Harkis et devoir de mémoire - France Catholique
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Harkis et devoir de mémoire

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par K. D. BOUNEB*

Dr en Anthropologie Médicale

Psychanalyste

Enseignant à l’Université.

I. L’ identité harkie

Certaines familles de harkis ont des liens très étroits avec l’armée (parents et grands parents ont combattu pendant les grandes guerres au côté de la France). Pour eux, la valorisation de l’identité est liée à la symbolique militaire, aux célébrations : 39-45, Indochine etc. Les harkis ne sont-ils pas les dignes héritiers de la glorieuse armée d’Afrique dont le film « Indigènes » raconte et valorise l’histoire ? Pourtant lors de la promotion de ce film, à aucun moment le mot « harkis » n’a été prononcé !

Des membres de ma famille ont participé à la libération de la France. Ils sont passés à Monte Cassino pour arriver en Allemagne comme ont pu le faire les premiers dirigeants du Front de Libération Nationale (FLN).

La divergence sur l’évolution politique de l’Algérie s’est produite par la suite : soit un partenariat avec la France pour les uns (ils voulaient obtenir une indépendance par les voies légales), soit une brutale séparation pour les autres (ils optaient pour la violence).

Les harkis n’étaient pas spécialement hostiles à l’idée d’indépendance de l’Algérie, mais ils souhaitaient surtout une évolution leur donnant plus de droits politiques en étroite relation avec la France. Ils refusaient aussi les excès du terrorisme de la part du FLN, les égorgements sur leurs propres familles, les châtiments, les interdictions de toutes sortes qui étaient inacceptables ! Après l’indépendance de l’Algérie, le gouvernement français de l’époque a trahi la confiance des harkis en les laissant sans défense face à la vengeance du FLN. Les harkis sont blessés par leur destin historique. Ils ont été loyaux envers la France et ils ne comprennent pas le traitement qui leur a été infligé. Parmi ceux qui ont eu la chance d’être rapatriés, ils n’ont pas eu la moindre considération, pire, ils ont eu le mépris et la relégation dans les camps.

La mémoire des harkis est souvent tue, cachée alors que les jeunes recherchent une mémoire des origines, une histoire la plus proche possible de ce qui s’est passé à l’époque et non pas une histoire idéologique détachée de son contexte historique et humain. Les jeunes ont besoin de cette mémoire pour construire leur identité.

Pour les harkis et leurs enfants, il n’y a pas que la revendication sur des thèmes matériels, il y a aussi le désir de connaître leur histoire tout simplement, une recherche de qui ils sont. Tout le monde n’a pas connu les camps : c’est un élément important de la mémoire et de l’identité du groupe.

Il y a une valorisation de la mémoire et de l’identité chez les immigrés algériens fiers d’avoir obtenu leur indépendance, pas chez les harkis. De plus les déclarations insultantes envers les harkis, d’où qu’elles viennent, sont vécues comme persécutantes et blessantes (comme par exemple les dernières déclarations de G. FRECHE qualifiant les harkis de « sous-hommes », du président algérien A. BOUTEFLICA traitant les harkis de « collabo. » ou la pièce de théâtre le « Nom du Père » où les harkis sont présentés comme des traîtres de père en fils). Toutes ces insultes provoquent très peu d’émoi dans l’opinion publique française. Pour quelle raison peut-on traiter de la sorte les harkis ? et cela en toute impunité, contrairement à d’autres communautés qui sont plus respectées !

Un important travail pédagogique à faire du côté des enseignants serait très souhaitable pour évoquer cette période de l’histoire avec toute la neutralité et l’objectivité qui doit être de rigueur dans ce domaine. Les responsables pédagogiques pourraient par exemple inviter des harkis dans les milieux scolaires et universitaires pour raconter leur expérience vécue de la guerre et de leur installation en France. Cette démarche serait bénéfique non seulement pour les descendants des harkis, mais également pour les jeunes français de « souche » et pour les autres jeunes issus d’une immigration récente. Cet éclairage va permettre aux descendants des harkis d’intégrer une nouvelle identité plus sereine, débarrassée de clichés négatifs et d’une histoire falsifiée.

II. Le devoir de mémoire

Le devoir de mémoire est le devoir qu’aurait un Etat d’entretenir le souvenir des souffrances subies par certaines catégories de sa population. Il s’oppose au devoir d’amnistie ou d’oubli. Le devoir de mémoire consiste à reconnaître la qualification de victimes à des populations, pour des raisons historiques, et surtout pour que les sociétés n’en engendrent pas d’autres. Il faut parler des génocides pour éviter qu’ils ne se reproduisent. Malheureusement, malgré la connaissance des faits, les génocides et les actes de barbarie se répètent (Cambodge, Rwanda, Bosnie…)

La mémoire ne peut pas être imposée par la loi, c’est à chaque citoyen de se construire une mémoire basée sur la connaissance des événements en se référant à des sources variées. Au devoir de mémoire, il faut ajouter un devoir d’histoire. Il est absolument nécessaire de faire la différence entre l’histoire et la mémoire.

L’histoire : elle étudie tous les aspects de la réalité, elle décrit et explique le passé, elle est indispensable pour le comprendre, elle ne juge pas, elle est objective. L’histoire est aussi évolutive : elle tient compte des nouvelles découvertes et conceptions pour modifier l’approche antérieure.

La vision des victimes est souvent subjective et personnelle alors que le travail de l’historien se veut objectif et vise à dégager une vérité commune. L’histoire n’est pas la mémoire.

La mémoire : elle à la fois individuelle et collective. Elle simplifie la réalité, elle est parfois subjective et sélective. Elle peut soit négliger, soit amplifier les détails et les contradictions de la réalité.

Elle aboutit à des commémorations, à des journées du souvenir qui sont importantes pour la vie d’une communauté. La mémoire contient un jugement collectif sur les faits, elle est aussi indispensable pour construire le présent.

En France le devoir de mémoire a été invoqué pour demander à la nation de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la persécutions des juifs pendant la seconde guerre mondiale, et c’est ainsi qu’en 1993 le président Mitterrand a instauré une journée nationale de commémoration. En janvier 2001, on reconnaît le génocide des arméniens. La loi TAUBIRA de 2001 reconnaît l’esclavage comme crime contre l’humanité.

La décision de J. CHIRAC d’organiser une journée d’hommage national aux harkis, le 25 septembre 2001, ainsi que la nomination hautement symbolique de l’ancien militaire H. MEKACHERA au poste de Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, peuvent être comprises comme une volonté de réparer les injustices du passé vis-à-vis des harkis. Mais cette journée a peu d’impact sur les média et elle est souvent masquée par d’autres événements. On peut aussi se demander pourquoi ?

Il est légitime de se poser la question suivante : la loi doit elle imposer une seule vision de l’histoire et définir le cadre de recherche de l’historien ?

Le devoir de mémoire est nécessaire pour permettre dans un premier temps à un groupe qui a été persécuté la reconnaissance et la considération de l’Etat et des citoyens, mais l’abus et l’injonction à se souvenir peuvent être néfastes.

Les dérives du devoir de mémoire : le souvenir du « génocide » sans cesse répété risque de devenir une religion avec ses dogmes et ses rituels (commémorations, musées, médailles…). On risque de passer d’une extrême à l’autre : avant les persécutés étaient oubliés voire méprisés, aujourd’hui, ils sont parfois érigés en saints de cette nouvelle religion. Parfois on utilise le malheur passé pour avoir des bénéfices pour les générations présentes et futures, ou aussi pour se dédouaner de ses fautes présentes ou passées. Par exemple à Washington, il y a un musé de l’holocauste, pas un musé de l’esclavage, du génocide des indiens ou de la destruction atomique d’Hiroshima et de Nagasaki.

III. Du devoir de mémoire au travail de mémoire en psychothérapie :

Et si on abordait la problématique des harkis sous l’angle psychologique ?

Chez les grecs anciens, Mnémosyne personnifie la mémoire. Elle s’unit à Zeus et conçoit les Muses. Les Muses président à la pensée sous toutes ses formes. La mémoire est mère de la culture et de la civilisation, pas d’humanité sans mémoire.

Si Mnémosyne personnifie la mémoire, Léthé symbolise l’oubli. Léthé est la fille d’Eris, la discorde, et la mère des Grâces. Les Grâces sont les divinités de la beauté, elles répandent la joie dans le cœur des hommes. Une alliance entre Léthé et Mnémosyne peut aboutir à de la créativité. Il est très important d’honorer la mémoire des morts mais il est tout aussi nécessaire d’honorer la vie.

Dans devoir de mémoire, il y a la notion de dette. Il peut s’agir de la bonne dette ou de la mauvaise dette. Certains héritent de choses positives qui vont les valoriser (parents considérés comme des héros), mais d’autres vont hériter de la culpabilité (parents considérés comme des traîtres ou qui n’ont pas choisi la bonne cause).

Il y aussi le devoir de l’écolier, d’un travail personnel à réaliser et à rendre à son maître qui lui apportera les corrections nécessaires.

Cela ressemble au travail de mémoire en psychothérapie où le patient doit faire un effort pour restituer des souvenirs de son passé. Mais il n’y a pas restitution du passé dans son intégralité. Pour qu’il y ait mémoire, inscription dans le passé, il y a nécessité d’une construction, d’une transformation et donc d’une perte.

Un mémorial, même si on y est favorable pour d’autres raisons, ne ressuscitera personne. Plus qu’un devoir de mémoire, il y a aussi un devoir de vie pour les rescapés harkis. Le travail de mémoire peut être une aide dans le cas de souffrances psychiques comme par exemple pour les rescapés harkis qui ont subi des violences après le cessez-feu du 19 mars 1962 de la part des « marsiens » (selon les sources, il y a eu de 50.000 à 150.000 victimes). Le travail psychothérapique aide les rescapés à se délivrer de leur traumatisme et leur permet de continuer à vivre.

Ce travail psychothérapique s’effectue avec l’aide d’un thérapeute spécialisé. En effet, le travail de mémoire en psychothérapie est un processus mental dont la fonction essentielle est l’oubli c’est-à-dire libérer la personne du poids douloureux du passé. Le travail de mémoire est utilisé comme un processus réparateur sur le plan psychique : réveil du traumatisme puis oubli (thérapeutique) pour arriver enfin au processus d’acceptation et de deuil. Chez le traumatisé la mémoire ne fait pas son travail d’oubli, elle s’est fixée au moment douloureux de son passé. Pour la personne qui a subi l’humiliation et le mal, sa mémoire douloureuse se heurte à l’impérieuse nécessité de s’en délivrer ; le travail de mémoire en psychothérapie s’exprime comme un processus psychique où s’élabore l’aptitude à se souvenir dans un premier temps, puis à oublier dans un deuxième temps. L’objectif est une mise à distance du passé qui est vécu comme au présent par le sujet, pour que ce passé soit vécu comme du passé. Comme dit le proverbe arabe : « li fet met », le passé est mort.

Cette approche est différente du devoir de mémoire qui est un usage social du passé invoqué pour ne pas l’oublier : il est d’ordre sociologique. Le devoir de mémoire participe à la construction identitaire des victimes en tant que groupe. Dans le cas des harkis, le devoir de mémoire est très récent et n’est pas reconnu par une grande partie de la société française. Quant aux réparations matérielles, elles restent pour beaucoup de l’ordre du symbolique ! Si certains développent une culture victimaire, c’est loin d’être le cas pour la grande majorité des harkis !

Conclusion

Contraindre les harkis à se contenter des mesures de droit commun, c’est nier les souffrances vécues par cette population dans des camps et c’est nier aussi la discrimination dont sont victimes les harkis et leurs enfants en terme d’accès à l’emploi, à la formation, au logement. Les conditions tragiques de la fin la guerre d’Algérie et l’accueil misérable réservé en France aux rescapés harkis ont eu des conséquences dramatiques sur le plan de la santé physique et psychologique. Les troubles psychologiques chez les adultes ont eu des répercutions importantes sur les générations suivantes. Le traumatisme à été transmis aux enfants avec des conséquences graves en terme de confiance en soi, de troubles de l’identité et d’intégration sociale souvent difficile.

Toute vie détruite demande justice pour pouvoir se reconstruire : d’où l’importance pour le psychisme de la réparation aussi bien matérielle que morale. Beaucoup de choses restent à faire dans ce domaine pour la communauté des harkis. Par exemple les différentes mesures d’aides matérielles accordées aux harkis avec souvent beaucoup de tapages médiatiques, sont-elles réellement arrivées à destination ? et quels effets positifs ont-elles eu sur les harkis ? Même si le passé est mort, pour la plupart des harkis le passé ne passe pas. Pas seulement pour des raisons matérielles mais aussi pour des raisons psychologiques. Un soutien thérapeutique basé sur le travail de mémoire avec des thérapeutes sensibilisés aux problèmes des harkis, dans des lieux adaptés, serait très utile pour permettre aux individus de se reconstruire et trouver leur place dans la société après leur traumatisme.

Pour sortir de la honte et retrouver sa dignité, la journée d’hommage aux harkis du 25 septembre participe du devoir de mémoire et contribue à redonner une fierté et une reconnaissance vis-à-vis de la communauté française dans son ensemble. Cette journée appartient à tous les harkis. Certains se l’accaparent, d’autres la boycottent, dommage !

Les harkis n’ont jamais collaboré avec un ennemi extérieur, ils ont fait preuve de loyauté et d’honneur envers la France à l’époque de la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, leurs descendants continueront cette tradition en cas de conflit avec quelque pays que ce soit contrairement à ce que pensent certaines personnes ! Ils sont les dignes héritiers de l’armée d’ Afrique.

Tôt ou tard, un projet d’amitié sera signé entre la France et l’Algérie. Les harkis en tant que citoyen français et faisant le lien avec l’Algérie devraient y être associés de plein droit.

Plus qu’un devoir de mémoire, un devoir d’histoire est nécessaire pour permettre à la communauté harkie d’avoir une identité positive plus conforme à la réalité des événements de la guerre d’Algérie débarrassés d’ a priori idéologiques. Une meilleure image des harkis dans les médias et dans les manuels scolaires serait un signe encourageant et permettrait une valorisation des familles de harkis. Un mémorial au Larzac (Aveyron) ou à Rivesaltes (Pyrénées Orientales) par exemple comme lieu symbolique pour la mémoire serait une véritable reconnaissance de la nation. Les harkis feront ainsi partie intégrante de la société française et ne seront plus les éternels oubliés de l’histoire de France.