Nous sommes plusieurs à avoir précédemment écrit à propos de nos iconoclastes contemporains, ceux qui ont jeté bas des statues de Christophe Colomb, de Robert E. Lee, de Junipero Serra et d’autres hommes blancs morts. Plus récemment, ils ont même jeté leur dévolu sur Shakespeare et les mathématiques.
De fait, l’iconoclasme est parfois charmant, comme lorsque, après 1989, nous avons assisté au déboulonnage des statues de Marx, Lénine et Staline dans la vieille Union Soviétique et ailleurs – une manifestation de liberté qui a été saluée par tout le monde à l’exception des communistes et socialistes invétérés.
Et par le passé, en 1776, à New-York, les Fils de la Liberté ont jeté bas une statue du roi George III ( copiée sur une statue de Marc-Aurèle de la colline romaine du Capitole) et en ont fondu le plomb pour faire des balles – 42 088 selon le New York Times.
Cependant, la plupart du temps, l’iconoclasme est répugnant, il est le résultat d’une haine sectaire. Le « bûcher des vanités », entrepris par le frère Jérôme Savonarole en est l’exemple. Savonarole est venu au pouvoir au 15e siècle à Florence, une cité au cœur de la Renaissance italienne, et, comme le résume une source, il supervisa l’autodafé de « manuscrits irremplaçables, de sculptures antiques, de peintures modernes et anciennes, de tapisseries inestimables et de nombreuses autres œuvres d’art de prix » – tous objets jugés par lui occasions de pécher. C’était clairement sectaire : un catholique – avec l’aide d’autres catholiques – détruisant l’iconographie d’artisans catholiques.
Mais le frère dominicain est loin d’être le seul exemple d’une attaque orchestrée contre l’art catholique. Dans le sillage de la Réforme Protestante, des attaques contre les églises, l’art cultuel et les œuvres d’artistes catholiques se sont répandues à travers l’Europe, les plus connues au sein du « Beeldenstorm » (la furie iconoclaste) des Pays-Bas. En commentaire accompagnant l’exposition de longue durée « In Praise of Painting » (A la louange de la peinture), le Metropolitan Museum of Art explique :
Durant la seule année 1566, les iconoclastes protestants ont détruit selon les estimations 90% de l’Art aux Pays-Bas. C’était le commencement de la révolte néerlandaise contre la loi catholique espagnole. D’un coup, les espaces publics naguère pleins d’œuvres d’art furent dénudés. Dans cette nouvelle république néerlandaise, les artistes ne pouvaient plus compter sur des commandes d’église ou de cour.
C’est vrai dans une certaine mesure, et bien que la loi catholique soit mentionnée, la phrase « espaces publics » manque à rendre compte que beaucoup de cet art saccagé se trouvait à l’intérieur des églises.
Si vous étiez un chantre du calvinisme, vous pourriez soutenir que le Beeldenstorm ressemblait beaucoup à une action d’un autre groupe américain, les Fils de la Liberté : le déversement de thé dans le port de Boston en 1773. Mais un petit groupe protestant contre une taxe en jetant du thé vert dans la baie de Massachussetts pour une valeur de près de deux millions de dollars, est-ce réellement comparable aux foules détruisant, comme l’avait fait Savonarole, des artefacts sans prix et irremplaçables à Gand, Delft et Anvers ?
Bon, le Tea Party et le Beeldenstorm étaient tous deux les premières escarmouches de révolutions. L’an 1566 est celui du début de la révolte néerlandaise, et tout comme les Américains le feraient deux siècles plus tard, les Néerlandais avaient des raisons de se séparer de leurs chefs espagnols. Cependant, les Américains n’ont ni rejeté la religion d’Angleterre ni détruit les églises anglicanes à Boston ou New-York. Aux Pays-Bas, cependant, la Révolte (début de la guerre de quatre-vingts ans qui s’est terminée en 1648) était déjà un autre conflit sectaire, un qui a opposé les catholiques et les protestants et conduira à la dégradation des églises et à leur transformation en lieux de culte protestants, au bannissement des messes et à la diminution de la présence catholique et du patrimoine catholique partout dans le pays : une nation entièrement catholique en 1500 est devenue majoritairement protestante vers 1600.
Bien que les catholiques aient été de rang inférieur dans la société néerlandaise, ils étaient généralement tolérés. (L’histoire de l’endurance des catholiques néerlandais, de la fragmentation du protestantisme et du destin des juifs aux Pays-Bas est aussi compliquée que fascinante et, dans le cas des juifs durant la Seconde Guerre Mondiale, tragique).
Après la suppression, la renaissance peut venir, mais le déclin est également possible. Curieusement, après la fin de la suppression officielle du catholicisme aux Pays-Bas, les catholiques sont redevenus le plus grand groupe religieux, bien que principalement en raison de l’affaiblissement de la ferveur protestante. Les catholiques romains font maintenant 23,6% là où les protestants sont tombés à environ 18% ; suivis par les musulmans à 5,1% et les « autres religions » (hindous, bouddhistes, juifs) à 5,6% en tout.
Les protestants sont presque irrémédiablement divisés et diminués : Eglise Réformée néerlandaise 6;4%, Eglise Protestante des Pays-Bas 5,6%, Calvinistes 2,9%.
Mais vous avez peut-être remarqué qu’en ajoutant ces pourcentages de catholiques, protestants et « autres religions », vous n’atteignez pas les 100%. Loin de là. Cela parce que 51% des Néerlandais sont « sans religion », sans affiliation ni croyance. (NB : l’addition ne tombe pas juste en raison des arrondis dans les pourcentages.)
Bien sûr, si vous regardez le tableau 2, vous remarquerez que le nombre de catholiques est décevant : bien qu’étant plus nombreux à se déclarer Néerlandais catholiques, ils ne sont pas vraiment fervents (voir l’assistance à la messe, pourtant une obligation). Et bien qu’il n’y ait plus beaucoup de Néerlandais réformés, au moins ceux-là vont à l’église.
Donc, parfois, après l’iconoclasme vient le cataclysme. Les églises peuvent être restaurées, les statues et les niches de cierges réinstallées. Cette statue de George III, par exemple, a été refondue par un sculpteur new-yorkais pour le Musée de la Révolution Américaine à Philadelphie.
Mais le temps passant, des connexions essentielles peuvent être perdues. Pas nécessairement pour toujours, mais le risque existe. C’est le danger de la simple démolition. Dans son premier discours inaugural, le président Lincoln parlait de « nos cordes mystiques de mémoire » qui, la guerre se profilant, « allaient cependant jouer le refrain de l’Union lorsqu’elles seraient de nouveau touchées, comme ce serait certainement le cas, par les meilleurs anges de notre nature ».
Il semble que ce soit arrivé, mais aujourd’hui nous sommes en grave danger de nous rendre aux pires démons de l’histoire, alors que le Diable a son jour de gloire.