À l’instar de penseurs comme Pierre Manent et Marcel Gauchet, vous diagnostiquez l’impasse du fonctionnement politique actuel. Pour quelle raison ?
Pierre de Lauzun : Même un regard superficiel confirme l’impasse actuelle : le décalage croissant entre les opinions et les élites politiques, le délitement et l’éclatement des partis et la montée de ce qu’on appelle populisme, en sont des symptômes immédiats. Derrière on peut lire la sourde angoisse naissant de la dégradation du lien social et de la perte de repères, sans parler de la mondialisation, des migrations ou de l’écologie. Tout se passe comme si face à une montée des interrogations, on ne se sentait pas les ressources collectives pour les affronter ensemble. Au-delà des péripéties politiques, françaises ou autres, j’y vois le signe d’un phénomène plus profond et de longue durée : l’aggravation des effets destructeurs du paradigme qui domine notre pensée collective depuis trois siècles et qui culmine dans le relativisme et l’individualisme actuels.
Ce que l’on appelle le « populisme » en est-il un symptôme ou une solution ?
Le populisme en est manifestement un symptôme, et un symptôme important : c’est en effet une remise en question parfois brutale des élites dominantes, en qui une partie appréciable de la population n’a plus confiance. Il peut avoir une influence appréciable dans l’immédiat sur nos systèmes politiques, comme le montrent les exemples de Trump, Johnson, Salvini ou Orban, et peut-être de façon plus durable. Mais ces noms montrent déjà que le populisme recouvre des réalités très variables. Surtout, pour être une solution sur la durée, un mouvement politique doit montrer qu’il peut déboucher sur une vie commune profondément renouvelée, y compris au niveau de la vie politique. Cela suppose que la vision sur laquelle vit la société soit elle-même renouvelée en profondeur et traduite dans les faits ; ce qui implique une élaboration intellectuelle appréciable, combinée avec l’émergence d’élites nouvelles et de manières nouvelles de vivre en commun. Mais à ce stade non seulement les divers populismes ne proposent rien de tel, mais leur positionnement même les conduit à refuser la plupart de ces tâches. D’où à terme le risque soit de l’échec, soit d’une dérive.
Comment les chrétiens doivent-ils se positionner dans cette longue période de transition ? D’autant que le système électoral oblige à des choix politiques très fréquents…
Il est impératif de bien garder à l’esprit la distinction des deux horizons. D’abord l’horizon long, structurel, mais indispensable à terme, du remplacement du paradigme dominant par un autre. Ensuite, l’horizon court de la vie immédiate. Là où l’action est de toute façon indispensable, et aussi plus à notre portée, c’est au niveau de la base, dans notre action autour de nous : famille, travail, associations, entreprise, commune, etc., ainsi que dans la réflexion et l’élaboration intellectuelle, indispensable comme je l’ai rappelé. Et c’est aussi cette action-là qui est la plus féconde à long terme, car si elle est suffisamment suivie par assez de gens elle finit par permettre une vraie transformation. Mais il ne faut pas abandonner l’action politique, même si elle est plus frustrante par nature, et qu’elle l’est plus encore si vous vous inspirez de principes ou valeurs qui sont en porte-à-faux par rapport au système de pensée dominant.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans le magazine.
— Pierre de Lauzun, Pour un grand retournement politique, éd. du Bien Commun, 364 pages, 20 €.
— Pierre de Lauzun, Pour un grand retournement politique, éd. du Bien Commun, 364 pages, 20 €.