Du temps de la guerre froide, certains politologues glosaient sur une possible compatibilité du communisme avec la démocratie, en particulier en Union Soviétique et dans les pays d’Europe de l’Est sous sa domination.
Étaient suggérés certains préalables comprenant des structures gouvernementales vraiment représentatives, l’ouverture des scrutins à la compétition, une classe moyenne bien assise entre les gigantesques fortunes et l’immense pauvreté, l’ouverture à la liberté de commercer et d’entreprendre.
Bien des Occidentaux assistant à l’éclosion du « Printemps arabe » l’an dernier — et croyant peut-être avec un soupçon d’optimisme que des pays comme l’Égypte, la Tunisie et la Libye, dominées par la dictature depuis des décennies pourraient devenir des démocraties viables — pouvaient croire de même à une possible compatibilité entre démocratie et Islam.
Peut-on imaginer qu’un État à majorité islamique serait capable d’accéder à la démocratie au sens où nous l’entendons — liberté d’expression, de religion, de presse, et compétition électorale, etc…?
Jusqu’à présent la meilleure approximation s’applique à la Turquie. Kémal Ataturk prit le pouvoir et changea rapidement la Turquie en quelque chose comme un État laïque, accordant de nombreuses libertés comparables à celles des pays d’Europe occidentale — y-compris un nouveau Parlement (La Grande Assemblée Nationale), interdisant hijabs et autres pièces de vêtements religieux, reconnaissant l’existence de minorités religieuses et leur accordant quelques menues libertés.
Cependant la Turquie a subi ces dernières années le choc des mouvements islamistes, et élu des musulmans dévots : Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre et Abdullah Gul, Président — tous deux hostiles à la laïcité d’AtaTurk, mais cherchant à obtenir la pleine admission dans l’Union Européenne.
Les changements récents dus à cette direction islamique se sont fait sentir essentiellement en politique étrangère — mise sous le boisseau des relations avec Israël et encouragement aux révolutions en Égypte et ailleurs. Gul est allé jusqu’à déclarer que le modèle turc serait un exemple à suivre par les nouveaux gouvernements issus du « Printemps arabe ».
L’Égypto-Américaine Nonie Darwish, ex-musulmane, explique pourtant dans The Devil We Don’t Know (Le Démon que nous ignorons) que les droits démocratiques limités accordés à la Turquie furent imposés par un dictateur laïque, exception temporaire à la transformation actuelle d’États islamiques.
Et elle met la pédale douce sur tout espoir d’apparition de démocratie, même inspirée du système turc, dans les pays récemment délivrés de leurs dictateurs lors du « Printemps arabe ».
Il y a deux raisons majeures à son pessimisme :
Premièrement, à moins d’un coup d’État établissant une dictature, il ne peut y avoir de constitution islamique qui ne donne priorité à la charia, compilation de coutumes et lois établie par des érudits musulmans et fondée sur le Coran et la biographie de Mahomet telle que relatée dans les « hadiths ». Divers dictateurs tels Hosni Moubarak, Ben Ali, Khadafi, ont soutenu la charia du bout des lèvres tout en essayant de conserver une certaine laïcité dans leur gouvernement. Mais ils étaient destinés à disparaître, par abdication ou renversement.
La présence de la Turquie à la porte de l’Union Européenne l’a contrainte à garder la charia dans un petit coin. Erdogan, célèbre pour sa déclaration « je suis le serviteur de la charia » lorsqu’il était maire d’Istanboul n’en a pas moins conseillé aux réformistes égyptiens désireux de prendre le pouvoir d’insister sur la formation d’un état laïque (fortement contesté par les Frères musulmans en Egypte).
Alors que la charia est en réserve en Turquie, nul ne s’étonnerait de la voir affichée dans les gouvernements réformistes récemment établis au Moyen-Orient. Et la « Démocratie » au sens où l’Occident l’entend est inapplicable, selon Mme Darwish, dans un pays où prévaut la charia:
« La charia ne laisse aucune place à la démocratie . . . . Non seulement les lois islamiques rejettent la liberté de parole et de religion, ainsi que l’égalité des droits pour hommes et femmes, pour Musulmans et non-Musulmans, des lois sanctionnent les délits sexuels par flagellation, décapitation, lapidation et autres, rendant virtuellement impossible l’établissement d’un régime démocratique.»
Mais Nonie Darwish ajoute une autre source d’inquiétude: tenir pour acquis les droits démocratiques des femmes sous la charia relève du fantasme :
« Les femmes ont droit à la moitié d’un héritage que peuvent percevoir les hommes; les femmes ne sont pas libres de se déplacer; la polygamie et les mariages de convenance sont permis aux hommes; un divorce ne peut être prononcé qu’à la requête du mari; un témoignage féminin devant un tribunal ne pèse que pour moitié devant un témoignage masculin ; on a le droit de marier des petites filles; la communauté de biens n’est pas autorisée entre mari et femme ; en cas de divorce, la garde des enfants de plus de sept ans est automatiquement attribuée à l’homme ; pas de pension alimentaire pour les femmes divorcées ; victime d’un viol, une femme doit produire quatre témoins masculins pour se faire entendre; la loi permet au mari de battre sa femme; un mari est pardonné s’il tue sa femme adultère ; la mise à mort « pour l’honneur » de femmes ou de jeunes filles est autorisée dans certains pays musulmans ; l’excision est autorisée.»
Nonie Darwish relève l’absence flagrante de femmes lors des manifestations de 2011 en Égypte. Elle cite la présence de 200 à 300 étudiantes manifestant sur la place Tahrir le 9 mars pour les droits des femmes à l’issue de la révolution. Elles furent frappées, brutalisées, et une vingtaine d’étudiantes arrêtées furent soumises à un contrôle de virginité, « soupçonnées » de prostitution.
Malgré les remarques de Nonie Darwish sur la condition féminine sous la charia il existe des mouvements que nul ne peut contrôler comme par le passé. L’expansion rapide d’Internet, avec les « iPads » et autres appareils électroniques de communication se répand dans tout le Moyen-Orient. La liberté dont jouissent les femmes dans le reste du monde peut être mieux connue, plus difficile à camoufler, ce qui pourrait bien amorcer des mouvements pour les droits de la femme dans les pays islamiques.
Vers la fin des années 1980 il n’y avait guère de prédictions sur la chute du Mur de Berlin et le démantèlement de l’Union soviétique. C’était alors impensable, et le monde a été pris de court. L’éveil d’un demi-milliard de femmes dans le monde de l’Islam, aussi improbable paraisse-t-il, pourrait-il nous surprendre ?
Ce serait le « facteur X » amorçant de véritables mouvements démocratiques en dépit de la charia.
Howard Kainz, professeur émérite à l’Université Catholique Marquette (Wilwaukee, Wisconsin).
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http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/democracy-and-islam-oil-and-water.html