HELLO SÉNATEUR, COMMENT VA VOTRE CANCER ? - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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HELLO SÉNATEUR, COMMENT VA VOTRE CANCER ?

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Marcel Pagnol est donc mort, nous disent les journaux, « d’une longue et douloureuse maladie ». C’est ainsi qu’en français cela se nomme1. Au même moment, à Washington, le sénateur Humphrey donnait une conférence de presse. « J’ai un cancer, disait-il, et je viens de suivre un traitement aux rayons. C’est très pénible. D’après mes médecins, j’ai 70 ou 80 chances sur 100 de m’en tirer si le traitement réussit. » Après quoi, Humphrey est passé aux choses sérieuses, c’est- à-dire, puisqu’il est sénateur et payé- pour s’occuper de politique, à la politique. « Hello, Sénateur, lui demanderont les journalistes à sa prochaine conférence de presse, comment va votre cancer ? » Il répondra avec exactitude (car ses médecins l’auront tenu très exactement au courant), les journalistes prendront des notes et publieront le lendemain toutes précisions pouvant intéresser les électeurs du sénateur Humphrey sur l’évolution de son cancer.

Vaut-il mieux, même après, s’en tenir à la « longue et douloureuse maladie », chacun en pensera ce qu’il voudra. Marcel Pagnol, pour sa part, comme Georges Pompidou, a montré le vieux courage paysan. Il a passé la fin de sa vie, non à ruminer son mal, mais à étudier les mathématiques : il avait découvert la fascination des nombres premiers, comme Fermat, « et même si je ne trouve rien, disait-il, c’est passionnant ». Est-il plus beau témoignage de foi en l’immortalité ? Ainsi Bossuet déclinant apprenait-il l’hébreu.

Revenons au cancer, dont je n’ai jamais eu l’occasion de parler dans ces chroniques2. Tandis que les hommes, même illustres, en meurent, la machine de la science progresse patiemment. Voici deux importants résultats parmi les plus récents.

La crise de l’énergie, on le sait, va provoquer un essor accéléré des centrales nucléaires3. Eh bien, il va falloir prendre garde aux résidus ionisants. Le docteur R. H. Mole, directeur du Medical Research Council of Radiobiology, à Harwell, vient de donner les résultats, définitivement probants, d’une enquête d’énormes dimensions menée par les chercheurs britanniques. Cette enquête, dite « enquête d’Oxford », a consisté à suivre pendant vingt ans la santé de quinze millions d’enfants.

Les rayons X en accusation

Entre autres paramètres étudiés, il y avait l’examen prénatal de la mère aux rayons X. A peu près 10% des mères avaient subi un tel examen : on a trouvé une corrélation irrécusable entre cet examen et l’apparition, chez les enfants, de toutes les sortes de cancers, et particulièrement de leucémie. Toutes les précautions statistiques et méthodologiques aboutissent à souligner ce fait, constaté chez les vrais et faux jumeaux comme chez les autres enfants : quand la mère est examinée aux rayons X, le risque (normal) d’apparition du cancer chez l’enfant augmente.

Les chiffres montrent qu’il n’y a pas de dose minimale, ce qui avait été avancé, mais non véritablement prouvé. Le risque s’accroît dès qu’il y a exposition aux rayons X, aussi faible soit-elle4. Le docteur Mole a souligné l’absolue ressemblance de résultats de l’enquête d’Oxford avec ceux que les biologistes japonais et américains observent sur les enfants nés de mères ayant été exposées aux rayons à Hiroshima et à Nagasaki.

L’enseignement utile de tous ces résultats est clair : selon les propres termes du docteur Mole, « il n’existe aucune dose de rayons X, si faible soit-elle, qui ne présente un danger ». Celui-ci est d’autant plus fort que l’exposition est plus longue. Donc, il faut en toute occasion préférer la radiographie à la radioscopie.

Et cependant, les rayons ionisants, indiscutablement cancérigènes, ne sont pas la cause première de la maladie. Le mécanisme de son apparition commence à se laisser entrevoir après les expériences de Sol Spiegelman, de l’Université Columbia. La cause première est sûrement un virus, ou plutôt des virus, de nombreux virus ayant la terrible capacité de dérégler à sa source même la machine vivante cellulaire.

L’origine virale du cancer est avancée depuis bien longtemps. La difficulté pour la prouver résidait surtout jusqu’ici dans la clandestinité des virus supposés cancérigènes. Certains n’ont été aperçus que sur une photographie unique (parmi des dizaines de milliers).

Devant cette décourageante difficulté, Spiegelman a eu l’idée de chercher à mettre en évidence, non l’invisible virus lui-même, mais ses traces.

Le cancer est la reproduction désordonnée de cellules. Or cette reproduction obéit à une machinerie biochimique commandée par les molécules d’ADN et d’ARN. C’est donc du côté de ces molécules que la trace de l’action du virus doit être cherchée.

Spiegelman a montré qu’en effet le virus injecte son ARN dans le cytoplasme de la cellule, qu’alors apparaît dans ce cytoplasme un ADN mimétique capable d’intervenir dans la cellule comme l’ADN authentique, mais en n’obéissant plus aux mécanismes régulateurs normaux de celui-ci5.

Que ce schéma simplifié ne trompe d’ailleurs pas le lecteur : de ce que nous disent les biochimistes, je ne comprends moi-même que les abstractions, et ce sont ces abstractions que j’essaie de communiquer par analogie. Nous sommes donc bien loin de la réalité concrète.

Le mal s’avance masqué

Le cancer résulte d’un déguisement, voilà, je crois, le plus que puisse saisir le profane. Ce déguisement intervient au cœur le plus lointain de la machine vivante, exactement à la limite du vivant et du chimique6. Peut-être les schémas explorés par Spiegelman et d’autres sont-ils les derniers, comme les ultimes ressorts d’une serrure prête à céder sous la pince-monseigneur. Mais ce n’est pas sûr.

N’oublions pas que, contrairement à ce qu’écrivait Monod il y a quatre-ans, le caractère essentiel de la vie, qui est sa finalité, résiste toujours à l’explication chimique. Et il y a dans ces virus si diaboliquement habiles à se déguiser un je ne sais quoi de forcené à survivre qui effraie la raison. Il faut admirer le sang-froid et l’obstination des savants qui l’affrontent.

Aimé MICHEL

Chronique n° 184 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1429 – 3 mai 1974


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 10 mars 2014

  1. Aimé Michel l’appelait la L. D. M. et il en est mort.
  2. Il semble avoir oublié que moins de trois ans auparavant il avait consacré à cette maladie sa chronique n° 62, Cancer et société – La généralisation du cancer serait-elle le fruit des mutations de la société moderne ? (mise en ligne le 17.01.2011)
  3. Ce en quoi il se trompait. La crise de l’énergie ne s’est pas vraiment produite : en payant plus cher le pétrole on a rendu économiquement exploitable des gisements qui ne l’étaient pas auparavant parce qu’ils étaient trop profonds, sous la mer ou dans des régions difficilement accessibles. Cela a été rendu possible par de grands progrès tant dans la connaissance scientifique de la géologie de la planète que dans celles des techniques de forage et d’extraction. Aujourd’hui on sait extraire les hydrocarbures non seulement des zones poreuses où ils se sont accumulés (hydrocarbures dits conventionnels) mais également des roches-mères où ils se sont initialement formés (hydrocarbures non conventionnels) à 80° (pétrole) ou à 100 °C (gaz, tels les gaz de schiste). Dans ce dernier cas, les hydrocarbures doivent être libérés en rendant la roche poreuse par fracturation hydraulique (injection d’eau sous pression additionnée de produits chimiques). Tant et si bien que la notion de réserves pétrolières est devenue une notion fort imprécise car elle dépend d’un progrès technique qui recule constamment les bornes du possible. Ainsi, même dans un pays traditionnellement producteur de pétrole comme l’Iran, mais dont la mise sous embargo de la production a mis en arrêt les prospections, il est concevable que l’on découvre de nouveaux gisements à l’avenir grâce aux connaissances actuelles qui permettent de lire à livre ouvert dans les couches géologiques. Dans ces conditions il est bien difficile de dire comment le « mix énergétique » va évoluer à l’avenir entre le charybde de la pénurie d’énergie et le scylla du changement climatique. Aimé Michel était d’ailleurs bien conscient de l’extrême difficulté des prévisions (voir par exemple sa chronique n° 203, Impossible futurologie – Apprenons à maîtriser l’imprévu quand il se produit car le prévoir est chimérique, mise en ligne le 23.09.2013).
  4. Cette constatation a conduit à la disparition de la radioscopie et à la suppression des radiographies systématiques pour la détection de la tuberculose, le risque dû aux rayons X devenant supérieur au risque de contracter la maladie !

    La même constatation a été faite pour les cigarettes lorsqu’on a commencé à s’interroger sur la spectaculaire augmentation de la fréquence des cancers du poumon de 1930 à 1950. A partir de 1950 les cancérologues commencèrent à suspecter les gaz d’échappement des automobiles et le bitume des routes avant de se rendre à l’évidence : le responsable principal était bien la consommation de tabac. De multiples enquêtes concordantes prouvèrent que le risque de cancer était proportionnel au nombre de cigarettes fumées par jour et à la période de temps pendant laquelle on a fumé. Comme pour les rayons X, l’augmentation du risque ne présente aucun seuil : fumer une ou deux cigarettes par jour est déjà dangereux. Il a fallu longtemps pour que les politiques de santé publique en tiennent compte…

  5. De grands progrès ont été faits sur les cancers provoqués par des virus appelés virus oncogènes. On en connait trois types principaux : les virus Papilloma qui provoquent des cancers génitaux (utérus surtout, mais aussi vulve, pénis, anus) ; le virus de l’hépatite B qui provoque un cancer du foie et le virus d’Epstein-Barr qui provoque le cancer du rhinopharynx et un cancer de la face chez les enfants dans le centre de l’Afrique (lymphome de Burkitt). Ces virus n’ont pas de gènes (dits oncogènes) codant des polypeptides (une molécule formé d’un enchaînement d’acides aminés) capables de rendre cancéreuse la cellule-hôte. Ils agissent donc en s’intégrant dans des zones particulières de l’ADN des cellules-hôtes. Cette insertion altère le fonctionnement normal des cellules atteintes et déclenche leur transformation (voir note suivante). Mais ces virus ne suffisent pas à expliquer à eux seuls le déclenchement de la maladie : d’autres facteurs environnementaux et génétiques interviennent.
  6. On sait aujourd’hui que le cancer résulte de la descendance d’une seule cellule qui s’est transformée en cellule cancéreuse. On sait depuis les années 1980 que cette transformation n’est pas instantanée mais le résultat d’une demi-douzaine ou d’une dizaine de lésions indépendantes du génome dues à des erreurs de copie de l’ADN, à l’intégration d’un ADN de virus (voir note précédente) ou à des agents cancérogènes chimiques (tabac, amiante, etc.) ou physiques (rayons UV solaires, radiations ionisantes). L’accumulation de ces lésions fait que la cellule ne reçoit plus correctement les messages venus de l’extérieur. Au stade précancéreux (par exemple polype de l’intestin) elle se divise sans nécessité. Au stade cancéreux son autonomie s’accroît encore car elle devient capable de migrer dans l’organisme (métastases). Les tumeurs locales sont beaucoup plus faciles à traiter que les métastases. Une tumeur ne devient détectable qu’à partir de 1 gramme, soit un milliard de cellules. Pour passer de la cellule initiale à cette tumeur de 1 gramme il faut que chaque cellule se divise une trentaine de fois. Comme chaque division prend entre une semaine et un an, cette phase « silencieuse » dure en moyenne de cinq à dix ans, avec de grandes variations selon les tissus.

    Une question fort intéressante est le rôle des facteurs environnementaux, des produits chimiques en particulier, dans l’apparition des cancers. La chimie moderne a produit des milliers de molécules nouvelles que l’industrie a dispersé dans l’environnement. Cette dissémination a-t-elle produit une augmentation du nombre des cancers ? Les enquêtes menées depuis 1950 ont montré que, certes, certains cancers ont augmenté (cancers du sein et de la prostate) mais d’autres sont restés constants (cancer du poumon des non-fumeurs) ou ont diminué (cancers de l’estomac ou de l’utérus). Au total, la fréquence des cancers est restée la même alors qu’on aurait pu s’attendre à une augmentation des cancers dans les organes les plus exposés aux pollutions, l’estomac (boissons et aliments) et les poumons (air pollué). Selon l’éminent cardiologue Maurice Tubiana il n’existerait donc pas de preuves d’un impact global des nouveaux produits chimiques sur les cancers (voir son article « Cancer » dans l’Encyclopaedia Universalis). Ce résultat, somme toute positif, mérite d’autant plus l’attention qu’il va à l’encontre de certaines idées reçues.