Pour ceux qui vous connaissent par vos tribunes bioéthiques ou par l’Alliance pour les Droits de la Vie, le thème de ce livre est une petite surprise… Vous vous intéressez aux animaux ?
Depuis l’enfance, je suis passionné par les insectes, les poissons, les reptiles, les oiseaux, les mammifères… J’éprouve aujourd’hui dans la nature le même émerveillement que quand tout petit je fouillais dans la terre à la recherche de la moindre bestiole : ver, cloporte, fourmi.
À l’adolescence la chambre que je partageais à Paris avec un frère était une véritable ménagerie. Toute rencontre avec une bête me fascine. Comment ne pas penser au Créateur à la vue de l’extraordinaire beauté et diversité de la faune ?
Que peut apporter une lecture de l’Évangile centrée sur les animaux ?
Ce qui se joue dans la confrontation de Jésus avec les animaux est riche d’enseignements pour l’homme contemporain. Ceux de l’Évangile ne sont pas différents de leurs congénères que nous côtoyons aujourd’hui alors que le reste de notre environnement a énormément changé depuis 2000 ans… C’est l’avantage que donne l’absence de culture chez les bêtes : elles évoluent peu ou pas.
Comment est née l’idée d’en faire un livre ?
A l’origine je projetais de concevoir un jeu à partir des animaux de l’Évangile. Un jeu pour évangéliser. Ce qui est devenu ce livre ne devait être que le livret du jeu. D’où sa présentation en glossaire, animal par animal, pour que chaque lecteur en sache davantage sur les bêtes qui « se promènent » dans l’Évangile.
Vous dîtes qu’elles se promènent, mais ce n’est jamais au hasard…
Rien n’est hasard dans l’Évangile, tout est providence. Le sens de chaque mot, de chaque élément de la création qui se présente peut être indéfiniment cherché, creusé et médité, sans qu’on puisse l’épuiser. Car le texte sacré n’a pas le même statut que tout autre écrit. Je me suis finalement pris au jeu, en allant de plus en plus loin. C’est fantastique de pouvoir concilier la passion pour les bêtes et l’attrait pour l’Évangile. Mais je n’ai qu’entrouvert la boîte de Pandore que des érudits bien plus légitimes ont déballée depuis deux millénaires…
Comment vous-y êtes-vous pris ?
J’ai commencé par recenser tous les animaux cités par les quatre évangélistes. En lisant l’Évangile dans cette optique, j’ai naturellement retrouvé les animaux familiers de la liturgie (brebis, poisson, âne…) mais aussi d’autres dont la présence ne m’avait pas vraiment frappée (ver, poule, mite). En surlignant chacun, j’avais l’impression de marquer un trésor… J’ai alors relevé chaque verset, un par un, sur un grand tableau. Copier un texte sacré, c’est déjà une expérience spirituelle. Le texte pénètre dans l’esprit. J’ai classé, comparé, retourné ce tableau dans tous les sens, spécialement la nuit, pendant plusieurs mois, pour qu’émerge le jeu. Et, accidentellement, le livre.
Pourquoi vous limiter aux Évangiles ?
Le bestiaire biblique complet serait beaucoup plus foisonnant, et au-delà de mes capacités actuelles, même si j’ai évoqué au passage plusieurs références animalières de l’Ancien Testament, certaines belles et amusantes comme l’âne parleur de Balaam, d’autres indispensables pour comprendre la raison de la présence de l’espèce concernée dans le Nouveau Testament : c’est le cas du serpent de la Genèse. Pour l’Évangile, j’ai pu être exhaustif en citant vraiment chaque passage. Il y a une trentaine d’espèces : des animaux célèbres comme le fameux coq réveille-conscience de saint Pierre mais ceux de textes plus ou moins connus où l’animal semble secondaire.
L’est-il vraiment ?
Il n’est jamais accessoire, bien sûr. Jésus ne se sert jamais innocemment des animaux, mais il le fait au service de l’homme. Et c’est d’ailleurs en soi une leçon : j’y vois l’antidote à l’écologisme radical qui ferait de la bête l’égale de l’Homo sapiens. Jésus, à plusieurs reprises, prend bien soin de nous rappeler que nous valons « bien plus » que tel ou tel animal voire que tous les individus d’une même espèce. Il ne répugne pas à consommer du poisson qu’il cuisine lui-même. À la pêche à la ligne, avec mes enfants, je pense souvent à l’excellent connaisseur qu’était Jésus, et à ses conseils miraculeux.
Mais ce sont des conseils pratiques ou spirituels ?
Les deux ! Quand, du bord du lac, après sa résurrection, Jésus s’adresse à saint Pierre qui est bredouille après une nuit de travail, il ne lui propose plus d’avancer « au large » comme il l’avait fait à leur toute première rencontre. Tout pêcheur débutant imagine qu’il aura de plus belles prises, en eau profonde. Cette fois Jésus lui dit simplement de jeter son filet « de l’autre côté » de la barque. ça me fait penser à l’enfant qui, voyant son père capturer du poisson d’un côté du bateau, le harcèle pour pêcher lui aussi de ce côté, au risque de déséquilibrer l’esquif. En réalité, c’est absurde car le poisson est simplement en dessous ! Du coup, nous mesurons la foi de saint Pierre éprouvée par Jésus après son reniement : ce sont les 153 gros poissons qu’il pêchera. Ils préfigurent, dit-on, l’humanité tout entière…
Pensez-vous que la connaissance de la vie des bêtes puisse aider à comprendre et connaître Jésus ?
Oui. Quand Jésus se désole de n’avoir pu réunir les enfants de Jérusalem « comme une poule rassemble ses poussins sous son aile », je ne peux m’empêcher d’être édifié. Cet animal dont saint François d’Assise louera l’intelligence, c’est celui que Jésus choisi comme emblème de sa tendresse pour nous… Pour avoir élevé en famille pas mal de gallinacés, dans mon jardin de ville, je confirme que ce sont des bêtes intéressantes à observer. Assez différentes de caractère, d’un individu à l’autre, elles s’apprivoisent facilement mais défendent leurs petits. Que la sollicitude de Dieu se fasse presque maternelle, quand il nous compare à ses poussins, c’est touchant.
Même constat à propos des chèvres : en discutant récemment avec une sœur de la communauté Eucharistein, chargée du petit élevage de sa maison dans le Haut-Var, j’ai pu vérifier combien les brebis et les chèvres diffèrent… Les caprins sont jaloux, désobéissants, imprévisibles, sournois, amusants d’ailleurs. Ce n’est pas pour rien que nous avons le mot « capricieux ». Un chevreau se débat bruyamment tandis qu’un agneau qu’on immole se tait immobile…
Les animaux sont de magnifiques ambassadeurs de la Parole. Aborder l’Évangile par leur intermédiaire peut renouveler notre approche, l’actualiser aussi, car, avec eux, ce sont des scènes réalistes, concrètes, qui sont proposées à notre méditation. Comment ne pas être émerveillé par la présence du « petit chien » qui « mange les miettes qui tombent de la table de son maître » dans la conversation étonnante de Jésus avec une cananéenne ? Dans notre pays où les animaux domestiques urbains sont si nombreux, pas besoin de vivre à la campagne pour apprécier cet échange…
Alors zoologie ou théologie ?
Malheureusement, je ne suis spécialiste d’aucun de ces domaines. Mais un zeste de zoologie peut aider à approcher le sens spirituel de la présence d’une bestiole dans un verset. Si Jésus montre en exemple les corbeaux qui se débrouillent dans la nature sans amasser inutilement, c’est parce que l’oiseau est presque omnivore, opportuniste et visiblement « futé ». Quand le Seigneur traite Hérode de « renard », après l’exécution de son cousin, il sait que le nuisible décapite volontiers tous les hôtes d’un poulailler ! Connaître un peu mieux les mœurs des animaux comme ceux que le Christ a visiblement observés au désert aide à comprendre jusqu’où va son incarnation.
Mais il faut tout de même resituer tout cela dans son temps…
Certes, la culture du temps et du lieu où Jésus s’est incarné expliquent bien des scènes animalières. Le cochon n’a évidemment pas le même statut dans le judaïsme que dans le christianisme. Cela nous vaut autant l’issue du spectaculaire exorcisme du Maître, quand un immense troupeau de porcs se précipite du haut d’une falaise, que la présence des gorets dans sa parabole du fils prodigue ou dans la maxime : « vos perles, ne les donnez pas aux cochons ».
Mais dans d’autres analogies, comme celles mettant en scène le loup « déguisé en brebis », on se retrouve dans une ambiance universelle, avec la truculence des fables de La Fontaine, quand elle dépeint la comédie humaine.
Il y a aussi des animaux spécifiques au Moyen-Orient…
La géographie joue aussi, mais pas énormément. Certaines bêtes comme le chameau sont un peu exotiques pour nous, mais elles n’ont rien d’inconnu grâce aux zoos et aux cirques. La plupart des autres espèces nous sont familières, presque de plus en plus. La tourterelle dite « turque » a migré depuis quelques dizaines d’années dans nos contrées. Nous trouvons à nouveau en France des loups et des vautours. Et toujours quelques serpents et même des scorpions, dans le Midi.
La mode est à l’observation et à la protection de la faune. C’est plus l’énorme mutation de l’agriculture – finalement très récente – qui rend moins facilement accessibles certaines scènes ou paraboles champêtres. Je pense par exemple à ce qui concerne le « joug » qu’on présente trop souvent comme un simple fardeau alors que c’est au contraire un moyen de porter ou tracter plus aisément une lourde charge.
Pourquoi avoir choisi des dessins et ce dessinateur, Didier Tiphaine ?
Le dessin animalier réaliste est une tradition en zoologie : il est plus précis et instructif qu’une photographie. Mais il faut un dessinateur et coloriste de talent. Ce qui m’a toujours marqué, depuis que je travaille avec Didier Tiphaine, pour des documents édités par l’Alliance pour les Droits de la Vie, c’est qu’il est « bon », au sens plein du terme. Professionnellement, c’est indéniable, mais il y exprime aussi de la « bonté » : ses images, son graphisme, inspirent la douceur. Le réalisme teinté d’humour avec lequel il a réalisé et mis en page chaque animal est le reflet de sa personnalité toute en finesse. Chaque pastel est une œuvre d’art. Et puis, Didier aime la nature depuis toujours, et ça se sent.
À quel public destinez-vous ce livre ?
Nous avons choisi de l’étiqueter « tous publics » car il y a divers niveaux de lecture. J’ai pu vérifier que des enfants se réjouissaient des images, qui surgissent au détour des pages. Des jeunes gens et des adultes, qu’ils soient ou non lecteurs assidus de l’Évangile, peuvent s’y instruire, de façon distrayante. Plusieurs personnes m’ont confié avoir trouvé dans ces pages de quoi approfondir sérieusement leur rencontre avec le Christ. C’est ce qui nous a incités à poursuivre ce projet d’édition.
Mais alors, qu’est devenu celui du jeu ?
Le jeu existe, à l’état de maquette. Les animaux se retrouvent sur de belles cartes. Sa règle a même été testée par plusieurs familles et fonctionne bien. Mais un jeu de société est bien plus complexe et coûteux à éditer qu’un livre. Cela prendra plus de temps.
Documents joints
Pour aller plus loin :
- POURQUOI LA NATURE RÊVE-T-ELLE D’UNE GROSSE TÊTE ?
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- L’HOMME QUI PARLAIT AUX OISEAUX : ADIEU À LORENZ
- CE QUE JE VOUDRAIS DIRE AU GRAND CORBEAU
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010