Que l’école soit en difficulté aujourd’hui, c’est une réalité, largement confirmée par des gens de tous bords. J’en veux pour preuve le dossier que Marianne a publié dans son dernier numéro et où l’on voit notamment deux personnalités, aux convictions apparemment antinomiques, se retrouver dans des analyses très convergentes. Il s’agit, en l’espèce, de Philippe Meirieu, bien connu pour ses propositions sur la pédagogie qui ont fait l’objet de très fortes objections de la part de ceux, qui depuis des années, dénoncent la primauté conférée aux méthodes par rapport au contenu de l’enseignement. En face de lui, Claire Mazeron, vice-présidente du SNALC, syndicat enseignant qui a toujours récusé le pédagogisme. On pourrait croire qu’entre ces deux personnes si contraires, il y aurait affrontement sanglant. Ce n’est pas le cas, même s’il y a expression de désaccords et quelques piques confraternellement échangées.
L’un et l’autre s’accordent sur un constat. Il est très difficile d’enseigner aujourd’hui, parce que le public scolaire n’admet plus une certaine discipline élémentaire et qu’on s’est trop facilement résolu à se plier à ses caprices. Résultat : non respect des valeurs et explosion des incivilités. Claire Mazeron met en cause la promotion de l’enfant roi, a qui on a laissé une trop grande liberté et que l’on a flatté en voulant le mettre au centre du dispositif, comme si tout lui était dû. L’homme de gauche s’insurge contre ce qu’il appelle le « capitalisme pulsionnel » dont le déferlement produit des enfants à qui il faut tout accorder et tout de suite : « Quand tout un système marchand relaie l’idée qu’on ne rend heureux les gens qu’en cédant à leurs caprices, la machine est en marche ! »
La pédagogie, selon son promoteur, serait donc le contraire d’un asservissement à l’enfant roi. Elle consisterait en « une résistance active à un système néo-libéral qui infantilise les sujets pour les réduire à leurs pulsions primaires ». Somme toute, avec des références culturelles et idéologiques différentes, la droite et la gauche se retrouvent devant le même défi, et il faudrait peut-être envisager une étape ultérieure qui dépasserait le conflit entre ceux qu’on a appelés « les pédagogues et les républicains », pour qu’ils posent ensemble les fondements d’une institution scolaire qui rendrait confiance à ses enseignants, souvent amers et déçus. La seule question serait de communiquer au élèves le goût d’apprendre. Franchement, je crois que c’est possible et qu’il y a, par exemple, dans certains quartiers réputés à risque, des exemples probants d’enseignants qui se sont complètement investis dans leur tâche et qui ont obtenu des résultats étonnants. Tel est d’ailleurs le cas de notre invité d’aujourd’hui. Moins que jamais, il ne convient de laisser pourrir les situations. Il faut que l’école reprenne foi en elle-même. Mais pour cela, il faudrait peut-être aussi que l’ensemble de la société s’y mette, en privilégiant un certain nombre de valeurs, qui vont aussi bien à l’encontre d’un individualisme éclaté, celui de l’enfant roi, qu’à l’encontre d’un capitalisme pulsionnel, celui de l’argent roi et du zapping généralisé.
Chronique sur Radio Notre-Dame, le 19 mai
Lyonnais, né en 1961, Jean-François Chemain est hyper-diplômé mais, après une carrière de cadre, il a choisi d’enseigner l’Histoire-Géographie et
l’Éducation civique à Vénissieux-Les Minguettes.
Propos recueillis par Thérèse COUSTENOBLE
Jean-François Chemain, pourquoi écrire sur la vocation chrétienne de la France ?
La cause immédiate, c’est une conférence que Mgr Rey m’a demandé de faire entre les deux tours de l’élection présidentielle, en 2007, dans la cathédrale de Toulon, devant des élus chrétiens de son diocèse. Le thème, c’est lui qui l’a proposé, et il a ensuite cherché un historien pour le traiter. Comme je fais partie du mouvement Communion et Évangélisation qu’il a lancé en 2001, et que je venais de réussir l’agrégation d’Histoire, je me suis trouvé investi de la « commande ». La conférence fut un succès, et à la sortie les gens m’ont demandé : « Où est votre livre ? » Alors de retour chez moi, j’ai commencé à l’écrire.
Et les causes plus « lointaines » ?
J’enseigne depuis quelques années dans un collège de la banlieue lyonnaise, où la grande majorité des élèves est d’origine musulmane. C’est le résultat d’un parcours personnel un peu particulier qui m’a conduit, après Sciences Po Paris et une admissibilité à l’ENA, puis quinze ans en cabinet d’audit anglo-saxon et encore cinq ans comme cadre dirigeant à EDF, à tout quitter pour repartir à zéro dans l’Éducation Nationale. Vu mon âge et mes diplômes (je terminais aussi une thèse), on m’incitait plutôt à postuler en faculté, ou en classes préparatoires, mais je voulais aller en banlieue. Le point de départ de ce cheminement est une conversion radicale dix ans plus tôt, dans une petite église d’Avignon, tenue par un « Atelier d’évangélisation » ! Cette conversion/reconversion s’est accompagnée pour moi d’une remise en question de mon fond politique, puisque j’étais depuis mon adolescence un « compagnon de route » des idées d’extrême-droite. Le problème, pour un converti, venant de si loin, c’est que le vieil homme n’est jamais complètement mort, et que je conserve toujours ces tendances nostalgiques et pessimistes qui nourrissaient mes engagements antérieurs. Comment continuer à dire que « tout fout le camp » et que « on va droit à la guerre civile » quand on est supposé porter en soi l’espérance de la victoire finale du Christ ?
Vous croyez que la France bénéficie d’une « faveur divine » ?
L’attention de Dieu pour la France s’est manifestée par les apparitions, mariales et christiques, dont a bénéficié notre pays. Rien que depuis le début du XIXe siècle, près de la moitié des apparitions mariales officiellement reconnues par l’Église ont eu lieu en France ou en terre francophone (comme en Wallonie) ! Avec des messages spécifiquement adressés à la France, comme à La Salette, Pontmain, Pellevoisin, l’Île-Bouchard. Et il faut bien sûr penser à la demande du Christ à Paray-le-Monial, reprise au couvent des Oiseaux en 1823 : « Consacrez la France à mon Sacré-Cœur ! » Et encore aux apparitions dont a bénéficié sœur Mariam, au Liban : « La France est le jardin où j’aime à me reposer ! » Et à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus demandant au petit Van, à des milliers de kilomètres de là, de prier, et de faire prier pour la France ! Il y a aussi tous ces miracles, batailles gagnées, libérations, obtenues par des chefs politiques ou militaires qui ne se cachaient pas de les avoir demandées au Ciel. Ce qui justifierait que Dieu aime et aide la France, c’est pour moi tout simplement que l’existence même de notre pays a été dès les origines voulue par l’Église.
Pourquoi l’Église aurait-elle, à ce point, eu besoin de la France ?
Parce que, dès Constantin, l’Empire romain, et son successeur, le Saint Empire romain germanique, ont prétendu cumuler sur la tête de l’empereur les deux pouvoirs, religieux et temporel, en opposition à la phrase du Christ : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ». La principale menace contre laquelle les papes ont voulu se prémunir, c’est celle-là, et régulièrement ils ont fait appel à la France. Ainsi, de Pépin le Bref, qui les a donnés aux papes, à Napoléon III, qui en fut le dernier défenseur, les États pontificaux ont toujours été défendus par les Français. Et c’est en France, à Avignon, que les papes se sont réfugiés pendant trois quarts de siècles pour échapper aux menaces impériales et gibelines qui pesaient sur eux à Rome. C’est aussi ce qui explique des alliances françaises « paradoxales », comme celle de François Ier avec les Ottomans ou celle de Louis XIII avec les princes allemands protestants, au cours de la guerre de Trente Ans : chaque fois il s’agissait d’affaiblir l’Empire. Vous noterez d’ailleurs que ce n’est jamais la France qui s’est attribué ce titre de « fille aînée de l’Eglise », mais régulièrement les papes qui l’ont interpellée en ces termes !
Ces liens privilégiés expliquent-ils certains traits spécifiques de notre pays ?
Je crois notamment que notre penchant pour l’universalité (« catholique » signifie proprement « universel » !), notre tradition de terre d’accueil, ou encore notre conception intransigeante de la laïcité résultent directement de notre Histoire catholique !
Vous développez une approche originale de l’Histoire de la laïcité à la française…
La loi de 1905 a permis une reprise par l’Église catholique d’une indépendance réclamée depuis 1830 par Lamennais et Lacordaire ! Dès 1830, le journal l’Avenir exigeait une séparation complète de l’Église et de l’État, pour permettre à celle-ci de remplir sa mission sans avoir à se compromettre avec le pouvoir politique. N’oublions pas qu’à l’époque le clergé était fonctionnarisé, et dépendait du Ministère de l’Intérieur !
Certes, dans les faits, on vit Rome s’opposer à ces exigences et revendiquer la solidarité « du Trône et de l’Autel », mais c’était selon moi essentiellement à cause du traumatisme des persécutions révolutionnaires. La séparation se fit brutalement, Jean Sévilla a d’ailleurs bien décrit ce contexte où « les catholiques étaient hors la loi », mais je persiste et signe : fondamentalement, elle était dans l’esprit du catholicisme. Je parle évidemment ici de laïcité, pas de laïcisme, ou athéisme d’État, qui est une déviance, que Clemenceau résumait ainsi « rendez à César ce qui est à César… mais tout est à César ! ».
Vous affirmez que retrouver les racines catholiques de la France nous permettrait de relever de nombreux défis politiques !
Il est clair que l’on ne parviendra pas à faire face à certaines questions essentielles de notre temps en oubliant l’essence catholique de notre culture. Ainsi, comment réagir aux incessantes injonctions de certains musulmans, qui remettent en question des pans entiers de notre société, sans comprendre que si les choses sont comme ça, chez nous, c’est parce que nous sommes pétris de catholicisme ? C’est en tout cas l’exercice auquel m’invitent chaque jour mes élèves, sur les sujets les plus divers. Je découvre ainsi que parler de la France « en vérité » revient souvent, en fait, à évangéliser ! Et je constate aussi que, profondément, c’est ce genre de discours que les jeunes, quelle que soit leur origine, ont envie et besoin d’entendre. Alors je prends conscience que, en faisant avec conscience mon boulot de petit prof dans un collège de banlieue, je travaille à la fois pour la France et pour le Royaume ! Car c’est un peu ça l’idée générale de mon livre : ceux qui ont vraiment fait avancer la France, ont aussi travaillé pour le Royaume de Dieu.
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Jean-François Chemain, La vocation chrétienne de la France, préface de Mgr Dominique Rey, éditions Via Romana, 144 pages, 17 e.