GUERRE FRANCO-TURQUE - France Catholique
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GUERRE FRANCO-TURQUE

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Qui l’emportera du Sarkozy turc ou de l’Erdogan français ? La politique étrangère est à ce point personnalisée dans les deux pays que la détestation mutuelle de leurs deux dirigeants, aux caractères si semblables et si opposés à la fois, emporte les relations diplomatiques, stratégiques, économiques, culturelles, entre les deux Etats, voire entre leurs peuples respectifs. Les dégâts collatéraux ne sont pas moindres, tant dans l’Alliance atlantique et l’Union européenne que dans le Maghreb et le Moyen-Orient.

On a dit de Jacques Chirac que la seule chose sur laquelle il n’ait jamais varié est son tropisme oriental (voir par exemple le pamphlet de Philippe de Villiers : « les Turqueries du grand Mamamouchi », paru en 2005). Son successeur a pris sur ce point l’exact contrepied. Lorsque l’on fera le bilan de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy, l’on s’apercevra aussi que le seul point sur lequel il soit demeuré constant est son hostilité foncière, viscérale, à la Turquie.

Il ne faudrait pas prendre l’effet pour la cause. La pénalisation de la négation du génocide arménien n’est pas la cause du différend franco-turc. C’est la détestation franco-turque qui est cause de la précipitation avec laquelle la proposition de loi a été votée par les deux chambres. On ne nous fera pas croire à la manœuvre électoraliste de dernière minute. Plus sérieux est l’engagement pris solennellement à Erevan le 7 Octobre 2011 lors de la visite du président français en Arménie. La portée de la loi est à portée internationale plutôt qu’intérieure. Mais elle n’a pas été suffisamment explicitée : on aurait aimé qu’elle ait valeur pour tous les chrétiens d’Orient au moment de la vague de démocratisation dans les pays musulmans, qu’elle soit garante de la liberté religieuse. Le geste aurait été fort. Il n’aurait pas stigmatisé les Turcs en particulier.

Le président Sarkozy est spécialement agacé par la présentation positive faite du « modèle turc » valable pour les jeunes démocraties musulmanes. Ne voit-on pas en Tunisie et en Egypte l’armée collaborer avec les majorités parlementaires « islamistes » sur le modèle de l’évolution des dernières années en Turquie ? Quid demain de l’Algérie ? La référence polémique turque – déplacée – à la colonisation française en Algérie 1 revêt en quelque sorte valeur de lapsus : une Algérie « à la turque » offrirait pourtant une porte de sortie raisonnable à la dictature militaire, en tirant les leçons de l’échec de 1990 avec le FIS et de la guerre atroce qui s’ensuivit. Cette solution n’est certainement pas pour agréer à Nicolas Sarkozy. Mais s’il ne peut pas « piffer » Erdogan et son parti démocrate musulman, lui qui semble aussi éloigné que possible de la fibre démocrate chrétienne, comment s’arrangera-t-il avec le nouveau premier ministre marocain, les autorités tunisiennes et le président du Parlement égyptien, tous bons Frères Musulmans et plutôt moins « modernes » que les députés et ministres AKP ? C’est l’impasse assurée en Méditerranée.

Or, même s’il n’y a pas transposition d’un « modèle turc » dans les pays arabes, comment ne pas voir qu’Ankara est devenu le « modérateur » indispensable des crises de la transition, que ce soit en Irak, en Libye ou en Syrie, voire en Iran (sur le nucléaire) et en Afghanistan (ou elle entretient un contingent de près de 2000 hommes au sein de la Coalition) ? C’est ce qui préoccupe à juste titre Alain Juppé qui préfère « tendre la main » à Ankara 2.

La Turquie moderne aura 90 ans cette année. Elle n’aura = que = 90 ans. La décennie qui la sépare du centenaire de la République sera importante pour la commémoration d’une histoire éminemment tragique où les Puissances de l’époque – France, Grande-Bretagne, Italie, Grèce – furent loin d’avoir le beau rôle. La marche du traité de Sèvres (1920) démantelant l’empire ottoman y compris le territoire de la Turquie, au traité de Lausanne (1923) consacrant le fait acquis de l’unicité de la Turquie sous Kemal, est une page décisive d’histoire = européenne =. Les plus fins observateurs estiment que certains Turcs continuent toujours implicitement de penser que ceux qui les rejettent de l’Union européenne sont ceux-là même qui souhaiteraient réimposer le démembrement de la Turquie voulu par le traité de Sèvres (avec une grande Arménie, un Kurdistan indépendant et une Asie mineure grecque). C’est fou vu d’ici mais c’est pourtant la vérité. La présidence chypriote du Conseil européen au second semestre de 2012 n’arrangera pas ce genre de perceptions.

Ce n’est certes pas le projet de M. Sarkozy. Mais qu’est-ce donc qui le fait caracoler ainsi en chevalier blanc sur le Bosphore, quel ressort psychologique l’anime aussi passionnément ? J’ouvre bien volontiers la consultation aux lecteurs, me réservant d’y revenir.

  1. On relèvera que le génocide de 1994 au Rwanda n’est toujours pas légalement qualifié et que sa négation (ou sa relativisation) se trouve de fait exclue de la nouvelle loi pénale.
  2. Point de vue défendu par le pape Benoît XVI et où s’est notamment illustré l’un des plus probables papabili, l’ex-patriarche de Venise, aujourd’hui archevêque de Milan, le cardinal Scola.