Les secours affluent de partout pour secourir Port-au-Prince. Outre les quelque 60 000 morts aujourd’hui (peut-être le double ou le triple demain), trois millions de personnes, le tiers de la population haïtienne, sont victimes ou sinistrés. Le taux de mortalité devrait rapidement croître. Les annonces pleuvent, de un à cent millions de dollars d’une trentaine de pays qui disposent d’une capacité d’assistance. Avions et navires affluent vers un aéroport et un port dévastés et non dimensionnés pour les accueillir. Qui gère, qui organise, qui contrôle ?
Dans des pays majeurs comme le Japon, la Chine, l’Inde ou la Turquie, voire l’Indonésie, les gouvernements nationaux sont en mesure de faire face eux-mêmes. Rien de tel dans des États plus faibles, a fortiori les États faillis. Haïti est sans doute le plus pauvre d’entre les pauvres, et le moins organisé. Depuis le départ du père Aristide, en février 2004, un semblant d’ordre était timidement revenu grâce à la présence des 8500 hommes de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) sous commandement brésilien et, d’autre part, à la tenue d’élections, présidentielle de février 2006 qui avaient vu le retour au pouvoir de René Préval (président entre 1996 et 2001), législatives et locales. L’immeuble des Nations Unies et le Palais présidentiel historique (ainsi que la cathédrale) ont été les premiers touchés par le séisme, avec les principaux responsables écrasés sous les décombres : le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, un Tunisien, et 36 personnels, l’archevêque et plusieurs membres du gouvernement.
Quelle est l’alternative ? Dans la pratique, pour Haïti, c’est clair : les États-Unis, l’ancien protecteur (de 1916 à 1934), la principale diaspora haïtienne, la principale destination de l’émigration, avec le Canada. Outre l’importance des fonds débloqués (cent millions de dollars immédiatement), c’est surtout l’importance du déploiement militaire qu’il faut retenir : trois mille Marines ou forces aéroportées sont à pied d’oeuvre; ils ont pris le contrôle de l’aéroport et des communications; un porte-avions, le plus grand navire-hôpital, etc. Personne ne peut rivaliser. La France envoie deux bâtiments militaires, mais le Canada en fait autant.
Pour autant, politiquement, Washington ne peut assurer seul le gouvernement de Port-au-Prince. Les Nations Unies devraient assurer la coordination en parallèle. Les Américains continueront d’agir de leur propre chef, ils ont trop de moyens, mais la coordination s’appliquera au reste des pays contributeurs et aux ONG, division du travail de ce qui ne sera pas assuré par les États-Unis. Même ainsi, l’ONU n’est que faiblement équipée pour assurer cette tâche, elle a trop de peine à coordonner entre elles les multiples agences spécialisées sous son couvert pour penser à coordonner les autres. La disproportion sur place entre les forces de maintien de la paix et les équipes civiles pose également une question de principe : militaires et policiers ont-ils les moyens de mener en parallèle la gestion de la sécurité et la distribution de l’aide humanitaire ? Comment combiner une situation de guerre et une opération de protection civile ? Pompiers-pyromanes, les mêmes casques bleus peuvent-ils à la fois user de la force pour disperser les émeutes et fournir vivres et médicaments ? L’ex-secrétaire d’État française aux Victimes, Mme Nicole Guedj, vient de proposer la création de casques rouges, pour distinguer l’intervention humanitaire de l’intervention armée, même sous couvert de maintien de la paix. (1)
L’ONU est encore plus mal équipée pour conduire la reconstruction et le développement. La Banque Mondiale pourrait certes jouer un rôle moteur dans la coordination des projets et des financements, mais elle est également mal armée pour la mise en œuvre effective sur le terrain, hors de correspondants locaux.
Certains pensent qu’il faudrait, dans ces cas extrêmes, redonner vie au Comité des tutelles, moribond depuis les décolonisations. Mais peut-on imaginer charger le Conseil de sécurité, seul organe de décision politique de l’Organisation Mondiale, de la gestion directe même temporaire de quelques États faillis, de plus en plus nombreux ?
La conférence internationale proposée par les présidents Obama et Sarkozy ne devrait pas se contenter d’aligner des montants de contributions annoncées mais se pencher sérieusement sur leur emploi sur le terrain dans un pays qui ne peut à l’évidence absorber de tels flux financiers sans que la fuite ou la perte en ligne soit élevée et sans que l’on trouve des équivalents réels à mettre en face.
(1) Pour des casques rouges à l’ONU, Le Cherche Midi, 2009.