Comment faut-il interpréter la décision romaine de donner à la rencontre entre le Pape et l’épiscopat polonais un caractère privé, en prologue des Journées mondiales de la jeunesse de Cracovie ? Y a-t-il une volonté de la part de François de favoriser ainsi la liberté des échanges, alors qu’il y a une réelle difficulté de compréhension et d’accord sur certains sujets cruciaux ? Celui de l’accueil des migrants est manifeste. Sans être exactement sur la ligne très rigoureuse de l’actuel gouvernement de Varsovie, les évêques polonais envisagent avec la plus extrême prudence l’arrivée possible des flux de réfugiés fuyant les convulsions du Proche-Orient. Il y a d’ailleurs là-dessus un consensus évident avec les autres épiscopats d’Europe centrale. Qu’il puisse y avoir une franche explication sur une telle question, d’évidence complexe, il y a lieu de s’en féliciter. Le Pape, lui-même, ne se doit-il pas de préciser sa pensée sur certains points pour être mieux compris ? À diverses reprises, il a évoqué la nécessité d’une intégration sérieuse des personnes accueillies qui doivent s’adapter aux pays qui les reçoivent. Mais quand l’immigration atteint une grande ampleur, avec des millions de postulants, la tâche intégratrice s’avère infiniment plus difficile.
L’épiscopat polonais a bien d’autres préoccupations à partager avec François. S’il a la chance de disposer de l’encadrement d’un clergé nombreux, de congrégations religieuses florissantes et d’un peuple chrétien vivant profondément de la pratique sacramentelle, il doit aussi affronter l’évolution d’une société tentée par les dérives d’un modèle de consommation à l’occidentale. Comment envisager les changements des attitudes devant la vie, en adoptant une pastorale évangélique, plus orientée vers une « écologie humaine » que se crispant sur un moralisme rigide ? Il pourrait d’ailleurs y avoir entre nos Églises une confrontation bienfaisante, puisque la nôtre, par exemple, est en mesure de tirer les enseignements d’une expérience qui, si elle fut souvent cruelle, n’en est pas moins riche de suggestions. La situation politique de la Pologne – qu’il nous faut juger avec prudence, faute d’en avoir une connaissance exhaustive ou directe – semble significative d’une tension assez redoutable entre une tendance libérale tentée par nos réformes sociétales et une tendance conservatrice, tentée par l’autoritarisme. Le catholicisme polonais, qui est lui-même en proie à de profondes interrogations, pourrait jouer un rôle médiateur. Il serait intéressant d’avoir, à ce propos, l’avis motivé de nos amis du Tygodnik powszechny. Très marqués par l’empreinte intellectuelle et doctrinale d’un Karol Wojtyla qui participa à leurs travaux, ils doivent être en mesure de faire fructifier une tradition qui associe la fidélité à la créativité.
Faut-il ajouter que nous n’échappons pas, nous autres Français, à ces interrogations ecclésiales. Les derniers mois n’ont pas été faciles pour notre Église, aux prises avec une campagne médiatique qui l’a souvent conduite à la défensive. D’évidence, ce type de tourmente est l’occasion d’une remise en question profonde, avec les révisions qui s’imposent et sont la condition d’un redressement de l’institution. Cependant, si éprouvante soit-elle, cette crise ne saurait empêcher une réflexion plus générale sur nos grandes orientations pastorales. Tout se passe comme si par timidité, si ce n’est par idéologie, toute une partie de notre appareil hésitait (lorsqu’elle ne s’y oppose pas carrément) à tirer les conséquences du formidable réveil qui s’est opéré dans les profondeurs du peuple catholique, refusant de toute son âme la destruction de notre civilisation morale. Les effets en chaîne de ce soulèvement de la vie continuent, grâce au Ciel, de se développer et de produire leurs fruits. Il est grand temps pour notre Église d’en prendre conscience et d’adopter une ligne de conduite propre à susciter une véritable renaissance spirituelle.