’archevêque de Rouen les a spontanément prononcés. Pouvait-on s’étonner que le même Mgr Dominique Lebrun, dans sa première intervention, le 26 juillet, ait demandé la prière des chrétiens pour les deux assassins ? On n’imagine évidemment pas les responsables de l’ordre public user d’un tel langage. Nous serions justement scandalisés qu’ils réclament la compassion pour les assassins, eux dont la mission est de les empêcher de nuire et de les punir. Mais nous sommes dans un autre ordre que l’ordre public, celui de la charité avec son économie spécifique. Mgr Lebrun l’évoquait dans son homélie de la sépulture du père Jacques à la cathédrale de Rouen : « Vous que la violence diabolique tourmente, vous que la folie meurtrière démoniaque entraîne à tuer, laissez votre cœur, que Dieu a façonné pour l’amour, prendre le dessus. » N’est-ce pas le message ultime que nous pouvons recueillir de celui qui a été identifié à l’agneau immolé ?
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 28 septembre 2016.