Avez-vous remarqué l’évolution du sens du mot « idéologie » ? Il me semble perturbant, à propos d’idéologie, d’entendre dire comme actuellement: « à mon avis, aucune preuve du contraire ne saura vous convaincre. »
À l’école des Sœurs, de mon temps, on apprenait qu’il valait mieux s’attacher aux idéaux qu’aux idéologies; qu’il fallait nous efforcer d’être raisonnables plutôt que déraisonnables, l’Idéologie faisant partie, selon la Sœur, de la seconde catégorie, alors que les idéaux étaient les authentiques principes où reposait la véritable raison.
Nous sommes fondés à attendre de nos lois qu’elles s’appuient sur des idéaux, et non sur l’idéologie. Les idéaux impliquent une délibération, une recherche de la vérité et le souci de chasser et corriger les erreurs. Les idéaux présupposent la transcendance de la vérité et notre capacité à la discerner.
L’idéologie n’attend rien de cela ; elle se contente d’une soumission à des idées adoptées sans retouches. En fait, apporter des corrections serait impensable car l’idéologie, faisant souvent fi de la vérité objective, se justifie sur ses propres idées.
Les Pères Fondateurs [des États-Unis] ont senti que l’idéologie, vue ainsi, pourrait ouvrir la porte aux excès populistes. Malgré le risque, ils se sont pourtant lancés dans la grande aventure du gouvernement par le peuple. Ils ont agi ainsi parce que persuadés qu’en définitive les idéaux l’emporteraient sur l’idéologie dans le cœur des hommes; et que le bon sens suffirait à rendre évidentes certaines vérités fondamentales.
Naturellement, ces idéaux reposaient sur leur croyance en Dieu et en Sa Parole. Depuis, bien des générations ont passé en laissant de côté les fondements de l’héritage religieux qu’elles avaient reçu. Alors se pose la question: le système, fondé sur la croyance en l’existence de Dieu, peut-il encore durer ?
Les catholiques comprennent que l’éveil des consciences et des vertus, rendant possible le gouvernement par le peuple, est une tâche de longue haleine. Pour modeler une bonne conscience il faut faire appel à nombre de sources, la parole de Dieu, l’enseignement de l’Église, et l’exemple d’autrui. Pour dégager ces vertus, nous pouvons compter sur les grâces venues des sacrements et de la prière. Ce sont des dons de valeur et d’efficacité inestimables.
Mais alors, quid du nombre croissant de gens qui ne se réclament d’aucune appartenance religieuse, ou ne croient pas en Dieu? Leurs consciences peuvent-elles les guider dans leur vie de citoyens ? Peuvent-ils maîtriser les qualités nécessaires à la démocratie ? Ou sont-ils un symptôme de la défaillance du système ?
Dans sa première encyclique, Lumen Fidei, S.S. François (sur un texte amorcé par Benoît XVI) remarque: «Celui qui se met en chemin pour faire le bien s’approche déjà de Dieu, est déjà soutenu par son aide, parce que c’est le propre de la dynamique de la lumière divine d’éclairer nos yeux quand nous marchons vers la plénitude de l’amour.» (35)
C’est un rappel important qui devrait nous rendre espoir. L’homme de bonne volonté, même non-croyant, reçoit déjà l’aide de Dieu. Sa conscience s’élève jour après jour. Tant qu’il suit ce chemin il peut faire des progrès en sa raison, formant ses idéaux au lieu de se soumettre à l’idéologie. La bonne volonté en est l’indispensable composant. Sans être aussi efficace que l’enseignement de l’Église, elle apporte la certitude que le cœur reste ouvert à ce que le Cardinal Newman appelait le « premier vicaire du Christ » — la conscience.
J’ai souvent eu l’impression que la meilleure remarque sur notre forme de gouvernement (attribuée parfois à Barnum [le célèbre Cirque], parfois au Président Lincoln, parfois à un journaliste anonyme), supérieure à toutes autres, se résume ainsi: « On peut tromper certaines personnes tout le temps, on peut tromper tout le monde à l’occasion, mais on ne peut tromper tout le monde tout le temps. »
En tant qu’Américains, nous adhérons à ce dernier point — on ne peut tromper tout le monde tout le temps. Bien que ce soit en apparence un argument bien maigrichon, il ne contredit nullement l’enseignement de l’Église sur la distinction entre le monde politique et la religion.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié en 2007 une Note Doctrinale sur ce sujet. Il mérite d’être entièrement lu, médité et cité. Ces mots devraient retenir notre attention: « La foi n’a jamais prétendu enfermer les éléments socio-politiques dans un cadre rigide, ayant conscience que la dimension historique dans laquelle vit l’homme impose de tenir compte de situations imparfaites et souvent en rapide mutation. »
Situations imparfaites: elles seront toujours présentes. Et on continue avec cette précision que l’Église sera toujours la protectrice du caractère transcendant de l’homme.
L’Histoire montre qu’il est en fait plus difficile de soutenir une idéologie qu’un idéal au fil du temps. C’est parfaitement sensé: à la fin, c’est le caractère transcendant de la personne humaine, avec le soutien de la grâce divine, qui rend viable notre système de gouvernement.
Source : Against “Ideology” : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/against-ideology.html
Illustration : Drapeaux du Vatican et des États-Unis.
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20021124_politica_fr.html