Civium turmas fugiens petisti,
Ne levi posses maculare vitam
Crimine linguae.
Praebuit durum tegumen camelus
Artubus sacris, strophium bidentes,
Cui latex hausum, sociata pastum
Mella locustis.
Ceteri tantum cecinere Vatum
Corde praesago jubar affuturum ;
Tu quidem mundi scelus auferentem
Indice prodis.
Non fuit vasti spatium per orbis
Sanctior quisquam genitus Joanne,
Qui nefas saecli meruit lavantem
Tingere nymphis.
[Sit decus Patri, genitaeque Proli,
Et tibi compar utriusque virtus
Spiritus semper, Deus unus, omni
Tempori aevo. Amen
Traduction française
Pour fuir les attroupements de tes contemporains :
Tu ne veux pas qu’une parole légère
Puisse entacher ta vie.
Le chameau fournit un rude vêtement
A tes membres sacrés, les brebis une ceinture,
La source de quoi boire, et comme nourriture
Du miel et des sauterelles.
Des prophètes tous les autres n’ont fait que chanter
De leur cœur inspiré la lumière à venir ;
Toi de ton doigt tu montres Celui qui enlève
Le péché du monde.
À travers l’immense étendue du monde
Personne ne naquit de plus saint que Jean :
Le mal de son temps, il eut mission de le laver
En le plongeant dans les eaux.
L’an passé, nous avions chanté la naissance de Jean-Baptiste avec l’hymne des vêpres de la vigile, dont la première strophe est à jamais célèbre pour avoir fourni les notes de la gamme : Ut queant laxis… Hymne due à Paul Diacre, moine du Mont-Cassin (720-790). Prenons aujourd’hui l’hymne des matines, constituée par les quatre strophes suivantes. Ces strophes n’ont rien d’ambrosien. Quatrains certes, mais de trois vers de 11 syllabes, suivis d’un vers de 5 syllabes. Les quatre premières strophes précédaient la naissance de l’enfant, racontant l’annonce de l’ange, le doute de Zacharie, qui en perdait la voix, et l’épisode de la Visitation.
Les quatre strophes de matines évoquent la mission de Jean, jusqu’au Baptême du Christ. Les précisions de temps et de lieux ne sont pas le souci de Paul Diacre. En poète, il tient à proposer des images qui frappent l’imagination. Première strophe : Jean tout enfant (sub teneris annis) fuit au désert. La mission qu’il porte, sans le savoir encore, ne peut s’accommoder de la vie en société et des dangers de la langue. Les lèvres d’un futur prophète doivent rester pures pour porter la Parole.
La strophe suivante dresse Jean en pied. Portrait de l’impressionnant personnage, tiré fidèlement de Matthieu (3,4) et de Marc (1,6). Rien n’y manque : le chameau qui fournit la tunique de poils, les brebis la ceinture, les abeilles le miel, et les sauterelles. Les mots choisis sont plutôt rares : bidentes, brebis qui a sa double rangée de dents, donc de deux ans ; strophium pour la ceinture, mot grec, corde ou lacet de laine ou de cuir tressé. Mots justes mais qui ne vont pas sans une recherche de pittoresque.
C’est que Jean est unique. La strophe qui suit commence par ceteri. Tous les autres prophètes ont chanté la Lumière à venir (jubar est étonnant, c’est l’étoile du matin, puis l’éclat des corps célestes : on reste dans le registre poétique). Toi, tu quidem, forte opposition à ceteri, tu n’annonces pas seulement de la voix, tu montres du doigt, indice, comme au retable d’Issenheim, où l’index tendu désigne le Crucifié.
La quatrième strophe peut le proclamer : personne ne fut plus grand que Jean, dont le baptême dans l’eau du Jourdain annonçait le baptême dans l’Esprit, la fin de l’Ancien Testament et l’avènement du Salut.