Quel rapport entretient France Catholique avec les images ?
France Catholique est un vieux journal quasi centenaire et son public est depuis très longtemps austère et intellectuel. Cela ne dérangeait pas les abonnés quand, dans les années 50, il paraissait dans un grand format, comme Le Figaro ou Le Monde, avec des textes interminables et sans aucune image.
La sensibilité artistique était très traditionnelle. Un de mes prédécesseurs, Michel Denis, m’avait confié : « Il suffisait que l’on rende compte d’une exposition d’art moderne ou que l’on cite simplement le nom de Picasso pour déclencher un courrier des lecteurs hostiles voire des désabonnements. » C’était dans les années 60.
Mon prédécesseur presque direct, Robert Masson, a su faire évoluer le journal et son public en introduisant, à partir des années 70, des illustrations nombreuses et en faisant appel à une journaliste géniale, du nom d’Ariane Grenon, qui a éduqué notre public à l’art pictural moderne.
Ami de l’historien calviniste Pierre Chaunu (encore un iconoclaste) Robert Masson a aussi laissé entrer la caricature politique dans le journal : Emmanuel Chaunu (le dernier fils de Pierre) a fait ses débuts chez nous, à 19 ans, et on sait quelle carrière il fait actuellement, notamment à Ouest-France et au théâtre. L’éducation calviniste d’Emmanuel Chaunu et son tempérament contestataire font un mélange fort explosif. Cela dit, nous l’avons utilisé pour des brochures de pure évangélisation sur des thèmes comme la vie après la mort, les horoscopes, les origines de l’homme, avec chaque fois un effet formidable qui est de désamorcer les préventions naturelles des gens à qui on veut dire quelque chose de profond, par un petit dessin qui fait sourire mais qui en dit long et donne envie d’en savoir plus.
Et la bande dessinées ?
Là c’est peut-être ma sensibilité propre. J’ai été biberonné aux « petits miquets » dès ma plus jeunes enfance. Je reste fan des productions Fleurus et notamment de « Sylvain et Sylvette » (si magnifiquement réédités par les éditions du Triomphe) qui m’ont appris à lire. Le magazine Pilote m’a appris l’humour et enseigné la qualité d’un bon scénario et d’un bon graphisme. Quand j’ai pris la direction de France Catholique à la fin des années 90, j’ai constaté que notre public était constitué de beaucoup de grands-parents qui connaissaient bien la bande dessinée et croyaient en son rôle pour transmettre une certaine culture à leurs enfants et petits-enfants. C’est pourquoi France Catholique s’est investi dans deux aventures qui lui ont coûté cher avec la reprise sans lendemain de journaux1 destinés à la jeunesse où le dessin était très présent.
Nous connaissions depuis longtemps Brunor, génial évangélisateur par l’art, issu de la communauté de l’Emmanuel où, avec Michael Lonsdale, il a longtemps animé un groupe d’artistes chrétiens. Brunor est passé par le journal Tintin et il connaît son métier d’auteur de bandes dessinées. Il a par ailleurs une imagination poétique et une culture théologique impressionnantes. Or aucun éditeur, chrétien ou non, ne lui donnait sa chance pour les albums qu’il portait. C’est France Catholique qui a pris le risque de lui éditer des albums cartonnés (format Tintin) après les avoir publiés en feuilleton dans le journal, et le succès a été immédiat. Notre public, qui souhaite toujours transmettre sa foi aux plus jeunes, a été enthousiaste mais, comme pour tout le public de la bande dessinée aujourd’hui, les quadra et les quinquagénaires n’ont pas été les moins motivés pour cette aventure, notamment en raison de ses aperçus scientifiques. Ce sera donc un de nos motifs de fierté que d’avoir rendu cette aventure éditoriale possible.