Quand Rome a défait Carthage durant la Troisième Guerre Punique, les Romains ne furent pas satisfaits d’avoir obtenu la victoire. Ils voulaient que Carthage ne soit pas seulement vaincue mais totalement anéantie, de façon que cette antique ennemie de Rome, qui avait causé à la cité d’immenses souffrances et de terribles angoisses durant les deux premières Guerres Puniques ne puisse pas se relever. Les Romains décidèrent de suivre l’avis que répétait Caton l’Ancien, à la fin de chacun de ses discours au Sénat : « selon moi, il faut détruire Carthage. »
Et donc, après avoir gagné la Troisième Guerre Punique, Rome a rasé Carthage et dispersé sa population. Quelques siècles plus tard, une nouvelle cité du même nom fut construite sur le même site (c’est dans cette Carthage ultérieure que saint Augustin a effectué ses études poussées et est devenu manichéen). Mais l’ancienne cité, la Carthage phénicienne de Didon et d’Hannibal avait disparu pour toujours. Elle n’a plus jamais causé d’ennui à Rome.
Nous en sommes à ce point (le point où l’adversaire doit être détruit) dans la guerre qui oppose l’idée chrétienne de la sexualité et l’idée profane moderne de la sexualité. La révolution sexuelle, qui a débuté il y a quelque cinquante ou soixante ans, a eu pour résultat une victoire très convaincante pour les révolutionnaires. Le comportement sexuel conforme à l’idée chrétienne a été battu. Mais maintenant, les sécularistes procèdent à l’étape suivante : la destruction complète, la pulvérisation, l’annihilation de l’opinion chrétienne.
Les chrétiens, vaincus, pourraient souhaiter dire : « très bien, vous avez gagné la guerre. Nous renonçons au combat pour la suprématie. Ne pouvez-vous être miséricordieux ? Ne pouvez-vous nous tolérer comme on tolère une minorité sans défense, de la même manière qu’on tolère ceux qui croient aux soucoupes volantes ? » Les révolutionnaires sécularistes du sexe répondraient : « non, vous et votre éthique sexuelle avez perturbé le monde durant trop de siècles. Vos crimes sont innombrables et impardonnables. Nous devons nous assurer que votre éthique ne reviendra jamais gâcher les plaisirs du monde. »
Grosso modo, dans la décennie qui a suivi la Deuxième Guerre Mondiale, l’éthique sexuelle protestante était toujours dominante en Amérique. L’Américain moyen croyait toujours à la plupart des vieux tabous sexuels : pas de fornication, d’adultère, d’avortement, d’homosexualité. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde respectait ces interdictions. Toutes étaient violées de temps en temps, évidemment. Malgré tout, les gens croyaient en ces interdictions.
Bien sûr, il y avait des lézardes dans la vieille éthique protestante. Le protestantisme classique avait autorisé le divorce pour un motif unique : l’adultère. Mais cette limite avait été abandonnée depuis longtemps ; dans les années cinquante, il y avait plusieurs motifs autorisant le divorce. Et dans les années d’entre les deux guerres, la contraception dans le cadre marital a été largement acceptée parmi les protestants américains.
L’éthique sexuelle catholique était encore plus stricte que la protestante. Le catholicisme rajoutait des interdictions sur le divorce et la contraception aux interdictions protestantes de la fornication, de l’adultère, de l’avortement et de l’homosexualité. Plus encore, le catholicisme, contrairement au protestantisme, magnifiait l’idéal du célibat, rendant obligatoire la chasteté du célibat pour les prêtres, religieux et religieuses.
Bien que la plupart des Américains, étant protestants, ne désiraient pas adopter l’éthique catholique, ils la toléraient de bon cœur. Et dans une certaine mesure, ils l’admiraient même, car il était évident que les catholiques, dont la majorité était composée d’arrivants récents aux Etats-Unis, n’étaient pas aussi mauvais qu’ils avaient été présentés durant les siècles de la propagande religieuse anglo-américaine.
Tout cela s’est effondré, et cela a commencé dans les années 60. Quasiment en une nuit, semble-t-il, la fornication était devenue bien, et ne nécessitait pas d’être accompagnée d’amour ou de promesses. La contraception n’est pas seulement devenue bien, c’était devenu obligatoire. Et pas seulement pour les couples mariés, également pour les partenaires sexuels non mariés. La cohabitation était devenue bien. L’avortement aussi. Et après l’arrêt Roe contre Wade, en 1973, il est même devenu légal et d’accès facile.
Ça a pris un peu plus de temps pour que l’homosexualité devienne bien, mais ce jour est arrivé, comme cela était inévitable en raison du rejet de la vieille éthique sexuelle chrétienne.
L’opinion chrétienne sur la sexualité ayant été vaincue, son annihilation commence. L’acceptation du mariage homosexuel est un pas dans cette direction. C’est une manière séculariste de dire, non seulement que l’homosexualité est moralement permise, mais qu’elle est aussi noble et bonne que ce que les chrétiens tiennent pour la meilleure forme de sexualité : la sexualité maritale.
Le transsexualisme est un autre pas dans cette direction. C’est le rejet de la notion biblique que « Dieu les fit mâle et femelle » (Marc 10:6) – une notion erronée soutenue par Jésus, ce rabbi du premier siècle au grand cœur mais à l’esprit borné.
La polygamie, la polyandrie, le mariage ouvert (c’est-à-dire l’adultère par consentement mutuel) ne sont pas encore largement acceptés. Mais ils le seront, car leur acceptation découle logiquement du principe fondamental de la révolution sexuelle, qui est le rejet de la pensée chrétienne sur la sexualité. Tout comme l’acceptation de l’homosexualité ne s’est pas faite immédiatement dans les années 60 ou 70, de même que l’acceptation de l’adultère a pris également quelques décennies. Mais ne vous inquiétez pas : cela va venir bientôt.
Cependant, le facteur le plus puissant dans cette destruction systématique de la pensée chrétienne sur la sexualité, ce n’est pas la multiplication de pratiques sexuelles contraires au christianisme que l’on trouve dans le monde actuel. Pas plus que la large acceptation de ces pratiques par des gens qui, pour raisons personnelles, préfèrent ne pas les adopter pour eux-mêmes.
Non, le facteur qui joue le plus, c’est l’exclusion, une exclusion sociale de plus en plus marquée qui tend à devenir une exclusion juridique, de l’expression des opinions chrétiennes sur la sexualité. Si vous, chrétien dépassé, ne vous situant pas « dans le sens de l’histoire » (pour reprendre une expression favorite du président Obama) déclarez que le la fornication est un péché, ou que l’avortement est un meurtre, ou que l’homosexualité est contre nature, ou que le transsexualisme est une vieille lune, vous êtes dénoncé comme sectaire, haineux, misogyne, homophobe, transphobe ou crétin fini. Vos jugement négatifs sont « des discours de haine ». Et les dénonciations de vos crimes deviennent de plus en plus véhémentes et de plus en plus fréquentes chaque jour.
Le but est de faire en sorte que l’éthique sexuelle chrétienne ne soit plus, comme Carthage, qu’un simple souvenir.
David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island. Il est l’auteur du livre « le déclin et la chute de l’Eglise Catholique en Amérique ».
illustration : « la noble action de Scipion », tableau de Nicolas Poussin visible au musée Pouchkine de Moscou. Ayant vaincu Carthage, le général romain Scipion l’Africain rend une femme, butin de ses troupes, a son légitime fiancé.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/04/22/our-sexual-carthage-must-be-destroyed/
Pour aller plus loin :
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Édouard de Castelnau
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010