La visite en France du président chinois Xi Jinping impose un entracte à notre actualité, si foisonnante soit-elle. La présence du chef de l’État de la plus grande nation du monde n’est pas un événement mineur. D’ailleurs, tous les fastes sont déployés par une République qui n’hésite pas à se servir de son patrimoine historique le plus prestigieux, des Invalides à Versailles, pour briller aux yeux de son hôte. Un hôte qui nous intrigue, parce qu’en dépit de la rétraction de l’espace, la Chine demeure une énigme pour nous, en raison de son histoire plus longue que la nôtre, de sa culture qui souvent nous échappe et aussi de la prodigieuse mutation dans laquelle elle se trouve propulsée, sans que nous sachions vraiment à quoi elle aboutira.
La Chine actuelle n’est-elle pas une vivante contradiction, eu égard à nos concepts politiques les mieux affirmés ? Elle est toujours sous l’emprise du seul Parti communiste qui détient toutes les commandes. Et en même temps, elle s’est lancée dans un développement économique débridé, de nature purement capitaliste. Ce qui est pour nous une contradiction majeure supporte l’épreuve de l’expérience dans l’Empire du Milieu, même si on peut supputer des grippages sérieux dans un système qui fait cohabiter dictature et expansion de l’expression sur Internet.
J’accompagne, pour ma part, la visite du président Jinping de la lecture d’un essai1 coécrit par Régis Debray, bien connu chez nous, et par un intellectuel chinois, Zhao Tingyang, d’une redoutable sagacité, qui connaît aussi bien la pensée occidentale qu’il pratique la pensée de son pays. Tingyang reconnaît la révolution qui affecte la Chine. Le haut ne peut plus contrôler le bas avec autant d’efficacité. Internet, dit-il, est « une plateforme par nature libre et égale, une vraie agora. On peut dire que cette plateforme magique a créé de gigantesques opportunités pour la partage de l’information et la liberté d’opinion ».
Pourtant, notre intellectuel chinois discerne aussi le déploiement d’une autre violence que celle du Parti. Contrôle du capitalisme et autocensure viennent compliquer le jeu. Mais ce n’est qu’un aspect de l’avenir de la Chine. Une autre question est posée : celle d’un développement homogène, politique et social, qui répudierait la violence révolutionnaire. Il y a aujourd’hui des Chinois pour se dire tout simplement contre-révolutionnaires !
Il est vrai que lorsqu’on a en mémoire la sanglante Révolution culturelle de Mao, on n’a nulle envie de revivre une telle tragédie.