En décembre dernier, Anthony Esolen a critiqué sur cette page, les vandales qui détruisent les grandes hymnes. Aujourd’hui, je veux parler d’une hymne qu’il mentionne, « How Great Thou Art (Que Tu es grand). » Les vandales l’ont laissée tranquille jusqu’à présent, et c’est ce qu’ils doivent continuer de faire car c’est un chef-d’œuvre.
Les catholiques ne la connaissent pas très bien. Chez les protestants en revanche, il se place généralement juste derrière « Amazing Grace » dans les sondages. Billy Graham l’a présentée dans ses campagnes d’évangélisation, chantées par le grand Bev Shea de sa voix sonore. La mélodie s’adapte facilement à un contexte protestant, type « gospel ». Mais les catholiques ne la chantent pas souvent, peut-être parce qu’elle ne correspond pas à un temps liturgique particulier. Plus semblable au gospel, ce chant ne s’inscrit ni dans la grande musique traditionnelle, ni dans les pseudos chansons pop.
Cette hymne est un chef-d’œuvre parce qu’il est profondément athanasien. Par athanasien, en référence à saint Athanase dans son traité sur l’Incarnation, il fait à la fois, l’éloge du Sauveur du monde et de la Parole par laquelle le monde a existé. Par conséquent, il unifie la Création et la Rédemption, l’apostolat chrétien et l’amour de la nature, si important dans une société où une perte généralisée de la foi correspond aussi à une perte du sens de la nature.
Les paroles de l’hymne proviennent d’un poème de 1885 d’un ministre laïc, Carl Boberg, inspiré par ce qu’il a vu en rentrant à pied d’un culte, le long de la plage de Mânsters, en Suède. La terre y est basse, l’eau parsemée de nombreuses îles, un peu comme la côte du Maine, aux États-Unis. Boberg a été stupéfait simplement par la majesté des nuages et de la lumière après un orage. Son poème a commencé :
O Dieu puissant, quand je vois l’émerveillement
De la beauté de la nature, forgée par Tes mots,
Et comment Tu nous mènes jusqu’au royaume d’en-haut,
Soutenant la vie terrestre dans l’amour bénin,
Rempli d’extase, mon âme loue Ton nom,
O Dieu puissant ! O Dieu puissant !
Le fils de Boberg a expliqué plus tard que le poème de son père était une méditation du Psaume 8, « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? »
Certaines hymnes sont écrits d’un seul trait et ont une forme définitive dans leurs langues originales, comme Stille Nacht (« Douce nuit »). Deux cents ans plus tard, nous utilisons toujours la mélodie de Franz Xaver Gruber, ainsi qu’une traduction proche des paroles originales du Père Joseph Mohr. Mais ce n’est pas le cas de l’hymne « How Great Thou Art (Que Tu es grand) » et cela fait partie de son attrait. Il a été bricolé et ajusté à plusieurs reprises, et dans divers pays ; œuvre commune de divers chrétiens, tous unis dans leur admiration de Dieu, Créateur et Rédempteur.
Les musiciens trouveront curieux que le poème a été initialement mis en musique dans un triple temps déconcertant ! Cela parait étrange que ceux qui connaissaient le poème ont si mal jugé son cadre musical, de fait inapproprié. Mais en l’espace d’une décennie, la version familière en quatre temps de la mélodie l’avait supplantée. Dans cette version, les intervalles dans le refrain (« How great thou art ! How great thou art ! ») fait croire que le chanteur soupire d’amour. (Le tempo Rubato est recommandé.)
La version anglaise des paroles de Stuart K. Hine de 1949 a été acceptée dans le monde entier, grâce à une sorte de sensus fidelium. Il a une structure claire : deux couplets qui expriment l’émerveillement de Dieu Créateur, puis les deux suivants, l’émerveillement de Dieu Sauveur. Ici, il est dans son intégralité1
:
Ô, Seigneur, mon Dieu, lorsque je songe avec émerveillement
A tous les mondes que Tes Mains créèrent ;
Je vois les étoiles, j’entends le tonnerre gronder,
Ton pouvoir se révèle dans tout l’univers.
Mon âme te chante alors, Dieu, mon Sauveur,
Que Tu es grand, que Tu es grand.
Mon âme te chante alors, Dieu, mon Sauveur,
Que Tu es grand, que Tu es grand !
Lorsque j’erre à travers les bois et les clairières,
Et entends le doux chant des oiseaux dans les arbres.
Quand je vois, du haut de la montagne majestueuse,
Le ruisseau et que je sens la douceur de la brise.
Et quand je pense que Dieu, n’épargnant pas son fils,
L’envoya à la mort, je ne peux qu’à peine comprendre ;
Que sur la Croix, portant volontiers mon fardeau,
Il saigna et mourut pour racheter mes péchés.
Lorsque le Christ viendra, sous les cris d’acclamation,
Et me ramènera chez moi, quelle joie emplira mon cœur.
Puis je m’inclinerai, en humble adoration,
Et clamerai alors : « Mon Dieu, que Tu es grand ! »
Mais seuls les deux premiers couplets de Hine dérivent de Boberg. Les deux autres ont été composés par Hine lui-même. Hine était missionnaire en Ukraine, où il a été témoin de la dévotion ukrainienne qui impliquait à l’époque, des actes de repentir public. C’est ce qui a servi de base à son troisième couplet.
Hine a été contraint de quitter l’Ukraine à cause de la famine artificielle de Staline en 1932-1933. Il a ainsi fait de son troisième couplet, un mémorial à ces 10 millions de chrétiens assassinés. La prochaine fois que vous l’écouterez, imaginez la voix d’un paysan ukrainien robuste.
Le dernier couplet de Hine est un témoignage des réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est apparemment inspiré du sort d’un homme qu’il connaissait, un athée, qui a été séparé au début de la guerre de sa femme, une chrétienne. Quand ils ont été séparés, l’homme s’est converti au christianisme. Il passa le reste de la guerre à chercher sa femme, à partager avec elle sa joie dans leur foi maintenant commune, en vain. Le couplet exprime donc l’espoir de cet homme d’une union éternelle après la mort.
Anthony Esolen aime observer comment les œuvres de la tradition contiennent une véritable diversité, contrairement aux textes uniformes proposés pour s’adapter à la « diversité ». De même, dans cette hymne que certains pourraient considérer comme un chant moyen qui ne mérite pas notre attention, nous pouvons pourtant y trouver un poète suédois marchant sur le rivage dans l’humilité ; un paysan ukrainien, à genoux, dans la pauvreté ; et un réfugié, aspirant à retrouver sa bien-aimée.
- O Lord my God, When I in awesome wonder,
Consider all the worlds Thy Hands have made;
I see the stars, I hear the rolling thunder,
Thy power throughout the universe displayed.Then sings my soul, My Saviour God, to Thee,
How great Thou art, How great Thou art.
Then sings my soul, My Saviour God, to Thee,
How great Thou art, How great Thou art!When through the woods, and forest glades I wander,
And hear the birds sing sweetly in the trees.
When I look down, from lofty mountain grandeur
And see the brook, and feel the gentle breeze.
(Refrain)And when I think, that God, His Son not sparing;
Sent Him to die, I scarce can take it in;
That on the Cross, my burden gladly bearing,
He bled and died to take away my sin.
(Refrain)When Christ shall come, with shout of acclamation,
And take me home, what joy shall fill my heart.
Then I shall bow, in humble adoration,
And then proclaim: « My God, how great Thou art! »
(Refrain)