Le Kosovo-Métochié est un peu l’Alsace-Lorraine de la Serbie. Mais une Alsace-Lorraine dont les habitants (chrétiens, Serbes du Kosovo) ont été presqu’entièrement remplacés (par des Kosovars musulmans, dits aussi Albanais du Kosovo). Et d’ailleurs l’Albanie revendique traditionnellement la pleine souveraineté sur le Kosovo au nom de la « Grande Albanie », (même si elle a officiellement reconnu son indépendance). Le Kosovo c’est aussi le Bouvines serbe (sauf que c’est une défaite) où a cristallisé la nation serbe le 28 juin 1389 en même temps qu’elle devenait une colonie de l’Empire ottoman… Les Serbes ont encore coutume de dire que le Kosovo est leur Jérusalem, parce qu’il était le centre spirituel du royaume chrétien serbe au Moyen-Âge et parce qu’ils espèrent, un jour, y revenir en nombre comme les Juifs à Jérusalem…
Cette province, dont la population serbe avait en grande partie été remplacée par une population albanaise – lors des épisodes dits de « la grande migration de 1690 » ou de la « migration de 1737 » où les Serbes fuyaient la répression ottomane – était cependant revenue sous souveraineté serbe (La Serbie avait recouvré son indépendance en 1878) juste avant la Première Guerre mondiale et sera intégrée dans la grande Yougoslavie pour devenir un territoire associé à la Serbie, mais de plus en plus autonome après la Seconde Guerre mondiale (sauf que cela n’avait guère de sens sous la dictature communiste).
On se souvient douloureusement de la manière dont le président serbe néo-communiste Slobodan Milošević, croyant sauver la Yougoslavie par le nationalisme, en a précipité l’éclatement. Avec ses complices, le leader serbe de Bosnie, Radovan Karadzic, et le général Ratko Mladić, entre autres, ils seront jugés à La Haye pour crimes de guerre et crime de génocide contre les populations musulmanes de Bosnie, notamment pour le massacre de Srebrenica (plus de 8000 victimes musulmanes bosniaques le 11 juillet 1995). La tentative serbe de reprendre en main des populations albanaises du Kosovo qui réclamaient leur autodétermination a provoqué une réaction massive de l’Otan au printemps 1999, certes illégale et en partie motivée par de faux rapports, mais qui fit de la Serbie, au terme de terribles bombardements aériens américains, la grande perdante de la guerre civile. Le Kosovo passe officiellement sous administration des Nations unies le 10 juin 1999. 220 000 non-Albanais sont alors expulsés du Kosovo (Serbes, mais aussi Tsiganes, Gorans et Turcs).
En mars 2004 un vaste pogrom anti-Serbes, prétendument provoqué par une rumeur, entraîne la destruction de 150 bâtiments religieux orthodoxes au Kosovo, les biens des Serbes sont systématiquement incendiés, 4100 personnes sont chassées de chez elles.
La Communauté internationale ne réagit pas beaucoup. C’est comme si les Serbes du Kosovo devaient payer par leur martyre les crimes commis par leurs compatriotes à Srebrenica en Bosnie…
En 2008, le gouvernement kosovar proclame l’indépendance de la République du Kosovo par rapport à la Serbie, mais il faudra attendre le 10 septembre 2012 pour que le Bureau civil international (ICO) ferme son bureau à Pristina. Cette indépendance a été reconnue à ce jour par 114 pays dans le monde (sur 193), dont 23 de l’Union européenne (à l’exception notable de l’Espagne qui ne veut pas créer un précédent pour la Catalogne) mais par seulement 3 membres du Conseil de sécurité et ne peut donc pas siéger à l’Onu. La viabilité économique et politique du Kosovo est problématique. L’État n’arrive pas à s’affranchir de redoutables mafias qui organisent des trafics en tout genre, jusqu’au trafic d’organes humains, comme l’a indiqué Carla Del Ponte, ancien procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les pays arabes wahhabites ont infiltré à coups de dollars leurs missionnaires d’un islam fanatique qui a transformé le pays, naguère peu religieux, en grand pourvoyeur de djihadistes… De toute manière, les jeunes Kosovars ne rêvent que de partir à l’étranger.
Jusqu’en 2008, on a pu croire que la question des affrontements ethniques au Kosovo pourrait en partie se régler par un échange de territoires. L’indépendance du Monténégro en 2006 a compliqué la donne, mais cela resterait en théorie possible pour réparer les découpages opérés à la hache par Tito. Il demeure en Serbie une région dont la capitale est Presevo et qui est à majorité albanaise, alors qu’une région un peu plus grande au nord de Mitrovica au Kosovo, n’est peuplée quasiment que par des Serbes qui ont été artificiellement rattachés au Kosovo en 1945. Reste le cas d’une trentaine d’enclaves avec des monastères et monuments orthodoxes, souvent vieux d’environ 700 ans, qui sont répartis sur tout le territoire, y compris à Pristina, la capitale au centre du pays, et Prizren (au sud).
C’est la situation désespérée de ces enclaves que nous montre le beau film de Yvon Bertorello et Eddy Vicken, cornaqués par l’association Solidarité-Kosovo et qui sera diffusé sur KTO à partir du 10 avril 2017. 1
Des prêtres iréniques et cultivés, parlant parfois admirablement l’anglais ou le français, prêchent la réconciliation et le pardon des ennemis et veulent ouvrir leurs monastères à leurs voisins musulmans. De séminaristes très courageux vivent dans des enclaves minuscules. Des églises avec des iconostases du XVe ou du XVIe siècle et des fresques remontant beaucoup plus loin encore prouvent l’ancienneté d’une implantation serbe dans des lieux qui doivent malheureusement être placés en permanence sous protection de la KFOR, force multinationale de l’Otan qui a un mandat du Conseil de sécurité pour protéger une trentaine de quartiers, villages, monastères et églises.
L’association caritative française Solidarité Kosovo a financé, il y a deux ans, la construction d’un long mur, avec un système de vidéosurveillance et un sas d’entrée, pour tenter de protéger des voleurs et des attaques le monastère de Visoki Decani (fondé en 1327), qui, avec ses 23 moines, abrite les reliques du roi Stefan Uroš III Dečanski Nemanjic (pour les Français : saint Étienne Decanski, petit-fils de sainte Hélène d’Anjou) et intègre la plus grande cathédrale des Balkans avec un ensemble de 1000 fresques byzantines d’une valeur artistique et historique inestimable.
Les vols sont une plaie économique et morale, visant aussi à décourager toute initiative, à empêcher de travailler et de vivre. Ainsi l’ambulance fournie à un hôpital serbe de la région de Gracanica a-t-elle été volée et doit être remplacée. C’est dans cette ville de Gracanica, partagée entre Serbes (plus de 20 000) et Albanais (environ 4 000) qu’est le bureau permanent de Solidarité Kosovo. Gracanica abrite surtout une église construite par le roi Stefan Uroš II Milutin Nemanjić (en français Etienne Miloutine) en 1321 sur l’emplacement d’une église du VIe siècle.
Pour les paysans serbes qui vivent dans des enclaves sous pression albanaise ou sont isolés dans la montagne, c’est une vie en totale autarcie — impossible de sortir pour faire la moindre course en ville — avec le risque permanent de se faire voler son tracteur ou ses vaches, de disparaître à la faveur d’un enlèvement non revendiqué, de voir sa récolte incendiée ou sa vigne détruite… Les vieillards restent pourtant attachés à cette terre de leurs ancêtres et les garçons plus jeunes aussi, il y a encore quelques familles avec de jeunes enfants, mais, manifestement, les jeunes-filles partent et ne veulent plus de cette vie… Situation d’exode rural classique doublée d’une menace permanente contre les biens et les personnes.
Solidarité Kosovo vient en aide à certaines de ces familles depuis une douzaine d’années, notamment par un convoi annuel pour la fête de Noël, avec des cadeaux pour des enfants européens, blonds aux yeux bleus, qui vivent comme au Moyen Age.
Elle a aussi fourni des tonnes d’aide alimentaire (dont six tonnes de pâtes en janvier 2017), des vaches et des moutons à des fermes et des familles et même offert une moissonneuse-batteuse. Elle participe à la rénovation d’écoles et d’installations sportives, etc.
Il faut voir ces images qui respirent aussi une certaine douceur de vivre dans des paysages somptueux qui font comprendre pourquoi ces gens n’ont pas envie de partir malgré les pressions et les mirages d’un el-dorado occidental.
Cette chrétienté aux magnifiques valeurs ancestrales est menacée, mais elle est aussi un exemple de force morale pour nous qui nous lamentons souvent pour si peu de choses. Mieux la connaître nous renforcera.
Ceux qui n’auront pas vu le film sur KTO pourront bientôt acheter le DVD en librairies religieuses.
Deux livres à découvrir aussi :
Nikola Mirković :« Le Martyre du Kosovo »
https://www.polemia.com/le-martyre-du-kosovo-de-nikola-mirkovic/
Katharine Cooper et Pierre Alexandre Bouclays, « Peuples persécutés d’Orient », éditions du Rocher, 160 pages, 35 euros.
- – Le 10/04/2014 à 20h43
– Le 11/04/2017 à 09h30
– Le 11/04/2017 à 00h25
– Le 13/04/2017 à 14h35
– Le 14/04/2017 à 07h50
– Le 14/04/2017 à 22h50