Intuitions de l'Avent et accomplissement - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Intuitions de l’Avent et accomplissement

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« La Visitation », Rogier van der Weyden, vers 1445

« La Visitation », Rogier van der Weyden, vers 1445

[Musée des Beaux-Arts de Leipzig, Allemagne]

« Il vient un plus puissant que moi » (Luc 3:16). Ces paroles de Jean le Baptiste reflètent le ton chargé d’espoir de la liturgie de ce troisième dimanche de l’Avent. La scène, bien sûr, est la prédication de Jean au bord du Jourdain, et elle est immédiatement suivie dans l’évangile de Luc par le baptême de Jésus et le témoignage du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé ; je suis fort satisfait de toi ! » (Luc 3:22).

Mais ensuite, de façon inattendue, Luc insère le récit de la généalogie de Jésus. C’est comme si Luc prenait du recul pour peindre le plus grand décor, éclairant l’importance historique mondiale de ce qui venait de se produire.

Matthieu, bien sûr, livre également une généalogie du Sauveur, mais le fait au tout début de son évangile. Bien plus, en accord avec son propre projet évangélique, Matthieu commence avec Abraham, le père du peuple juif. La version par Luc de la généalogie de Jésus remonte au-delà d’Abraham cependant, jusqu’à Adam identifié comme « fils de Dieu » (Luc 3:38). Luc souligne par là la signification universelle de Jésus le Messie.

L’universalité de Luc apparaît également remarquablement dans le dix-septième chapitre des Actes des Apôtres. Paul est à Athènes, prêchant à l’Aréopage devant une foule incluant des philosophes stoïciens et épicuriens. De manière frappante, il commence en faisant appel à leur propre sens religieux, à leur quête du « Dieu inconnu », le Créateur « par lequel nous avons la vie, le mouvement et l’être ». Il va jusqu’à citer un de leurs poètes qui affirme : « nous sommes la progéniture de Dieu » [genos] (Actes 17:28). Toute l’humanité, Juifs et Grecs semblablement, partagent une généalogie commune.

Cette conviction ne diminue aucunement l’impératif de proclamer l’Évangile de Jésus Christ, Fils unique de Dieu ; mais elle procure un précieux point de contact avec les désirs indéfinis, les intuitions profondément ressenties de la présence de Dieu dans l’histoire et la culture humaine.

Pour cette raison, la tradition catholique, sous la conduite de Paul, a montré du respect pour la réflexion philosophique, pour la fusion de la foi et de la raison – en témoigne la grande encyclique de Saint Jean-Paul II « Foi et Raison ». Bien que certains, comme le bourru Tertullien, aient été sceptiques – « qu’est-ce que Athènes a à voir avec Jérusalem ? » grommelait-il – l’essentiel de la Grande Tradition cherche, avec Justin le Martyr, à discerner les « semences de vérité » (semina Verbi) là où elles se trouvent.

Vatican II s’aligne clairement sur cette tradition universaliste dans sa constitution dogmatique sur l’Église (Lumen gentium) en affirmant que toute manifestation de « bien ou de vérité » peut servir de « préparation à l’Évangile » (LG,16). Et sa constitution pastorale sur l’Église dans le monde moderne (Gaudium et spes) annonce joyeusement que, en Jésus-Christ Verbe Incarné, le mystère de l’homme se trouve pleinement révélé. « Car Adam, le premier homme, était une figure de celui qui allait venir, à savoir le Christ Seigneur. Le Christ, nouvel Adam, par la révélation du mystère de l’amour du Père, révèle pleinement l’homme à lui-même et rend claire sa véritable vocation » (GS,22).

La célébration chrétienne du temps de l’Avent n’est pas diminuée mais merveilleusement élargie lorsque l’on discerne les désirs ardents de l’Avent qui abondent dans la culture humaine en dépit de l’obscurité toujours menaçante. Il faut la perspicacité paulinienne pour discerner, parmi les idoles de la place du marché, l’unique autel dédié à la Déité inconnue mais ardemment désirée qui est la Source et le But, par qui nous avons la vie, le mouvement et l’être.

Quand le Tout-Puissant viendra en vérité, il purifiera et transformera assurément toutes nos intuitions, nos « indices et suppositions » comme les appelle T.S. Eliot. Mais il les bénira aussi et les amènera à un accomplissement au-delà de l’imagination.

Il y a quelque soixante ans, j’ai lu pour la première fois « Gitanji », le merveilleux livre « d’offrande lyrique » du poète bengali Rabindranath Tagore, qui a valu à son auteur le Prix Nobel de Littérature (premier non-Européen ainsi honoré). Un poème résonne profondément en moi chaque Avent.

N’avez-vous pas entendu des pas silencieux ?
Il vient, il vient, il vient toujours.

A tout moment et en chaque âge,
Chaque jour et chaque nuit, il vient, il vient, il vient toujours.

J’ai chanté de nombreux chants, dans différents états d’esprit,
Mais toutes leurs notes ont toujours proclamé :
Il vient, il vient, il vient toujours.

Chagrin après chagrin, ce sont ses pas qui obligent mon cœur à accepter,
Et c’est le contact doré de ses pieds qui fait rayonner ma joie.

On sent ici les intuitions de l’Avent et plus encore. Et, bien que la venue de Jésus-Christ appelle à la conversion, c’est une conversion au plus profond de tout ce que nous rencontrons, dans toute sa scandaleuse particularité. L’Évangile récapitule toutes les attentes et les pousse vers une épiphanie remplie d’émerveillement, un accomplissement au-delà de tout calcul humain. Le Christ vient comme un enfant, comme un criminel crucifié. Il vient dans ce pain et ce vin, transformant le fruit de la terre et du travail des hommes en son corps et son sang. La venue du Tout-Puissant rendu vulnérable, devenu incarné, humain, bien trop humain.

Le même Paul, qui discernait des points de convergence avec la culture de son temps, était prodigue de son insistance sur la nouveauté transfigurante de la venue de Dieu en Jésus-Christ. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1 Corinthiens 9:16). Sommes-nous réellement fascinés par cette réalité décisive de l’Avent ? Sommes-nous déterminés à partager la merveilleuse bonne nouvelle de la venue de Dieu ? Je crains que notre péril actuel ne soit pas le prosélytisme (contre lequel on nous met sans cesse en garde). Le scandale est plutôt notre trop timide proclamation, notre évangélisation hésitante.

La Venue du Seigneur est pure grâce, véritable présence de Celui qui vient. Par conséquent, comme la liturgie de ce dimanche nous y exhorte, Gaudete in Domino semper – réjouissez-vous toujours dans le Seigneur !