Jean Le Cour Grandmaison : La France de l'Ouest - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Jean Le Cour Grandmaison : La France de l’Ouest

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Catholique ou « clérical » ? Conservateur ou « réactionnaire » ? Les distinctions parfois subtiles ont été pensées et appliquées à l’Ouest de la France par André Siegfried dans son célèbre « Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République » paru en 1913. D’elles découlent les étiquettes que l’on a pu accoler à Jean Le Cour Grandmaison, qui a représenté la Loire-inférieure (Loire-Atlantique depuis 1957) au Parlement sans interruption de 1919 à 1940.

Hormis le cœur de ville, Nantes et Saint-Nazaire, et le milieu pêcheur, le département était le plus à droite de toute la IIIe République. Siegfried y distingue quatre sous-régions, deux au nord de la Loire, la marge bretonne, de Savenay à Redon, et la marge angevine, Ancenis, deux au sud, la marge vendéenne, partagée entre le pays de Retz à l’ouest, le vignoble de Sèvre-et-Maine à l’est. Député de liste de 1919 à 1928, Jean Le Cour Grandmaison avait élu résidence à Genrouet dans la marge bretonne. Député d’arrondissement de 1928 à 1940, il était l’élu du Muscadet, la quatrième région sous-mentionnée. Siegfried l’avait caractérisée comme « bonapartiste », un peuple de vignerons, moyens et petits propriétaires, étant selon lui plus « démocratique » ; n’avait-il pas élu jusqu’à la guerre des députés de cette tendance depuis Gaudin, ministre de Napoléon, jusqu’au marquis de Dion, pionnier de l’automobile ? Il oubliait cependant que la région qui jouxte les Mauges avait été le territoire de la Vendée militaire. Le pays avait même conservé des usages féodaux comme le régime de la vigne à complant, la législation révolutionnaire n’ayant pu être appliquée du fait des guerres de Vendée et personne n’ayant pensé à changer l’ordre des choses jusqu’aux difficultés agricoles des années trente. Siegfried avait raison sur un point : on y rencontrait moins de propriétés nobles que dans les trois autres régions détenues depuis 1871 comme des fiefs par les mêmes familles qui y possèdent d’immenses propriétés, de père en fils ou à défaut en neveu : les marquis de La Ferronnays à Saint-Mars-la-Jaille (Ancenis), de Juigné à Bourgneuf et au lac de Grandlieu (pays de Retz), de Montaigu à la Bretesche en Missilac, Herbignac et Saint-Gildas (Redon). La circonscription de Chateaubriant était un peu différente, bonapartiste avec le baron d’Empire Ginoux-Defermon.

Cette mosaïque donne la clé d’interprétation de la question que se posait le grand bourgeois républicain protestant qu’était aussi Siegfried derrière sa méthodologie. Il voit bien que dans cette transition entre l’Anjou, la Vendée et la Bretagne, la noblesse tient un rôle prépondérant et non le clergé. Le « cléricalisme » s’accommode mieux d’un peuplement plus égalitaire, le curé et ses ouailles, sans interférence. Il y a une « exemplarité ligérienne » (David Bensoussan) avec la prédominance d’une aristocratie financièrement puissante, bien ancrée dans le terroir – près de la moitié des conseillers généraux sont nobles – et politiquement unie – légitimiste y compris après la mort du comte de Chambord -. Nécessairement, le clergé y occupe une position seconde, sauf que, comme Siegfried le relève à juste titre, le catholicisme de l’aristocratie n’y est pas de « parade » mais répond à de « réelles et profondes convictions ». Foncièrement catholique, pratiquante, éduquée dans les collèges religieux, et ultramontaine puisqu’après les grand pères en Vendée, les pères s’étaient mis au service du Pape, y compris chez les zouaves pontificaux, elle n’en est pas moins noble. C’est pourquoi, écrit toujours Siegfried, « si quelques-uns de ses membres, tel le comte de Mun, se déclarent « catholiques avant tout », la plupart ne renoncent pas à faire figure politique indépendante, en un mot à jouer leur propre jeu ». C’est en quoi il oppose conservateur et réactionnaire, sans donner à ce dernier terme un sens péjoratif. En quoi sont-ils plus « réactionnaires » que « conservateurs » ? Le père de Jean, Charles Le Cour Grandmaison, qui ne s’était pas rallié mais resta ami de de Mun, avait été élu sous l’étiquette « réactionnaire » à Nantes en 1885 contre un bonapartiste et un républicain.

Le terme « réactionnaire » sous la plume de Siegfried est le regret qu’un conservateur sincère peut ressentir de la position d’ « émigré de l’intérieur » adoptée par ces conservateurs-nés qui refuseront de voter des lois d’ordre social avec les conservateurs républicains simplement parce qu’ils sont républicains mais aussi parce que parisiens. Ce que Siegfried appelle « la politique du pire » et qui selon lui est « juste le contraire d’une politique conservatrice », la politique du drapeau blanc, correspond en effet à la volonté de cette « classe » noble de rester maîtresse chez elle. Elle préfère l’hégémonie dans son canton ou son arrondissement voire en Loire-inférieure le département, au « ralliement » à Paris. L’union des droites est acquise à Nantes parce que cette classe la domine ; à Paris les marquis – et Jean Le Cour – n’adhèrent à aucun groupe parlementaire, siègent parmi les non-inscrits ou les indépendants et ne prennent pas part au vote quand il s’agit de sujets qu’ils estiment ne pas les concerner, eux monarchistes de l’Ouest.

Or au tournant de la première guerre mondiale, cette société catholique rurale, appuyée sur les pouvoirs traditionnels ou « autorités sociales », à l’abri des vicissitudes politiques et sociales du reste de la France, comme figée par le tableau qu’en fait Siegfried, va poser à Jean Le Cour Grandmaison un défi inattendu. Certes elle fera toujours figure pour lui d’une sorte d’âge d’or, de société parfaite, de cité idéale. Dans la réalité il va devoir lui faire subir un premier changement de fond. Quand Castelnau lui demande l’appui des fédérations bretonnes, celui-ci est rien moins qu’évident, non par manque de conviction – ils seraient les premiers – mais par souci des « formes » ou des bienséances : MM. de Rennes et de Nantes, en d’autres termes les ordinaires, n’entendent pas se voir concurrencés dans leur charge. Mgr Le Fer de la Motte, évêque de Nantes de 1910 à 1936, ne connaît pas d‘union diocésaine.

L’Association catholique des chefs de famille (ACCF) en tient lieu. Au plan politique, le comité de la droite suffit à l’union nationale et catholique. Dans cette région, la défense religieuse n’a pas besoin d’une autre organisation que celle de la tradition. Elle est naturelle. Elle va sans dire. La Fédération Nationale Catholique (F.N.C.) introduit donc un certain élément de changement dans le monde catholique breton. Quelques années plus tard, l’Action catholique voulue par Pie XI aura encore plus de mal à faire son chemin dans les esprits même si Mgr Jean Villepelet, un proche de l’archevêque de Paris, le cardinal Verdier, et de surcroît le premier non-breton, succède en 1936 au siège nantais où il restera trente ans. Il ne saura pas s’imposer. Rennes, Angers et Luçon seront plus influents que lui.

La stabilité du modèle ligérien défiera le temps. Le comité de la droite traversera la seconde guerre, mais les marquis se sont effacés, leurs héritiers se contenant de charges municipales souvent jusqu’à leur mort parfois suivie de la liquidation de leurs grandes propriétés. Politiquement, la majorité du Conseil Général ne basculera qu’en 2004. A la députation, elle avait basculé en 1997. Plus longtemps la société avait perduré, plus rapide sera l’effet de rattrapage. La fin des paysans, l’urbanisation, ont eu cependant moins d’effets que la concurrence des systèmes scolaires.

C’est sur ce point qu’après la Libération, l’épiscopat du grand Ouest se mobilisera. Jean Le Cour contestera à cette occasion les analyses d’André Siegfried qui continuait dans les colonnes du « Figaro » les subtiles distinctions selon les terroirs. Ce ne sera pas avant 1964 que les parents d’élèves de l’enseignement public et de nombreux prêtres de paroisse à Nantes remettront en cause la « contre-société » catholique à base d’ « œuvres » et de quasi-monopole de l’école catholique, critère plus décisif que la pratique religieuse. De 60 à 75%, le taux de scolarisation dans le secteur privé en 1974, il était tombé à environ un tiers. La création d’écoles publiques s’est accélérée à partir de 1968 mais encore plus après 2000 en raison principale de l’exode vers les villes et des changements politiques.

Comme partout en France, mais plus significativement du fait de leur plus grand nombre, le nombre de paroisses en Loire-Atlantique était parallèlement divisé par quatre par regroupements.

Bibliographie

André Siegfried (1876-1959), de la grande bourgeoisie protestante du Havre, fils de Jules Siegfried, ministre. Professeur à l’école des sciences politiques et au Collège de France, chroniqueur au « Figaro » de 1935 à sa mort, élu à l’Académie française en 1945.

« Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République », 1913, réédition Université de Bruxelles, 1964.

« Le Tableau politique de la France de l’Ouest d’André Siegfried cent ans après. Héritages et postérités », colloque de Cerisy sous la direction de Michel Bussi, Christophe Le Digol, Christophe Voillot, Presses Universitaires de Rennes, 2016, dont notamment : Danielle Rapetti, « tableau politique et métamorphoses sociales des territoires dans la région nantaise ».

David Bensoussan, « Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres », Fayard, 2006

Du même, « itinéraire d’un traditionaliste : Jean le Cour Grandmaison », in mélanges en l’honneur de Serge Berstein, Fayard, 2006 , p.157-164

Gilles Richard, « La Loire-inférieure sous la quatrième république », Annales de Bretagne, 2000, p.121-147

« La recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948 », Presses universitaires de Rennes, 2004 et notamment : « Cazaux, Roques, Villepelet : trois portraits politiques d’évêques de l’Ouest », Frédéric Le Moigne, p.343 à 353.