Juges et avocats semblent souvent surpris d’apprendre que la Déclaration des Droits ait fait l’objet, à ses touts débuts, de sérieuses objections. Les réserves ne venaient pas de la part de gens qui étaient hostiles à l’énoncé des « droits ». Tout au contraire, l’on redoutait qu’une Déclaration des Droits n’induise le peuple américain en erreur quant au véritable fondement de leurs droits.
Ainsi entend-on si souvent évoquer « la liberté d’expression dont nous bénéficions en vertu du premier amendement » – comme si en l’absence de cet amendement nous ne bénéficierions pas de cette liberté. Ou, comme les sceptiques en 1790 le demandaient, pourquoi, dans un pays libre, nous ne disposerions pas de la liberté de parole, ou de réunion, ou même de nous promener dans la rue ?
La crainte parmi des hommes tels que Alexander Hamilton et James Wilson était que les gens en viendraient à penser qu’ils n’ont de droits que parce qu’ils sont inscrits dans la loi ou dans ce qu’il est convenu d’appeler le droit positif. Wilson disait que l’objet de la Constitution n’était pas d’inventer de nouveaux droits, mais de garantir et d’étendre les droits que nous possédons déjà par nature. Il était dangereux d’enseigner que nous ne disposions seulement que des droits prévus par le droit positif, et que les droits inscrits dans la Constitution étaient plus importants que ceux qui n’y étaient pas prescrits.
Je reviens sur ces points aujourd’hui parce que l’on vient d’entendre de curieuses leçons de droit de la part d’une femme par ailleurs tout à fait bien-pensante et attirante, Michelle Bachmann (ndt : représentante républicaine de l’Etat du Minnesota, championne du mouvement conservateur dit du Tea Party, cette juriste prône le « conservatisme constitutionnel », et notamment les droits des Etats. Elle a annoncé officiellement le 27 juin sa candidature à l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle, depuis sa ville natale de Waterloo, Iowa). Celle-ci est la plus sincère militante pro-vie et profondément engagée dans la défense du mariage et de la famille. Or lorsqu’elle a dû se prononcer dans un débat sur la légalisation du mariage entre deux personnes de même sexe à New York, elle a reconnu que l’Etat de New York avait toute autorité pour en décider en vertu du dixième amendement.
Elle est allée plus loin en disant que, si elle devenait présidente des Etats-Unis, ce ne serait pas son affaire ni un sujet sur lequel elle se permettrait de faire des commentaires. Le dixième amendement stipule que : « les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux Etats-Unis par la Constitution ni interdits par celle-ci aux Etats, sont réservés aux Etats respectivement, ou au peuple. »
N’y avait-il donc pas de fédéralisme ni d’autorité législative dévolue aux Etats avant que le dixième amendement ne soit ratifié en 1790 ? Le Congrès continental a offert aux diverses colonies des orientations pour la rédaction de leurs constitutions et leur érection en Etats fédérés. Mais l’existence des Etats, dotés de pouvoirs législatifs, est inscrite dans la structure même de la Constitution. Rien dans le dixième amendement n’a ajouté aux sujets qui relevaient directement des Etats, hors de toute interférence de la part de l’administration fédérale.
La question posée à Michelle Bachmann n’était pas de savoir si l’Etat de New York avait l’autorité pour légiférer en matière de mariage. La question était de savoir si l’Etat de New York avait franchi un pas décisif vers la dissolution d’une institution qui a fait partie du système des lois depuis qu’il y a des lois. La loi new-yorkaise menace l’institution même du mariage avec toutes les conséquences destructrices qui s’ensuivent.
Pourquoi un président ne pourrait-il pas s’exprimer sur un sujet dont les conséquences morales sont si graves et dont les effets se font sentir à travers tout le pays ? Si l’Etat de New York instituait une politique de l’enfant unique, avec avortement obligatoire, un président n’aurait-il pas de raison de prendre la parole ? Michelle Bachmann a laissé une lecture infirme de la Constitution l’écarter de questions constitutionnelles et morales plus profondes.
Plus récemment, Michelle Bachmann a réagi en réponse au président Obama qui avait indiqué que son administration ne soutiendrait pas le projet de loi sur la défense du mariage (DOMA) parce que celui-ci était inconstitutionnel. Le projet tendait à donner, dans une loi fédérale, la définition du « mariage » comme exclusivement l’union légale d’un homme et d’une femme.
Obama estimait que cette disposition était discriminatoire et injuste tout comme les lois qui avaient dans le passé interdit le mariage entre deux personnes de race différente. Michelle Bachmann a exprimé son désaccord. Mais pas sur le fond de l’argument d’Obama. Simplement elle accusait le président d’interférer avec la justice en se prononçant par avance sur la constitutionalité d’une loi.
Sans le vouloir, Bachmann semblait ainsi approuver la thèse de la suprématie du pouvoir Judiciaire. Or le président de la Cour suprême Marshall, dans le fameux arrêt Marbury contre Madison, n’a jamais dit que les Cours étaient seules autorisées à juger de la constitutionnalité des lois.
Confrontés à un cas particulier ou à une loi, les juges doivent évidemment se prononcer sur la conformité de la loi simple à la loi fondamentale qu’est la Constitution. Mais Marshall ne revendiquait pas en l’occurrence un pouvoir qui ne soit pas partagé par les membres du Congrès ou le président.
Si le Congrès votait un projet de loi rendant le service militaire obligatoire pour une minorité raciale en particulier, le président ne pourrait pas se limiter à se prononcer sur « l’efficacité » d’une telle mesure. Il serait contraint de considérer sa compatibilité avec la loi fondamentale de la Constitution.
Je crains que Michelle Bachmann, qui est si distinguée et si allante, ne veuille canaliser les passions à l’œuvre dans ce pays ; et se faisant la porte-parole d’une image d’Epinal de la Constitution, ne s’éloigne de plus en plus de la portée morale des questions qui l’assaillent.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-appeals-and-distractions-of-michelle-bachmann.html
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