J’ai lu Jean Vanier dans la revue Ombres & Lumière bien avant de le connaître. Nous emportions en week-end À Bras Ouverts les fascicules ronéotypés de ses conférences. Sa « spiritualité du pauvre » a ainsi imprégné les débuts de notre aventure.
Puis, le lendemain de Noël 1988, je l’ai croisé par « hasard », sur une aire d’autoroute appelée l’Arche, ce qui nous a bien fait rire. Notre amitié a commencé là. D’emblée, il a accueilli sa grand-paternité sur À Bras Ouverts. Année après année, nous allions le voir à Trosly. Il disait : « À Bras Ouverts est un cadeau merveilleux dont vous devez vivre ! » À chaque étape de notre croissance, il fut un précieux conseil. Par exemple, en nous incitant à garder des groupes à taille humaine : « Si l’absence d’un membre ne se voit pas, c’est que le groupe est trop grand. » Quand un jeune est parti loin de nous, il nous a consolés : « Vous êtes des éveilleurs d’amour : le cœur de celui qui s’est senti vraiment aimé restera changé. » Son grand livre La Communauté, lieu du pardon et de la fête a été notre guide. Il y a quelques mois, Jean m’en a adressé une version simplifiée et illustrée. C’est un trésor de sagesse pour tous les responsables. Comme il l’avait fait pour l’Arche, Jean m’a aidé à passer la main sans garder aucun pouvoir. C’est lui qui m’a incité à écrire l’histoire d’À Bras Ouverts sous forme de témoignage personnel.
J’ai continué à le voir à Trosly, au cours de longs entretiens, dans son foyer d’abord, où nous déjeunions joyeusement avec ses amis de communauté, avant de faire la vaisselle ensemble. Nous nous retrouvions après, pour parler et prier, dans sa petite maison où il vivait un peu à l’écart, très simplement, et ensuite dans son logement proche de la chapelle, quand il est devenu plus fragile. Nous le rencontrions avec mon épouse Raphaële. À la façon de Marthe Robin, Jean a reçu énormément de personnes ; il ne comptait pas son temps et mettait volontiers ses amis en relation… Plus il diminuait, plus il allait à l’essentiel : Jésus, à imiter. Sans jamais se désintéresser des problèmes du monde. Pour moi, rencontrer Jean, c’était comme visiter le dernier étage avant le Ciel. Je pense que beaucoup de personnes ont gagné au paradis l’ami personnel perdu ici-bas.
L’Ami véritable
À la fin de chaque entretien, nous priions main dans la main. Tout était récapitulé là. Il prononçait le nom de Jésus avec énormément de ferveur, douceur, familiarité, respect et délicatesse. Le Christ était assurément pour lui l’Ami véritable. Jean concevait notre petitesse comme un cadeau à faire à Jésus. On le sentait descendre en profondeur dans Sa paix. Il laissait une place au silence. Un jour, Jean nous a parlé avec émotion du dernier souffle de son assistante Barbara, intervenu au terme d’un tout dernier Je vous salue Marie, main dans la main : « … et à l’heure de notre mort. »
Choqué par le rejet
Jean était épris de justice, choqué par le rejet dont souffrent les pauvres, touché par toutes les souffrances du monde. Il savait être tranchant quand il sentait qu’on privilégiait la réussite à la petitesse. Ayant beaucoup travaillé pour diminuer, je crois qu’il était indifférent aux signes publics de reconnaissance. S’il les a acceptés, c’est pour l’Arche et Foi & Lumière. La suffisance des puissants l’attristait. Évoquant une personnalité politique en vue que des amis avaient tenu à lui faire rencontrer, il nous a dit : « C’est un tout petit enfant », juste pour signaler, en l’excusant, son absence de structuration anthropologique. À l’époque où pointait un risque de légalisation de l’euthanasie, il a été capable de dire au président Hollande – en le tutoyant ! – de ne pas toucher aux personnes handicapées.
Jean m’a toujours encouragé à continuer d’agir pour la vie, sans me laisser entamer. À l’issue de notre dernière rencontre, il a dit : « L’important ce sont les toutes, toutes petites choses… Et la rencontre ! »
Jean Vanier était témoin, plus que militant, mais peut-on défendre la vie sans s’engager, comme il l’a fait, auprès des plus fragiles ?