La bataille concernant les catholiques divorcés et remariés bat son plein en partie parce-que chaque camp met l’accent sur quelque chose que l’autre considère comme secondaire ou sans rapport direct, sans toutefois en nier l’intérêt. Pour ceux du camp du Cardinal Kasper, par exemple, la clé est la compassion pour des gens pris dans une culture de cohabitation, de familles recomposées, et de gens pour beaucoup mariés et remariés.
Ceux du camp opposé mettent l’accent sur la nécessité de proclamer et d’affirmer la vérité de l’Evangile toute entière, sans l’édulcorer, puisque dire la vérité est l’expression véritable de la charité et de la compassion. En outre, cependant, nous pouvons remarquer parmi les partisans de Kasper, une prise de conscience réduite de la sorte de crainte et de peur du Seigneur qui devraient naturellement accompagner la croyance que, à l’Eucharistie, nous sommes en contact avec la présence physique de notre Seigneur et Sauveur lorsque nous consommons Son Corps et Son Sang.
L’horreur du sacrilège est une mesure utile pour évaluer à quel point nous croyons en la Présence Réelle de Jésus dans l’Eucharistie. St Paul, réprimandant les Corinthiens parce — qu’ils s’étaient approchés de l’Eucharistie dans un esprit dénué de charité et de respect, les a avertis : « Il mange et boit sa propre condamnation celui qui mange et boit le Corps du Seigneur indignement, sans Le reconnaître pour ce qu’Il est. C’est pourquoi un bon nombre d’entre vous manque de vigueur et de santé, et plus d’un sont morts ». (1Cor 11, 29-30).
Si nous pouvions actuellement compter sur cette association entre mauvais usage et maladie/mort, il est probable que le problème d’aujourd’hui de la communion n’existerait plus du tout.
La littérature catholique du vingtième siècle déborde de présentations du sacré en opposition avec le péché et le sacrilège. Par exemple, dans The Heart of the Matter de Graham Greene, Scorbie, le protagoniste, reçoit la Sainte Communion pour dissimuler son adultère. La scène dans laquelle il reçoit la communion en état de péché mortel est un portait d’une puissance immense d’autodamnation.
Ensuite il y a l’œuvre d’Evelyne Waugh Brideshead Revisited qui traite de notre sujet non pas dans le contexte de la Sainte Communion mais en décrivant les conflits dans la conscience d’un catholique divorcé, qui va se remarier. Le narrateur Charles Ryder a quitté sa femme pour Julia, une catholique qui a abandonné toute pratique religieuse, et qui a, elle-même, cassé avec l’homme qu’elle a épousé en dehors de l’Eglise. Charles et Julia ont le projet de se marier quand le frère de Julia mentionne tout naturellement que, bien sûr, il ne peut inviter sa fiancée catholique à séjourner chez eux parce-qu’ils vivent dans le péché.
Devant son fiancé agnostique stupéfait, Julia se répand en une expression passionnée de douleur qui inclut le passage suivant : « »Vivre dans le péché », pas seulement faire ce qui est mal, comme j’ai fait quand je suis partie en Amérique, faire ce qui est mal, en sachant que c’est mal, cesser d’agir ainsi, oublier. Ce n’est pas ce qu’ils veulent dire…. Vivre dans le péché, avec le péché, par le péché, pour le péché, chaque heure, chaque jour, pendant des années. »
Toutes les mauvaises leçons sont données, si vous lisez cela comme une dénonciation « des mauvais » par «les bons», par les frères aînés du Fils prodigue. C’est la Fille Prodigue elle-même qui voit sa situation de cette manière. A la fin du roman, après un autre moment de lucidité, elle rompt avec Charles et explique :
« J’ai toujours été mauvaise. Il est probable que je le serai encore, et que je serai encore punie. Mais plus je suis mauvaise, plus j’ai besoin de Dieu. Je ne peux me refuser à sa miséricorde. C’est ce que cela signifierait si je commençais une vie avec vous, sans Lui….. J’ai compris aujourd’hui qu’il n’y avait qu’une seule chose d’impardonnable …: c’est cette chose mal que j’étais sur le point de faire, mais je ne suis pas tout à fait assez mauvaise pour la faire : construire un bien qui serait rival du Bien de Dieu…. Il est possible que ce soit un marché personnel entre Dieu et moi, c’est-à-dire, si j’abandonne cette chose précise, que je désire tant, aussi mauvaise que je sois, Il ne désespérera pas de moi à la fin. »
La partie moderne de nous-mêmes, qui ne porte pas de jugement et qui ne supporte pas l’idée de l’amour contrarié, sera plus à même de comprendre, si l’on sait que Waugh, après avoir divorcé environ un an avant sa conversion, est entré dans l’Eglise en croyant qu’il ne pourrait jamais se remarier. En fait, ce qui s’est passé, c’est que quelques années plus tard, son premier mariage fut annulé — mais ces années-là lui ont appris les émotions évoquées par l’univers moral qui habite ses personnages de Brideshead.
Peu de nos contemporains réagissent actuellement avec la sorte d’horreur du sacrilège et du péché grave qui autrefois était normale même parmi les grands pécheurs ; cependant, cet affaiblissement du sens du sacré ne prouve pas à lui seul qu’un camp du Synode de la famille ait raison et que l’autre ait tort sur la question d’ouvrir la communion aux catholiques divorcés et remariés. Ces autres étapes dans la discussion — étapes mettant en valeur les passages bibliques concernés et expliquant l’histoire de l’Eglise, la casuistique et la théologie – ont été et sont effectuées par beaucoup de gens compétents.
Par ailleurs et à côté de tels arguments, cependant, la controverse sur la communion montre à quel point nous nous sommes éloignés d’une vraie compréhension de la relation de Dieu à ses créatures. Il est vrai qu’Il nous aime même jusqu’à l’apparente folie de la croix. Il nous poursuit comme le Hound of Heaven de Francis Thompson. Il n’abandonne personne, il apparaît à Sœur Faustine alors que s’annonce la seconde Guerre mondiale pour nous expliquer l’ampleur de Sa Miséricorde.
Cependant, on accède à cette Miséricorde par la conversion. Chaque passage l’un après l’autre, dans le Petit Journal de Sœur Faustine, révèle la stupéfiante distance entre le pécheur et le Sauveur, celle-là même que le Sauveur franchit pour venir nous chercher. Ce n’est pas seulement une distance de puissance et de sagesse mais de sainteté et de bonté. Si nous ne comprenons pas cela, nous ne sommes pas équipés pour nous abandonner à son salut.
Nous ne comprenons ce dont nous devons nous repentir et ce à quoi nous devons renoncer, que si nous sommes à demi terrifiés, à demi hypnotisés par la bonté et la pureté totalement prodigieuses de Dieu.
Mercredi 31 décembre 2014
Source : http://www.thecatholicthing.org/2014/12/31/far-fallen/
Photo : Julia Flyte Mottram (Diana Quick) et Charles Ryder (Jeremy Irons) ne peuvent pas se marier (dans la mini-série Brideshead Revisited, 1981)