C’est pour partager une peine que je m’adresse aujourd’hui à vous, chers amis. J’ai appris, en effet, hier, la mort, à Marseille, du philosophe Jean-François Mattéi, auteur d’une œuvre considérable, penseur toujours ancré dans la sagesse profonde et ne dédaignant pas d’interroger notre bel aujourd’hui pour le mieux comprendre et percevoir ce qui pourrait nous sauver de ses dangers. Faut-il préciser qu’il n’avait pas peur de s’engager dans nos combats les plus brûlants et que, dans la grande bataille du mariage et de la famille, il tint toute sa place, avec sa lucidité et sa sagacité habituelles.
Jean-François Mattéi était né à Oran, en Algérie, en 1941. Comme la plupart de ses compatriotes pieds-noirs, il connut l’épreuve de l’exil en 1962. Il avait 21 ans. Jamais, il n’oubliera la lumière de la Méditerranée. D’ailleurs, c’est sur son autre rive qu’il fixa son séjour, notamment à Marseille et à Nice où il enseigna longtemps. Sa fidélité à ses origines ne s’est jamais démentie, et elle s’est particulièrement exprimée dans l’attachement qui était le sien envers la personne et la pensée d’Albert Camus. Il a beaucoup écrit sur l’auteur de L’étranger, dont il épousait à la fois les enchantements et les craintes. Car il n’y avait pas seulement la splendeur de Tipasa, il y avait aussi la menace constante d’une démesure qui pouvait provoquer les pires catastrophes. N’est-ce pas Frédéric Nietzsche qui, sur ce point, s’était montré le plus avisé : « Il n’y a pas de belle surface sans une profondeur effrayante. »
Jean-François Mattéi lisait Camus, avec, en mémoire, son extraordinaire culture qu’il avait su déployer dans ses travaux plus techniques. Je garderai le souvenir de l’homme que j’ai pu rencontrer en diverses circonstances, avec sa cordialité, sa simplicité et cette intelligence singulière qui permettait de comprendre un peu moins mal le monde présent, pour s’indigner à juste titre mais surtout pour sauver ce qu’il y avait de beau dans notre humanité. Je me joindrai, jeudi, à la prière de son épouse et de ses enfants, pour la cérémonie de Marseille.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 26 mars 2014.