Juste parmi les nations - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Juste parmi les nations

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Rencontre à Yad Vashem

Rencontre à Yad Vashem

En 1943, il y eut un soulèvement contre les occupants nazis dans le ghetto juif de Czestochowa, en Pologne, soulèvement que les SS écrasèrent rapidement, tuant de nombreux juifs. Bien plus nombreux encore furent ceux envoyés dans les camps de la mort. Ceux qui restèrent à Czestochowa travaillèrent comme esclaves jusqu’à ce que l’Armée Rouge libère la ville, qui a ce moment là était, comme les nazis l’avaient fièrement proclamé, presque entièrement Judenfrei.

Comme l’histoire l’a montré depuis que la Pologne a émergé de son passé communiste qui a suivi la guerre, cette « libération » était à double tranchant. La Pologne était vraiment, comme l’a décrit Fulton Sheen, une nation « crucifiée entre deux brigands ».

Ayant tout juste 13 ans ce 28 janvier 1945, une jeune juive exténuée et mal nourrie, Edith Zierer, trouva le chemin d’une gare le long d’une des lignes ferroviaires qui traversent Czestochowa. Pensant sa famille vivante à Cracovie, elle grimpa dans un wagon à charbon faisant partie d’un train dont elle espérait qu’il l’emmènerait là-bas. Mais le vent glacé qui soufflait dans ce wagon ouvert était trop dur à supporter et environ deux heures plus tard, de peur de mourir gelée, elle quitta le wagon lors d’un arrêt. Elle boitilla jusqu’au quai de la gare de Jedrzejow – une décision providentielle, en particulier du fait que le train qu’elle abandonnait roulait vers l’est. Cracovie était au sud.

Elle s’assit, seule, à l’intérieur de la gare. Si des passants la remarquèrent, ils l’ignorèrent, bien qu’il était évident qu’elle était une réfugiée. Elle portait l’uniforme numéroté, maintenant en lambeaux, que les nazis, toujours efficaces, faisaient porter aux ouvriers-esclaves. Quiconque ayant des yeux pouvait dire combien elle était épuisée et affamée. Mais personne ne vint à son aide.

Edith commençait à penser qu’il serait préférable de mourir quand la Providence intervint. Comme son petit-neveu, Roger Cohen l’explique, « la mort approchait, mais un jeune homme la devança, ‘présentant bien’, selon les souvenirs d’Edith, et vigoureux. Selon Edith, le jeune homme lui demanda : « pourquoi es-tu là ? Que fais-tu ? ». Alors elle le lui dit.

Dans un autre témoignage, le jeune homme voulut également savoir son nom. Elle le lui dit et cela la fit pleurer, parce que durant des années elle n’avait été qu’un numéro.

L’homme s’éloigna, mais pour revenir avec une tasse de thé. Alors qu’elle buvait, il déclara qu’il se rendait également à Cracovie et promit de l’aider à s’y rendre. Elle était méfiante. Il retourna là où il avait acheté le thé et revint cette fois avec du pain et du fromage. Cela fit beaucoup.

L’étranger, familier des lignes de train et des horaires du secteur, savait que le prochain train vers Cracovie passait plusieurs villages plus loin. Il avait peut-être senti que Edith n’avait pas beaucoup de temps devant elle.

« Essaie de de te lever » lui dit-il. Elle n’y arrivait pas. Alors il la prit sur son dos et la porta environ 2,5 km jusqu’à cette autre gare. Et elle se retrouva de nouveau dans un wagon à charbon. Une autre famille juive réfugiée se cachait également là. Le jeune étranger s’installa également dans le wagon. Il emmaillota Edith dans sa cape. Il échafauda un petit feu sur le sol du wagon pour fournir de la lumière et de la chaleur contre l’âpre vent d’hiver. A la fin, il se présenta.

« Je m’appelle Karol Wojtyla. »

Sans sa cape, Edith et la famille juive pouvaient voir que c’était un prêtre catholique. Du moins c’est ce qu’il supposèrent à sa soutane. En fait, il n’était encore que séminariste.

Quand ils arrivèrent à Cracovie, Karol quitta le train, peut-être pour chercher des informations qui puissent aider Edith à retrouver sa famille. Quand il revint, elle était partie. L’un des autres dans le wagon l’avait pressée de fuir, de peur que ce prêtre ne la mette dans un couvent. « J’ai fui » disait-elle « parce que les gens commençaient à demander pourquoi un prêtre faisait route avec une fille juive ».

Elle se rappelait s’être cachée derrière une pile de boîtes de lait quand son sauveteur a commencé à crier son nom en polonais : « Edyta, Edyta ! »

Comme l’écrit M. Cohen :
Il y avait là deux personnes dans un pays ravagé, un catholique de 24 ans et une juive de 13 ans. Le futur pape avait déjà perdu sa mère, son père et son frère. Edith, bien que ne le sachant pas encore, avait déjà perdu sa mère à Belzec, son père à Maidanek et sa petite sœur à Auschwitz. Ils ne pouvaient pas être plus solitaires.

A ce moment-là, Edith Zierer a fait ce qu’elle pensait nécessaire pour préserver à la foi sa vie et sa foi. Mais elle n’a jamais oublié Karol Wojtyla.

Quand elle lut dans un journal en 1978 que cet homme extraordinaire avait été élu pape, elle pleura. Elle lui écrivit plusieurs fois mais ne reçut aucune réponse… pendant vingt ans. Mais en 1998, ils furent réunis au Vatican. Selon M. Cohen, lors de cette rencontre le pape posa la main sur sa tête et dit : « reviens, mon enfant ». Une chose étrange à dire un demi-siècle plus tard.

Il se souvenait peut-être de son appel anxieux dans la gare de Cracovie : « Edyta, Edyta ! Reviens, mon enfant ! » Ou peut-être qu’il l’invitait à revenir à Rome pour une nouvelle visite et, bien que cela ne se soit pas produit, ils se sont cependant revus en 2000 à Yad Vashem pendant le pélerinage de Jean-Paul II à Jérusalem. « C’était une âme sœur au plus haut point – un homme qui pouvait sauver une fille dans un tel état, gelée, mourant de faim et pleine de poux, et la porter en sécurité » a-t-elle dit à l’agence de presse Reuters après la mort de Saint Jean-Paul II en 2005. « Je n’aurais pas survécu sans lui ».

Lors de cette visite à Yad Vashem, le saint octogénaire s’est avancé pour accueillir six survivants de l’Holocauste, dont Mme Zierer. Le pape a salué chaque personne, jusqu’à ce qu’il arrive à Edith. Il a mis une main sur son épaule pendant qu’ils parlaient ensemble. Elle a dit plus tard « je n’ai pas pleuré au Vatican, mais à Yad Vashem, j’ai éclaté en sanglots ».

Edith est décédée en 2014.