Il m’arrive de penser par paradoxe, et c’est pourquoi j’ai écrit cette courte nouvelle, avec en vue d’être explicitement provocant :
« Un quidam, rencontré au cours d’une promenade au Jardin du Luxembourg, a voulu me faire part de ce que venait de lui confier un de ses proches amis…
″C’est entre nous, n’est-ce pas ? Je suis très perturbé par ce qu’il vient de me dire. Il craque, c’est évident, comme l’on dit de quelqu’un qu’il s’abandonne à la désespérance et à la culpabilité. J’en suis encore épouvanté. C’est au téléphone seulement qu’il a osé me confier son désarroi et les motifs de sa chute dans la nuit ; voici, remis en ordre, ses pitoyables aveux.″
Je l’arrêtais sur le champ : ″ Cher monsieur que je ne connais pas mais que je devine extrêmement tourmenté, allons d’abord prendre place sur la terrasse du Royal. Je vous écouterai avec une attention plus soutenue si je puis en même temps soutenir mes neurones et l’esprit avec une Karlsgrimmel de bon aloi…″
Ce que nous fîmes et trouvâmes bonne place au soleil. Le garçon fut rapide à prendre nos consommations comme à nous les apporter. Par bonheur personne près de nous pour gêner le récit de mon quidam ! Je dois le dire, avec un soulagement certain, je découvris en cet homme quelqu’un de distingué, d’érudit, de conversation agréable… Une fois que nous nous fûmes apprivoisés l’un l’autre, ce qui nous prit un certain temps et nécessita une nouvelle tournée, celle-ci à ses frais, il me rapporta l’essentiel des aveux de son pauvre ami :
″Voici en quelques mots les étrangetés qu’il me fit entendre : ‘Je suis homophobe parce que catholique ; je suis catholique parce qu’homophobe… Nos gouvernants et nos médias, je viens de le comprendre, sont admirables de lucidité : ils ont tout compris. Jamais depuis que la France existe nous n’avons été gouvernés et informés par une aussi clairvoyante classe politique, soutenue il est vrai par des journalistes aussi brillants que remarquablement informés.
‘Il est probable que si je suis catholique c’est par ignorance ou folie, et homophobe par sottise ou perversité : il va falloir que je m’en repente et que je me convertisse (mais je ne sais pas à quoi), et c’est pourquoi je te confie ces quelques mots arrachés de mon esprit grâce à l’efficace pédagogie de ce gouvernement héritier du hollandisme le plus pur, auquel je serai éternellement reconnaissant.’
″Ai confiance, je t’écoute : dis-moi ce qui te perturbe ainsi ! ″Il me répondit :
‘Vraiment, est-ce que je puis désormais penser autrement quand je lis toutes les horreurs révélées sur les cathos en général et donc sur moi – dans un journal quotidien aussi respectueux de la vérité que Le Monde ? Par un hebdomadaire aussi perspicace que le Nouvel Observateur ? Par un autre dont les intelligents collaborateurs font preuve d’une aussi stupéfiante délicatesse humaine que celle dont témoigne Charlie Hebdo ? Je ne veux pas oublier les équipes de surdoués qui fleurissent au sein de Libération et le Canard enchaîné ! Le Point et l’Express suivent, naturellement… J’ignorais tout de nos méfaits ! Bête à ce point ! Cruauté de la Vérité ! J’ai pensé cette nuit à me jeter par la fenêtre…
‘Qu’en penses-tu ? Là sont à l’évidence rassemblées les élites de la nation française, n’est-ce pas ?
″Es-tu certain qu’ils aient raison ?″ Il sursauta et me répondit avec une véhémence furieuse, comme d’un illuminé :
‘Est-ce qu’il serait légitime de mettre en doute les analyses stupéfiantes de clarté qui s’entendent sur les plateaux de France 2 et France 3 ? Sur ceux de Canal +, dont j’apprécie la condamnation dont ils m’honorent, cela par obligation intellectuelle, respect d’un tel savoir, admiration d’une aussi surprenante charité envers le pauvre « être humain » que je suis, même s’il m’arrive, après les avoir lus et entendus, de douter que je puisse encore revendiquer cette nature ? Même TF1 s’est mis au goût du jour. Comment ne pas être confondu par le degré de culture historique, politique, sociétale, artistique, littéraire, transcendante en somme, dont ces journalistes déversent les trésors dans nos oreilles comme dans nos yeux ?
‘Oui, l’impression écrasante qui me submerge est bien de me contempler, grâce à leur médiation, comme dans un miroir véridique : horrible je suis et à jamais ! Oui, je suis fort coupable envers eux, moi qui n’ait jamais pu abandonner ce tissu de fariboles, comme ils disent avec à propos, héritées des temps ancestraux où régnaient les plus sulfureuses doctrines, sans parler de ces choses impensables dont le moindre des savantissimes collaborateurs de la Gauche plurielle sait d’avance comment en délivrer nos neurones, jusqu’ici esclaves d’une foultitude de superstitions endémiques.’
″Voilà, cher monsieur, il fallait que je trouve une oreille attentive, un secours humain en somme, parce que moi-même je me découvre des plus impressionné par ces paroles à la vérité stupéfiantes. Paralysantes pour un esprit comme le mien, facilement impressionnable.″
Ainsi s’exprima le quidam : les intonations dont il ornait ses phrases m’avaient persuadé de sa sincérité, de son émotion tout autant que de son inquiétude. Je percevais combien il craignait pour son ami et lui-même.
Ces confidences faites sous le sceau du secret m’ont particulièrement affecté ; je ne dois rien dire, bien entendu, de l’identité du quidam, sénateur je crois, avec lequel je resterai certainement en relation, ne serait-ce que pour le soutenir dans sa triste épreuve, et pas plus celle de son ami, un écrivain célèbre, un peu trop porté sur l’alcool ! C’est que moi aussi, je suis catholique et donc fatalement homophobe, puisque tous ceux qui ont accès aux gros et gras médias subventionnés par nos impôts nous affirment que les deux mots sont dorénavant associés pour l’éternité tels des synonymes ou des clones : le problème est que, si je sais pourquoi je suis catholique et tiens à le rester – simplement parce que j’ai lu les Évangiles, étudié la vie du Christ et des saints, pris connaissance de l’enseignement de l’Église, encore qu’il me reste beaucoup à faire, tous travaux que nos contempteurs se sont bien gardés d’accomplir tant ils leur paraissaient plus difficiles encore que ceux d’Héraclès – je ne sais toujours pas ce que signifie le mot homophobe (je demande à ce que soient pardonnée cette misère intellectuelle).
Comment pourrais-je n’aimer pas un quelconque de mes « semblables », si je traduis ainsi et à la hâte ce mot aussi gros qu’une malle ? Jésus indique son devoir à tout chrétien, donc à tout catholique : « aimer comme soi-même ses semblables humains » ; plus encore « aimer à la façon dont Lui-même a aimé ses frères d’ici-bas, jusqu’à donner sa vie pour eux » ? En somme Jésus demande que soient aimés par le chrétien tous ses semblables, hommes et femmes ; cela signifie que j’ai, par fidélité au Christ, obligation d’être, non homophobe, mais homophile, pour reprendre ces mots devenus d’une telle ambiguïté qu’en vérité on ne sait plus ce qu’ils signifient, et même s’ils signifient. Mais, disant cela au quidam, aussitôt il a eu comme un mouvement d’horreur : « Ah non ! Pas homophobe, oui, mais homophile, non ! », a-t-il rugi avant de s’éclipser.
Or rapportant cette rencontre à l’un de mes amis personnels, plus au fait que moi des mœurs d’aujourd’hui, me fit apercevoir que ce n’est pas si simple et que le mot « semblable » tel que compris par nos contemporains est entendu dans un tout autre sens qu’autrefois : ne sont désignés par les sociologues les plus avertis comme « semblables » que ceux qui s’accouplent comme le font les dissemblables sans pour autant appartenir à leurs caste d’intouchables, et ce sont ces « semblables »-là – tout genre confondus, mis à part les dissemblables – qui accusent les catholiques de ne pas les aimer comme il convient puisqu’ils ne comprennent rien à leur fonctionnement sexuel devenu pour eux comme l’essence de leur identité ; puisqu’ils n’acceptent rien de ce fonctionnement simplement parce que la seule idée de ces façons de faire leur paraît par évidence de l’ordre d’un impensable renversement sociétal comme d’une inacceptable perversité. Je l’écoutais, fasciné par ses propos que je jugeais des plus étonnants.
– Es-tu certain de ce que tu dis ?
– Je le suis, car c’est l’objet de toutes les conversations en ville. Tu ne sors donc jamais de chez toi ?
– Il est vrai, je suis un vieux maniaque, toujours fourré dans son bureau à écrire, à lire, à tenter de réfléchir quoique n’y parvenant que rarement…
– Alors écoute-moi…
Il me fit une longue description de ce qu’était devenue la civilisation, deux ans après les bouleversements provoqués par le passage météorique du Président Hollande au Palais de l’Élysée : j’en fus abasourdi.
J’entends bien fortement distinguer entre les êtres et leurs curieuses et parfois révoltantes habitudes : moi-même, je suis sujet à des emportements grossiers, des colères soudaines et infondées. Je déteste en moi ce qui ainsi se révèle, mais je ne commets par l’erreur stupide de me croire réduit à n’être que ces emportements, ces colères, dont, pour être le véritable « Moi-même » que je me dois d’aimer, il me faut parvenir à me débarrasser : et si je n’y puis parvenir totalement, qu’au moins ce soit peu à peu par élimination progressive… Au fond, l’une des caractéristiques de mon être intérieur sera de vouloir ne plus accomplir ce que pourtant je fais, mais par progrès successifs où se révèle l’action de la grâce divine, efficace parce que désirée et ainsi obtenue.
C’est au fond ce que je souhaite à ces messieurs et dames : la meilleure façon d’aimer son prochain. Ils confondent leur être profond avec leurs badineries obsessionnelles de peau à peau, voisines trop souvent de l’abjection : qu’ils en viennent donc, pour leur plus grande joie (et même plus grand bonheur), à se considérer du point de vue du Ciel, c’est-à-dire du Royaume éternel déjà présent en chaque Humain. Je n’ai de véritable obligation qu’à ce point de vue : jamais on ne pourra me convaincre que je dois, pour être « homophile », accepter en le justifiant ce concept de sexualité à tout va, sans contrainte, sans limite, sans objection ; entériner des vices comme on le fait des vertus. En somme, éliminer de mes certitudes des enseignements directement issus de la Parole divine pour n’être plus qu’une multitude d’échos dissonants, disparates, contradictoires.
L’ami savant me dis : refuser l’anti-culture, l’anti-civilisation. Fuir la barbarie, synonyme ici de désastre.
Je n’avais pas convaincu le quidam, pourtant à la recherche d’une consolation pour son ami. Il est vrai que je lui avais affirmé que je considérais comme une gloire d’être accusé d’homophobie, à condition toutefois que ce soit en tenant compte des explications ici formulées, ce qui lui a paru beaucoup trop obscur alors que je pensais à une illumination.
Dominique Daguet