5 avril
Pour le 500e anniversaire de la naissance de Jean Calvin, je me suis fait à moi-même la promesse de lire au moins un ouvrage instructif sur le réformateur. C’est l’essai d’Olivier Abel qui s’est présenté naturellement à moi, dans une collection qui m’est familière, puisque c’est celle que dirige Olivier Germain-Thomas (Chemins d’éternité chez Pygmalion). Avec un tel auteur, proche de Paul Ricœur, professeur à la faculté protestante de Paris, je puis être assuré d’un regard original, bien informé certes, mais librement inspiré par l’insertion d’une pensée dans le présent. Avec les mises en perspective que cela suppose, ainsi que les questionnements qu’appelle la transmission d’un héritage. Je suis prêt éventuellement à être bousculé par une orientation spirituelle qui m’est étrangère, pourvu qu’elle touche des choses essentielles et provoque des conflits intérieurs. J’avoue que Calvin m’a toujours été lointain. Sans doute pour quelques raisons avancées par Olivier Abel. Il a une réputation antipathique: « il est l’une des figures les plus refoulées de la tradition occidentale. » De bien des choses on pourrait dire que c’est la faute à Calvin, comme d’autres on dit que c’est la faute à Rousseau, à Platon, à Marx ou à Nietzsche. Il appartient à cette tradition des auteurs maudits que l’on aime ou que l’on déteste. Suit l’énumération de tous les clichés auxquels on échappe difficilement, je le reconnais: « Calvin, c’est un Robespierre puritain, le type même du protestant inflexible et sectaire. C’est la théocratie intolérante, c’est le rationalisme iconoclaste, c’est l’utopie puritaine, c’est l’individualisme capitaliste, c’est le collectivisme stalinien, c’est le moralisme bourgeois, et bien d’autres choses encore, toutes aussi contradictoires. » Stefan Zweig est allé, en 1935, jusqu’à en faire un précurseur de la gestapo dans son magnifique « Castellion contre Calvin » que les éditions Le Castor Astral viennent de rééditer sous le titre « Conscience contre Violence » et où il décrit notamment les méthodes sournoises par lesquelles le tyran de Genève fit brûler Michel Servet…
Luther – que le même Zweig n’épargna pas en allant jusqu’à le comparer également à Hitler (dans sa biographie d’Erasme), m’a toujours paru plus proche en dépit d’incompatibilité sérieuses. Il m’est arrivé de lire des biographies (comme celle, assez passionnante et cruelle, d’Aimé Richardt parue cette année chez François-Xavier de Guibert), voire des textes de lui. J’ai pu être sensible à son drame intérieur, à sa révolte, au point de nouer des liens paradoxaux avec lui. Avec Calvin, quasiment jamais. J’en fais l’aveu sans gloire. C’est pourquoi je lui dois peut-être une petite réparation. En attendant, Olivier Abel me stimule, qui sans doute défend son modèle avec conviction mais aussi avoue ses perplexités, notamment en ce qui concerne la part des promesses et des réalisations effectives. Des choix du présent qui sont parfois ceux d’un passé qui n’a pas forcément eu lieu et d’un avenir énigmatique. J’accepte en tout cas l’expérience. On verra où elle me mènera.