Lorsqu’on se bat – et avec quelle énergie ! – à propos de l’identité française, de la mémoire nationale, n’est-ce pas en raison du caractère conflictuel, douloureux de notre passé ? Lorsqu’on parle de « roman national », on se réfère sans doute à une tentative de synthèse, propre à créer un imaginaire commun. Et il est vrai qu’à la suite d’un Michelet et de toute une école historique, on peut saisir une sorte de fil directeur, une dynamique, un élan qui explique la formation d’un peuple. Mais cette unité a eu un prix, elle ne s’est pas constituée sur le modèle d’un long fleuve tranquille. Parle-t-on des Gaulois ? Mais justement, ils ne cessaient de se quereller et l’unification de la Gaule était problématique. Évoque-t-on la figure lumineuse de Jeanne d’Arc ? Ce ne peut être en oubliant un royaume divisé entre Bourguignons et Armagnacs. Chaque période a eu ses luttes civiles. La Révolution a sombré dans la Terreur, la République et l’Empire ont fait la guerre à toute l’Europe.
Et si on se rapproche de notre époque, on découvre des plaies qui saignent encore. Il y a eu les divisions de la Seconde Guerre mondiale. Immédiatement après, l’Indochine et l’Algérie ont provoqué des traumatismes dont nous souffrons toujours. Dimanche, le président de la République a reconnu « les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des Harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ». Ainsi, nous revient en pleine figure, si j’ose dire, le refoulé d’une des pages les plus terribles de la guerre d’Algérie. Notre pays fut à cette occasion au bord de la guerre civile. L’abandon des Harkis s’inscrit comme un démenti cinglant d’un récit uniformément glorieux de notre passé. Et ils sont aujourd’hui 500 000 à avoir hérité chez nous de ce dénouement insupportable.
Non, le roman national ne ressemble pas à une idylle, il nous rappelle ce qu’il y a d’héroïque dans la constitution d’une unité. Il nous apprend aussi les mérites des réconciliations. Henri IV a bien mérité de notre gratitude pour avoir été un réconciliateur. Et face aux risques actuels d’autres déchirements, il faut parier envers et contre tout, en faveur de ce qui permet la fragile et difficile unité des vivants.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 27 septembre 2016.