Homélie du 31 décembre 2018 donnée à La Flatière - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Homélie du 31 décembre 2018 donnée à La Flatière

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Trois ans après mon ordination, je célèbre une messe à Bethléem, à 5 heures du matin, sur le lieu de naissance de Jésus. Je pars ensuite marcher dans la campagne environnante. Au pied d’une falaise, devant une grotte. Une femme s’affaire à faire cuire une galette sur un feu de bois, son compagnon prépare du thé à la menthe. Ils m’invitent à se joindre à eux. Je m’assieds sur une grosse pierre. Un petit enfant, de deux ou trois ans vient se caler contre mes genoux. Il me regarde en souriant. Comment vous expliquer pourquoi je fonds en larmes ?…

À chaque messe, nous ne faisons qu’un avec Jésus, et tourné avec Lui vers le Père, dans l’élan de l’Esprit, nous sommes invités à crier… Oh, un cri du cœur ! Saint Paul ose à peine nous traduire le mot hébreu : « Abba » (Papa). Allez en Israël dans un jardin d’enfants, vous entendrez crier sans cesse : « Abba ! Abba ! »

Il se peut que votre père ait fait preuve de dureté à votre égard. Ce fut mon cas. Je me revois disant à ma mère : « Pourquoi Papa ne m’aime pas ? » Elle me répondit : « Tu te fais des idées ! » Il me semble que nous nous faisons souvent des idées sur Dieu. Nous n’estimons pas à sa juste valeur le cadeau de la vie.

Un certain Jean-Paul Sartre, lorsqu’il était enfant, avait brûlé un petit tapis de son grand-père. Ayant caché les restes, il se dit : « Dieu me voit. J’étais une cible vivante. » Le petit Jean-Paul n’a cessé de transmettre son athéisme à des multitudes. Si votre père a été trop froid ou trop sévère, pensez à la petite Thérèse Martin, qui écrivait : « Et moi, j’étais avec Dieu comme une petite fille dans la maison de son papa et qui se croit tout permis. »

En quoi Dieu est-Il notre papa ?

Il est, par rapport à nous ce qu’une source est à un fleuve, ce qu’une racine est à un arbre. Dire « Dieu ne m’intéresse pas » équivaut à dire : « Cela m’est égal de savoir qui je suis. »

J’ai été très impressionné, durant ces quelques jours, par le degré de Foi et d’Espérance que j’ai vu ici. Chapeau à tous ceux et celles qui vous ont transmis le feu sacré… C’est un beau cadeau !… Mais « si vous avez beaucoup reçu, il vous sera aussi beaucoup demandé. » Vous ne garderez cette ferveur que si vous la partagez.

L’élan peut venir de deux côtés : la blessure de Dieu et la souffrance de nos frères humains. D’un côté, en lisant quelques-uns des 73 livres de la Bible dans lesquels Dieu s’exprime, vous entendrez la douleur d’un père qui voit ses enfants lui fermer la porte. Vous vous mettrez à la place de Dieu. Vous vous direz : « Il Se tient à la porte de chacun. Il voudrait lui faire comprendre pourquoi Il lui a donné la vie, quel est Son Projet, Son rêve sur l’homme. Et voilà que tel ou telle Lui tourne le dos. Lisez Isaïe, Jérémie, Osée, Ézéchiel…

Dieu ne cesse de pleurer sur la détresse de Ses enfants, et souvent ce qu’Il tente pour les avertir, les retenir sur le chemin du mal, les enseigner, les éclairer, échoue. « Que puis-Je pour toi, Mon peuple, ton amour a la légèreté de la brume du matin » (Osée 6, 4).

Le Dieu qui Se révèle et Se donne dans la Bible est un Père émerveillé de Sa créature et qui souffre devant la froideur, devant l’ignorance de la plupart de Ses enfants. Il leur répète : «  Pourquoi ne vois-tu pas la beauté de la vie que Je t’ai donnée ? Pourquoi ne vois-tu pas ce cadeau vertigineux ? Je suis la Source, Je suis la Vie de ta vie. Comment dois-Je m’y prendre pour éveiller ta gratitude ou ta curiosité ? Je vois bien qu’elle ne comble pas ton cœur cette vie où tu galères pour étudier, pour trouver un travail à ta mesure, où tu n’as pas toujours la conviction d’être emporté dans une magnifique aventure.

L’homme moderne ressemble aux gazelles de Saint Exupéry. Elles se laissaient mourir dans leur enclos car il leur manquait l’étendue où elles s’accompliraient. Dieu a très mal aujourd’hui en voyant des jeunes sombrer dans l’addiction des faux plaisirs et des faux bonheurs.

En vous contemplant durant ces quelques jours-ci, je m’interrogeais : « Ces jeunes ont l’air tellement heureux ici. Seraient-ils une espèce en voie d’apparition ? »… Des jeunes qui cherchent Dieu, des jeunes qui aiment qu’on leur parle de Lui. Comme ce monde où Dieu est trop absent a besoin d’eux et les attend !

Tant de fils et de filles de Dieu ne savent rien de leurs origines. Un Dieu ? Ils n’en demandent pas tant ! Mais que nous ne soyons pas seulement un bel agencement d’atomes. Que l’esprit ne soit pas une vaine prouesse de la matière, issue du hasard et promise dans quelques années à la disparition… Si vous saviez comme la vie est courte ! Comme elles sont proches les années de mes concours hippiques, de mes périples en peaux de phoque de Chamonix à Zermatt…

Où seront les visages aimés si la disparition définitive est notre seul avenir ? Aimer un être, c’est lui dire : « Tu ne peux pas mourir ! » Dieu ne peut pas, depuis plus de trois mille ans, nous demander de nous aimer et puis, un jour, « Stop ! Disparaissez ! Rideau, fin de la pièce. Vous finissez par m’ennuyer! »

Si vous saviez combien j’ai connu de jeunes de quinze à trente ans, aussi beaux que vous, aussi ardents, aussi vivants que vous, qui ont quitté volontairement la vie… Parfois, une petite humiliation, un rien, un rien de déficit d’amour… comme cette lycéenne de quinze ans à laquelle un surveillant maladroit avait dit en ramassant sa copie : « Toi, que tu travailles, ou que tu ne travailles pas, cela ne changera rien. Tu es née sous une mauvaise étoile ».

« Dieu S’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu » (Saint Irénée). Dieu S’est fait vulnérable, Il S’est mis à la merci de la maladie des hommes. Une maladie qui se nomme « indifférence » et « cruauté ».

« Devenir Dieu » et aimer, c’est la même chose, puisque « Dieu est Amour ». Et ce projet est immense. Cela dépasse l’imagination. C’est lorsque la chenille est devenue papillon qu’elle comprend pourquoi il lui a fallu traverser tant de métamorphoses douloureuses. Les blessures de nos contemporains vers lesquelles vous allez pour les soulager, ce sont elles qui donnent du sens à votre existence. On n’a pas toujours la chance de grimper jusqu’à un balcon du quatrième étage d’un immeuble pour sauver un petit enfant qui allait tomber, mais je connais une femme qui a renoncé à se donner la mort, après le départ de son mari, parce qu’une poinçonneuse de métro lui avait dit : «  Oh, madame, comme vous avez une jolie robe ! »…

(Le « gong » m’a arrêté dans mon élan. L’année 2019 allait commencer…)