L’« Affaire » Newman : les accusations d’homosexualité - France Catholique
Edit Template
Funérailles catholiques : un temps de conversion
Edit Template

L’« Affaire » Newman : les accusations d’homosexualité

Copier le lien

Le journal Le Monde a consacré le 30 août 2008, sous la plume du journaliste Marc Roche, une page entière – la p. 3 – à un long article intitulé « Mgr Newman était-il gay ? Shocking ! » L’auteur y fait écho à une campagne menée en Angleterre par un militant des droits des homosexuels, Peter Tatchell, qui s’est fait une spécialité du « outing » – obliger des personnes homosexuelles à déclarer publiquement leur orientation (en cas de refus, lui-même se charge de le faire à leur place). M. Tatchell a choisi de revendiquer Newman – comme d’autres personnes maintenant décédées, n’ayant donc pas la possibilité de se défendre ! – comme homosexuel.

L’article s’avère être par ailleurs fort mal documenté. Sans entrer dans une polémique qui n’a pas lieu d’être car il n’existe aucun fondement à ces allégations, essayons de relever certaines de ces erreurs et de rétablir les faits.

1. Tout d’abord, quelques petites erreurs relativement insignifiantes en elles-mêmes, mais qui en disent long sur la qualité de l’information. Newman n’a jamais eu droit au titre de « Monseigneur ». Le nom du militant en question est systématiquement mal orthographié (il s’appelle Tatchell et non Thatchell : il y a sans doute ici une confusion avec le nom de l’ancien premier ministre, Margaret Thatcher). Et The Church Times n’est pas un « quotidien catholique » mais un hebdomadaire anglican !

2. Plus grave : Parler de Newman comme « le premier futur “saint” anglais depuis le schisme de 1534 entre Henry VIII et le Saint-Siège » est trompeur. Des centaines de saints martyrs existent, victimes des persécutions anticatholiques aux XVIe et XVIIe siècles ; parmi eux saints Thomas More et John Fisher, les jésuites Edmund Campion et Robert Southwell, les « 40 martyrs d’Angleterre et du Pays de Galles » canonisés par Paul VI en 1970, les « Martyrs de Douai » (plus de 80 prêtres catholiques formés au Collège anglais de Douai, martyrisés en Angleterre au 17e siècle), etc. (On pourrait également citer, pour le XIXe siècle, les « Martyrs de l’Ouganda », un groupe mixte composé de missionnaires anglais et d’Africains, tantôt catholiques tantôt anglicans.) Il est vrai en revanche que Newman sera le premier saint canonisé non martyr…

3. Newman est actuellement enterré au petit cimetière de la maison de campagne de l’Oratoire de Birmingham, à Rednal, à côté de son ami intime Ambrose St John : une seule pierre tombale marque la double tombe, portant le nom et les dates de naissance et de décès de Newman et le nom et la date du décès de St John. Il est prévu, en vue de sa béatification, d’exhumer prochainement son corps afin de le placer dans un sarcophage en marbre situé dans l’église de l’Oratoire 1. Cette démarche, qui correspond à une pratique tout à fait normale dans l’Eglise, est destinée à faciliter la vénération de la dépouille du bienheureux par les fidèles. L’auteur de l’article fait semblant d’y voir un sinistre complot impliquant le Vatican et l’Archevêque de Westminster (qui n’y est pour rien – la décision relève de la responsabilité de l’archevêque de Birmingham). M. Tatchell, pour sa part, crie au scandale au nom des « droits de l’homme » : selon lui, on ferait fi des dernières volontés de Newman qui voulait être enterré aux côtés de son ami. Il est parfaitement vrai que c’était la volonté de Newman d’être enterré à côté de St John. Mais son amour de l’Église et sa soumission à celle-ci étaient tels qu’on peut légitimement supposer qu’il se serait plié sans hésitation à la volonté de l’Eglise dans cette affaire.

4.Une petite erreur, très répandue en France et dont l’auteur de l’article ne peut donc guère être tenu pour responsable, concerne la formule latine Ex umbris et imaginibus in veritatem, qui ne figure pas comme épitaphe sur la pierre tombale de Newman à Rednal, mais se trouve sur une plaque commémorative en pierre située dans le cloître de l’église de l’Oratoire à Birmingham.

5. En revanche, la traduction proposée de cette formule est extrêmement tendancieuse. Une traduction littérale serait : « Hors des ombres et des images, vers la Vérité » (« vers » plutôt que « dans » : le mot veritatem est à l’accusatif, suggérant donc ici un mouvement). Pourquoi alors traduire umbris par « ténèbres », et plus encore imaginibus par « faux-semblants » ?! Qui est l’auteur de cette traduction ? Serait-ce M. Tatchell, ou l’auteur de l’article, M. Roche ? Dans le premier cas l’intention est manifestement malhonnête, car M. Tatchell s’est déjà vu corriger sur ce point ; dans le deuxième cas, l’absence de tout commentaire témoigne tout au moins d’une connivence de la part de l’auteur.

6. Venons-en à des choses plus graves. L’article cite Newman disant qu’il aurait « aimé [Ambrose St. John] d’un amour aussi fort que celui d’un homme pour une femme ». L’auteur reprend sans doute ici des propos de M. Tatchell. Or, ces mots représentent une déformation délibérée d’une phrase écrite par Newman le 18 juin 1875, dans une lettre à une jeune femme nommée Agnes Wilberforce, la fille d’un ami de très longue date. Il y parle de son chagrin (et non de son amour) à la mort de son ami, en comparant ce chagrin (ou ce « deuil » – en anglais bereavement) à celui éprouvé par un mari ou une femme qui vient de perdre son conjoint : « J’ai toujours pensé qu’aucun chagrin n’était égal à celui d’un époux ou d’une épouse, mais je trouve difficile de croire qu’il puisse y avoir de plus grand chagrin, ou de plus grande tristesse, que le mien [la mienne] » (Letters and Diaries of John Henry Newman, Oxford, Clarendon Press, vol. XXVII, 1975, p. 322). La douleur éprouvée par Newman était sans doute accrue par un sentiment de culpabilité, car Ambrose St John, qui était totalement dévoué à son service, était mort en partie d’épuisement dans l’exercice de ses fonctions. Dans tous les cas, M. Tatchell sait pertinemment que cette citation est fausse : la version authentique a été rétablie, au moins une fois, dans des débats outre-Manche entre lui et des journalistes catholiques ainsi que des spécialistes de Newman. Manifestement, M. Tatchell n’en a cure.

7. Parler d’Ambrose St John comme étant « l’amant » de Newman relève d’un abus de langage et témoigne d’une méconnaissance totale des mentalités de l’époque victorienne. Les Anglais de cette époque, surtout dans les milieux d’Oxford où Newman vécut pendant 28 ans, n’éprouvaient aucune gêne à utiliser le langage de l’amour pour parler d’une amitié très forte entre deux hommes, le tout dans le contexte d’une chasteté parfaite et sans la moindre connotation de ce que nous entendons par le mot « amant ». Newman lui-même utilise plusieurs fois ce genre de langage – lui qui avait fait le choix du célibat consacré dès l’âge de 15 ans ! Certes, il n’est pas facile de comprendre des mentalités différentes de la nôtre : mais un minimum d’honnêteté oblige qu’on fasse l’effort.

8. Enfin, est également abusive l’affirmation, en parlant de Newman et de St John, selon laquelle « ils ont vécu ensemble ». Certes ils ont vécu ainsi, mais avec d’autres, au sein d’une communauté religieuse, comme des dizaines de milliers de prêtres et de religieux et religieuses à travers le monde. Allons-nous les accuser tous d’avoir été ou d’être homosexuels ?

Ce qui est en jeu ici n’est pas l’homosexualité, mais la simple vérité. Essayons de la respecter.


www.jhnewman-france.org


Le Père Keith Beaumont, prêtre de l’oratoire de France, président de l’association française des Amis de Newman, est notamment l’auteur de :

Prier 15 jours avec le cardinal Newman, Nouvelle Cité, 2005

John Henry Newman. Textes choisis. Editions Artège, 2010.

Bienheureux John Henry Newman. Une pensée par jour. Mediaspaul, 2010.

Petite vie de John Henry Newman. Nouvelle édition revue et augmentée, DDB, 2010.

Le Bienheureux John Henry Newman, un théologien et un guide spirituel pour notre temps.,
éditions du Signe, 2010. (La «biographie officielle pour la béatification ».).

Voir aussi : John Henry Newman, Saint Philippe Neri. Textes établis, présentés et annotés par Keith Beaumont. Editions Ad Solem, 2010.

  1. L’exhumation eut lieu en octobre 2008. On eut alors la mauvaise surprise de découvrir que le corps s’était totalement décomposé : il n’en restait rien ! (Note de juillet 2010.)