Jean Le Cour Grandmaison. Sa première expérience du monde : l'Extrême-Orient. - France Catholique
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Jean Le Cour Grandmaison. Sa première expérience du monde : l’Extrême-Orient.

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L’on a peine à se représenter aujourd’hui l’importance de la présence catholique française en Chine pendant près d’un siècle entre le milieu du XIXe siècle et la prise de pouvoir par les Communistes en 1950. La guerre de Corée, la guerre d’Indochine puis la guerre du Vietnam ont encore prolongé d’un quart de siècle la centralité de la Chine sur l’échiquier extrême-oriental.

Pour nos générations post-seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie a recouvert les souvenirs des anciens qui ne les avaient pourtant pas oubliés. Pour ces derniers en effet, la mémoire longue faisait le lien avec le XIX e siècle. Pour ne rester que sur la marine, les chefs de la marine de la première guerre mondiale avaient fait leurs premières armes en Chine sous l’amiral Courbet (mort en 1885) (François Schwerer). Ceux de la seconde avaient « vu » la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Jean Le Cour Grandmaison fut de ceux-là. Il y passe la campagne 1903-1905, la première année avec un « ancien », le futur amiral Darlan. Sa fille conserve le carnet de bord qu’il avait tenu à cette époque, illustré de magnifiques esquisses. Il évoquera dans ses éditoriaux à « la France catholique » ses souvenirs de Chemulpo et de Tsushima. Le premier, port de Séoul, abritait deux croiseurs russes dont l’un le Varyag fut détruit le 27 janvier 1904 par une attaque surprise japonaise, avant que celle-ci douze jours plus tard ne coule trois bâtiments de ligne russes à Port-Arthur (Lüshun), anticipation de Pearl Harbor. Les Japonais débarquent sur la péninsule de Liaodong. Port-Arthur tombe le 2 janvier 1905. La Russie qui n’avait d’autre choix que d’acheminer en Extrême-Orient la flotte de la Baltique, partie de St-Petersbourg en Octobre, en faisant le tour de l’Afrique (les Anglais ont refusé le passage par Suez), fait relâche à Madagascar. Les ordres sont de rallier Vladivostok. La flotte japonaise l’attend au large de l’île de Tsushima, au sud de la péninsule coréenne, et la détruit le 28 mai 1905.

L’escadre française d’Extrême-Orient est surprise par la guerre. Alliée de la Russie, la France n’est pas l’ennemie du Japon, qui est alors l’alliée de la Grande-Bretagne. Les ingénieurs français ont construit une partie de sa flotte. L’escadre française est à Yokohama (l’aspirant François Darlan est à bord du « Bugeaud ») pour participer aux fêtes du Mikado le 3 novembre 1903. Jean Le Cour à bord du « Gueydon » ne rejoint l’escadre qu’à la Noël en Baie d’Along. En janvier 1904 à Séoul, en février à Nagasaki, il est aux premières loges pour le début des opérations russo-japonaises. Les instructions sont de conserver une stricte neutralité et de regagner immédiatement les eaux du Tonkin. Ce n’est que le 27 juin que l’escadre française reprend la navigation. Le 14 juillet, elle est à Shanghaï (Darlan sur le « Montcalm », Le Cour sur le « Gueydon »). Ils voient revenir deux bâtiments russes rescapés de la tentative manquée de forcer le blocus japonais de Port-Arthur. Le 13 Août, ils naviguent de conserve sur le fleuve Yang-Tsé jusqu’à Hankéou, près de Wuhan (2 septembre) où réside le vice-roi du Tonkin. Le 13 septembre Jean Le Cour passe sur une canonnière fluviale, « la Surprise » pour descendre par le lac Poyang jusqu’à Nanchang.

Darlan, lui, a pris la route du retour en France via Hong-Kong. Le Cour, qui hélas interrompt ici son journal de bord, en a encore pour une année où il sera la plupart du temps immobilisé en baie d’Along car voici que s’y présente l’escadre russe en mai 1905. Elle ravitaille à Cam-Rhan, ce que le Japon reprochera encore à la France en 1940. Trois semaines plus tard, elle est décimée à Tsushima.

Au-delà du conflit de civilisations, jaunes et blanches (voir note suivante), le coup de canon de Tsushima orientera le lieutenant de vaisseau Le Cour – ainsi que Darlan – vers l’école des canonniers-marins de Toulon dont ils seront diplômés au cours des années suivantes. Pour la marine, c’est une révolution technique majeure.

Les jeunes officiers de marine ne peuvent pas manquer de s’interroger aussi sur le devenir de cette présence française si durement acquise, si lointaine, coûteuse, peu rentable et donc si peu soutenue en moyens, notamment par une marine que les stratèges de l’heure voudraient confiner à la défense des côtes de l’hexagone. Jean Le Cour dit avoir partagé l’opinion de son ancien, le futur amiral Castex, bientôt professeur de stratégie à l’Ecole maritime, qui allait jusqu’à suggérer l’abandon de l’Indochine pour se concentrer sur la Méditerranée et l’Afrique.

C’était avant la création des partis communistes de Chine et du Vietnam dans les années vingt et avant l’effacement du Japon en 1945. La situation était transformée lorsqu’il avait fallu faire face à la guerre de Corée et à la guerre d’Indochine. Jean Le Cour Grandmaison tire rapidement la conclusion qu’il ne faut pas juger de nos problèmes localement – savoir quelle secte appuyer en Annam ou en Cochinchine au détriment de telle autre – mais les appréhender globalement : il y a une guerre d’Asie, comme il y a eu une guerre du Pacifique. Or cela personne n’en est capable entre les gouvernements de la IV e République. Engluée dans les « problèmes coloniaux », la politique française manque les grands enjeux. « Coloniale », elle encourt l’anticolonialisme des Américains. L’Occident aborde divisé la question majeure.

Le directeur de La France catholique, président de la Fédération nationale d’Action catholique, doit s’excuser platement auprès du cardinal Liénart (et Jean de Fabrégues auprès du ministre mis en cause) pour avoir laissé passer une remarque critique – à la limite diffamatoire – à l’encontre du ministre de l’Outre-Mer de l’époque. Jacques Roisel (alias Jacques Nobécourt) analysant les élections italiennes à venir du 3 juin 1953 avait dans sa conclusion opposé la démocratie chrétienne italienne à la française : « M. de Gasperi n’a pas à son passif sept ans d’une politique indochinoise catastrophique ni de profits sur le trafic des piastres, au nom de la morale et de la civilisation ». Le 10 mai 1953, le nouveau président du conseil René Mayer avait dévalué la piastre. Le ministre Jean Letourneau, en même temps résident de l’Indochine, est remplacé. Il sera le dernier ministre de l’Outremer appartenant au Mouvement Républicain Populaire (MRP), parti divisé par des cas de conscience qui l’avaient empêché de soutenir à fond la CED, l’armée française ne pouvant mener deux guerres de front, entre participation à la défense européenne et défense de l’Indochine et de l’Algérie (c’était aussi l’argument du maréchal Juin). L’Italie n’avait pas ce problème. J. Roisel allait jusqu’à montrer qu’une intervention de la hiérarchie catholique, sans même parler du pape, y apparaissait, « par certains côtés, légitime », ce qui était évidemment – et donc sous-entendu – exclu de la part de la hiérarchie en France. Le sous-entendu ne passa certes pas inaperçu, au moins à Lille (lettre de réponse de JLCG au cardinal Liénart, 12 juin 1953, Archives de l’Eglise de France).

Jean le Cour ne décèle de vue d’ensemble qu’à Rome, par exemple lors du Congrès international pour l’apostolat des laïcs en Octobre 1951 où il préside la délégation française aux côtés d’une délégation vietnamienne conduite par le conseiller aulique de l’empereur d’Annam, Bao Daï, Jacques Le Van Duc. Pour lui, le destin spirituel et temporel de l’humanité se joue sur cette terre d’Asie. C’est pourquoi les Communistes entendent détruire les communautés chrétiennes. « Envoyée spéciale » de « la France catholique », sa propre fille, qui voulait rejoindre son mari, officier en poste au Tonkin, livrera en cinq articles le témoignage d’une église vivante. Nous sommes une semaine avant la chute de Dien Bien Phu. L’épiscopat français, en la personne de Mgr Rupp, le Secours catholique, Mgr Rodhain, tous deux proches de la « FC », se mobiliseront au profit des réfugiés du Vietnam, les premiers, ceux de 1954, ceux du Nord, le Tonkin qui comptait 10 évêchés et 850 000 baptisés.

L’affrontement prendra un autre tour au sud où le pouvoir était monopolisé par une famille catholique, les Ngo. Jean Le Cour adjurera les catholiques vietnamiens d’être « catholiques avant tout ». Il avait eu l’espoir en 1945 d’un Etat chrétien au sud, « pas occidental mais local ». Il lui était « douloureux » de suivre Diem : « puissent les catholiques vietnamiens comprendre, avant qu’il soit trop tard, l’enjeu spirituel et humain du drame dont ils sont les acteurs et dont ils risquent de devenir les victimes » (N°875, 6 septembre 1963). Diem sera renversé par le coup d’Etat (fomenté par la CIA) du 1er novembre 1963 où il trouvera la mort avec un de ses frères.

Pour Le Cour Grandmaison, comme il le disait de la France avant et pendant le Front populaire, il ne suffit pas d’être anti-communiste. Il l’exprime de la Chine en 1963 en écho au fameux discours du général de Gaulle : « le réveil de la Chine est un fait. Le communisme ne fait que l’utiliser. Elle vient de bien plus loin. Une hypothétique défaite du communisme laisserait subsister l’essentiel du problème chinois ». Il conclut : « C’est nous qui ne sommes pas réveillés ».

Sur Tsushima, Jean-Yves Delitte et Giuseppe Baiguera, dans la série « les grandes batailles navales », Glénat, Musée national de la Marine, 2017.