Haïti : refuser le découragement - France Catholique
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La justice de Dieu
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Haïti : refuser le découragement

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Les gens qui sont originaires d’Haïti ou qui y sont déjà allés vous diront que, malgré le lustre perdu, la perle des Antilles comme on la nommait autrefois, possède encore le soleil, présent à l’année, quand ce n’est pas la saison des ouragans bien sûr. Puis, il y a le rire de ses habitants. Ensuite vient leur générosité et leur soif de vivre, malgré tout, même s’il est toujours difficile de trouver une voie, une issue, au désespoir actuel. D’ailleurs, il y a tous ces gens qui luttent, jour après jour, pour que la fatalité n’ait pas le dernier mot mais qu’un avenir libre, empreint de dignité remporte la bataille. Le bureau canadien de l’organisme international de charité catholique, Aide à l’Église en Détresse (AED), a rencontré deux de ces personnes qui travaillent pour que les Haïtiens deviennent enfin maîtres de leurs vies.

Par Mario Bard, AED

Les solutions pour combattre la misère extrême des Haïtiens sont nombreuses, même si elles sont difficiles à mettre en place. Pour y arriver, plusieurs personnes travaillent d’arrache-pied, sur le terrain, à améliorer le sort du peuple haïtien. C’est entre autres le cas de l’universitaire et auteur Jean-Yves Despinas qui s’est donné comme tâche de faire comprendre aux « masses » les sources même de cette pauvreté. Selon lui, celle-ci est une conséquence directe de « l’exploitation capitaliste » à outrance des ressources haïtiennes, tant humaines que naturelles. Une résultante de l’héritage colonial qui est aujourd’hui reproduit par l’élite du pays qui contraint « la classe paysanne, pauvre et majoritaire, à supporter les lourdes taxations », estime-t-il. Les taxes servent à rembourser les dettes des emprunts que « le pays a contractés envers les pays capitalistes ».

Bref, comme dans d’autres pays en développement et émergents, les dettes empêchent l’investissement social nécessaire à la sortie de crise. En plus, Monsieur Despinas n’est pas tendre envers les élites politiques haïtiennes, qu’il accuse de se « prostituer » aux élites occidentales et au capitalisme ultra libéral qu’elles imposent comme modèle de développement, par le biais de leurs institutions : Fond Monétaire International et Banque Mondiale. Le drame est surtout « d’ordre économique car le développement économique des uns a conduit au sous-développement des autres », indique Monsieur Despinas.
Sa solution? Des rencontres avec la population pour les sensibiliser au pouvoir de changer les choses à partir de leur milieu et pour réfléchir aux mécanismes qui créent la pauvreté. C’est déjà le commencement du changement, estime monsieur Despinas. Est-ce que cette conscientisation changera vraiment quelque chose? L’éducation étant un point essentiel dans la logique du développement humain, un point reconnu autant par les associations de développement civiles que religieuses, on peut espérer que ce travail, petit à petit, porte ses fruits.

« Grand goût » : j’ai faim

Plus loin au sud, sur la pointe de l’île, le frère Laurent Beauregard agit aussi. Le mariste, présent dans le pays depuis 23 ans, est à l’œuvre dans la petite municipalité de Dame-Marie. Religieux à l’espoir tranquille, il est de plus en plus haïtien… s’il ne l’est pas déjà complètement! Nous l’avions rencontré lors de son passage au Congrès eucharistique international de Québec en juin 2008. Quand on lui demande si la situation générale s’est améliorée depuis son arrivée, il répond : « Quand je suis arrivé on disait ‘grand goût’, c’est-à-dire j’ai faim. Puis, après 23 ans, c’est la même formule que j’entends : ‘grand goût’, j’ai faim. » Il y a tout de même un peu d’amélioration au point de vue « extérieur » : des routes « un peu mieux », de l’électricité, et même les communications sont un peu meilleures grâce à ce qu’on appelle le digicell, une amélioration téléphonique. « Mais les gens ont toujours faim ». Un problème chronique qui a pris de l’ampleur avec la crise de la vie chère de cette année et le passage l’un après l’autre de trois ouragans dévastateurs.

Sommes-nous capables de dire pourquoi, après tant d’années à essayer d’améliorer la vie, c’est toujours aussi difficile? Le frère Laurent soupire et la réponse est longue à venir. D’ailleurs, il revient de nouveau sur la crise du moment, celle de l’alimentaire. Comme s’il ne pouvait répondre à notre question, ou encore, n’osait pas… « C’est pas seulement qu’en Haïti qu’on a le problème de la vie chère. Au moins 35 pays dans le monde ont des problèmes de nourriture », indique-t-il. « Ce que je sais aussi, c’est qu’il y a beaucoup de nourriture qui devrait arriver en Haïti mais qui reste entreposée à Miami, dans des entrepôts. » Celle-ci ne peut-être livrée car « ils demandent trop cher aux douanes, ce qui fait que la nourriture pourrit dans les entrepôts ». Le « ils » étant le gouvernement haïtien. Une réalité « qui fait mal », une réalité où la corruption gangrène tout l’appareil gouvernemental et civil. « Ça existe, ça existe… », confirme-t-il.

Des jeunes à l’avenir limité

Il y a quelques années, l’actuelle gouverneure générale du Canada, Mme Michaëlle Jean (alors journaliste), réalisait un reportage sur son pays d’origine. Dans celui-ci, elle interviewait un petit garçon de dix ans. Il pleurait parce qu’il réalisait déjà à quel point, s’il voulait pratiquer le métier dont il rêvait, il n’avait à peu près aucun avenir sur son île. L’exemple d’une situation largement répandue qui reste encore la même aujourd’hui. « Les jeunes sont vraiment très angoissés parce qu’il n’y a pas d’ouverture, il n’y a pas d’avenir », lance le frère Beauregard. « Alors quand les jeunes viennent nous voir et qu’ils nous parlent de leurs problèmes, on ne sait pas quoi répondre parce que c’est un problème qui nous dépasse. On voudrait bien aider mais combien de jeunes sont sans travail », s’exclame le religieux. « On essaie de leur donner un peu d’espoir mais la réalité est là. Ça nous fait mal de nous voir limités dans ce qu’on fait. On est très limité », affirme encore le frère Beauregard. Pourtant, l’espoir est là. Timide, mais bien présent, entre autres dans la foi simple et sans bornes des Haïtiens.

Désespérément, le peuple haïtien cherche à sortir des crises à répétition qui l’assaillent. En d’autres lieux, dans les pays développés par exemple, plus d’un aurait succombé à la tentation de se suicider. En Haïti, la foi remplit un rôle essentiel d’espérance dans une société souvent désespérée. Béquille? Plus d’un le dirait. Sauf qu’ici, il s’agit de gens qui vivent à temps plein la misère et qui puisent, avec vérité, une force essentielle de survie dans la foi en un Dieu qui peut tout, malgré tout, même avec les limites et le désespoir qui habitent le cœur des plus croyants. Le père Beauregard confirme : « … quelqu’un qui croit en Dieu, c’est sûr qu’il est capable de vivre d’une façon peut-être plus profonde que quelqu’un qui ne croit pas », indique-t-il. « Ne fût-ce qu’au point de vue des difficultés et des souffrances, il est capable de mettre ça (cette souffrance extrême), dans les mains du Seigneur. » Le père Laurent croit que c’est un « gros facteur » qui les tient en vie, malgré tout. « C’est une réponse à la situation actuelle. Parce qu’humainement parlant, on ne sait pas où l’on s’en va », constate-t-il. « Alors je crois qu’avec la foi, on est capable d’avancer, c’est le Seigneur qui mène nos vies, alors on met nos espoirs en lui. »

Des forces

La foi dont parle le missionnaire ne se nourrit pas toute seule, attendant un miracle. Il y a les groupes de soutien aux jeunes qui sont mis sur pied et qui utilisent les méthodes de l’action catholique : voir, juger, agir. Il y a aussi les groupes d’entraide mis sur pied par les missionnaires. Puis des jeunes qui sont aussi intéressés et interpellés par la vocation religieuse. « Il y a beaucoup de jeunes », affirme le père Laurent. « Mais nous ne sommes pas assez nombreux pour les encadrer. Il suffirait de donner un coup de pouce pour avancer », indique-t-il, sans par ailleurs préciser d’où il peut venir. Appel aux peuples du nord? La question est lancée…

Par contre, pour assurer pleinement le service herculéen et la présence courageuse et aimante auprès du peuple haïtien, l’eucharistie est là, sacrement qui donne pleinement sa mesure dans le don de soi. Un sacrement que le père Laurent considère comme un geste universel. « Oui, j’en ai pris conscience avec Maurice Zundel qui a écrit un livre sur l’Eucharistie. Ça m’a ouvert depuis longtemps : l’eucharistie, c’est pour le monde », affirme-t-il. « Je ne vais pas communier pour moi, je vais communier pour les autres, pour l’Église, pour ce corps mystique. Ce qui fait que dans la journée, c’est cette communion, cette unité, qui fait qu’avec les gens, je me sens vraiment à l’aise, en communion, en unité. Parce que la communion débouche sur le concret de la vie. »
Il veut aussi connaître, savoir comment le reste du monde vit ce sacrement central. Ainsi, il nous confie qu’il « aimerait rencontrer beaucoup de jeunes, des personnes âgées aussi, pour voir comment, qu’est-ce que l’eucharistie donne. »


Missionnaire de l’Évangile

Lors des grandes catastrophes humanitaires et des conflits armés, les organisations non gouvernementales mettent habituellement des conditions à leur présence. Si la situation devient trop préoccupante pour leurs personnels, elles le retirent tout simplement. Le simple bon sens commande que les humanitaires soient de nouveau disponible tout de suite après. C’est la différence entre ces ONG, devenues essentielles au développement, et les missionnaires. Ces derniers restent, contre vents et marées. Un constat que faisait Marc Vachon, le « Bum de l’humanitaire », à l’occasion du lancement de son livre « Rebelle sans frontières » en 2006 (récit sur son expérience de travailleur humanitaire). Il avait alors encensé cette réalité missionnaire.

Le père Laurent fait partie des missionnaires de cette trempe, lui qui a décidé en 1986 d’aller en Haïti pour « aimer ». Une réalité qui le touche visiblement. « Partout, je suis bienvenu, avec soit les riches, soit les pauvres, soient les enfants qui sont autour de moi : ils se sentent aimés. [Je n’ai] jamais un mauvais mot pour eux, ce qui fait que les enfants m’entourent tout le temps. Je ne suis pas capable de sortir de la maison sans qu’il y ait des enfants autour de moi. » Une mission essentielle pour le père Laurent donc : « aimer ». « C’est d’aimer tout le monde, je crois qu’à travers ça il y a un message qui passe, le message évangélique, je demande au Seigneur d’être un instrument pour qu’il passe à travers ce geste là. » Ite missa est, la messe est dite. Sauf qu’avec le Père Laurent, elle ne fait que commencer!