Graham Greene et les contraintes pour la vie d'un catholique - France Catholique
Edit Template
Marie dans le plan de Dieu
Edit Template

Graham Greene et les contraintes pour la vie d’un catholique

Copier le lien

Dans mon ouvrage « First Things » [« Tout d’abord »] j’insistais sur un passage du scénario écrit par Graham Greene pour « Le troisième homme », film angoissant en Noir et Blanc sur fond de ruines à Vienne à la fin de la seconde guerre mondiale. Un Américain, Harry Lime, se livrait au trafic de pénicilline contrefaite. La police militaire le recherchait. Son ami Rollo Martins avait été sollicité pour aider la police.

Martins donne rendez-vous à Harry dans un parc d’attractions, et les voici seuls dans une nacelle de la grande roue. Alors qu’elle atteint le sommet, Martins demande : « Avez-vous jamais mis les pieds dans un hôpital pour enfants ? Avez-vous vu une seule de vos victimes ? »

« Regardez en bas [répond Limes]. Éprouveriez-vous la moindre pitié si l’un de ces points s’immobilisait — à jamais. Si je disais : je vous offre 20 000 Livres pour chacun de ces points s’immobilisant, est-ce que, vraiment… vous me diriez de garder mon argent… ? Ou bien calculeriez-vous combien de points vous vous permettriez d’épargner ?»

Cette citation a été insérée comme un argument dans la trame d’un chapitre consacré à l’avortement : à la distance du haut de la grande roue au sol on pourrait substituer le laps de temps séparant le « point » embryonnaire du rejeton venant au monde. Et de même qu’en fin de cycle la nacelle revient près du sol et un « point » se révèle être un enfant, ce « point » embryonnaire sera très certainement la créature que nous verrons apparaître : un enfant.

C’est le dernier livre de Robert Royal, immense, époustouflant, magistral, qui fait venir à l’esprit l’évocation de Graham Greene : « A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century » [« Une vue approfondie : la tradition intellectuelle catholique au vingtième siècle »]. L’ampleur de l’ouvrage révèle sa vaste culture, mais ce qui peut frapper même ses amis, c’est sa façon de sculpter dans l’espace de fines analyses sur certains philosophes et théologiens.

Ces derniers mis à part, il livre une large part consacrée à « La Renaissance littéraire chez les catholiques ». Il traite alors, d’un œil bien aiguisé, retenant les citations appropriées chez Newman, Chesterton, et Belloc. Greene y trouve sa place. En un remarquable condensé, Royal traite de l’ensemble de l’œuvre de Greene, captant les traits les plus remarquables de Greene écrivain et Greene catholique.

Greene s’était converti [au catholicisme] et suivait la ligne tracée par Michael Novak selon qui c’était une Église « de pécheurs, par des pécheurs, pour les pécheurs ». Il s’était converti dans son désir d’épouser une catholique, mais il avait alors deux maîtresses à la fois, délaissant son épouse sans divorcer, puis ayant une longue liaison avec une autre femme catholique.

Bref, sa relation avec l’Église était chaotique. Et à la fin son engagement politique dérapait avec son espoir d’une alliance de l’Église avec les communistes. Sa hargne croissante contre l’Église se traduisit alors par des écrits de plus en plus hérétiques. Ce qui devint, comme l’écrit Royal : « Une introspection troublante en une sorte d’obsession et de confusion, même devant la paisible reconnaissance de la vérité qui accompagne souvent le péché. »

Les mortelles tentations au cours de son existence peuvent se révéler dans un ajout à son scénario, quand Lime quitte son ami à la sortie de la grande roue sur un adieu animé : « En Italie, il y eut en trente ans, sous les Borghese, des guerres, de la terreur, des meurtres, beaucoup de sang a coulé, mais il y eut MichelAnge, Léonard de Vinci, la Renaissance. En Suisse, ils ont connu l’amour fraternel, cinq cents ans de démocratie et la paix. Et qu’ont-ils produit ? Le Coucou. » Art immense, risque immense : immense génie se développant à vive allure au contact du vice.

Pourtant, Greene avait des intuitions qui sont encore en harmonie avec les réactions catholiques envers les hommes se débattant dans un monde déchu. Il sentait intensément que l’existence frénétique qu’il menait était en contradiction avec l’enseignement de l’Église. Mais en même temps il était imprégné au plus profond de son être de la certitude que l’Église détenait la vérité sur les sujets fondamentaux. Ceci explique qu’on ne puisse se défaire de l’angoisse qui imprègne ses romans.

Cette angoisse pénétre de la façon la plus intense celui de ses romans que je préfère « The End of the Affair » [« La fin d’une liaison »]. En Angleterre, pendant la guerre, une femme mariée, Sarah, et son amant sont dans un immeuble soudain touché par un bombardement. Elle ne sait si son amant y survivra. Elle implore Dieu. Elle croira si grâce à Lui « il aura la vie sauve… Accordez lui une chance. Accordez lui son bonheur… Je l’aime, et je ferais n’importe quoi pour que Vous le laissiez vivre… je le quitterai pour toujours, mais qu’il ait la chance de vivre. — après tout — les gens peuvent s’aimer sans se voir, n’est-ce pas. On Vous aime toute la vie sans Vous voir. » À l’instant Maurice, son amant, apparaît à la porte. « Je pensai alors que commençait la souffrance de son absence.»

Deux ans plus tard, elle lui dit dans son journal « Je n’en peux plus de vivre sans toi.» Elle déclare à Dieu : « Je ne vais pas m’inquiéter de Vous davantage… que Vous existiez ou non, que Vous ayez ou non accordé sa chance à Maurice… C’est peut-être maintenant la seconde chance que je demandais pour lui. Je vais le rendre heureux, c’est mon deuxième vœu adressé à Vous, Dieu, et retenez-moi si Vous le pouvez. »

Son amant a lu ces mots après sa mort. Elle avait été incapable d’abandonner son mari qui avait besoin d’elle. Les amants étaient tous deux en révolte contre Dieu, confirmant ainsi l’existence de Dieu. Elle réalise qu’Il ne pourrait être une simple « nuée ». Car elle ne peut dire à cette silhouette sur la croix « je vous déteste, mais peut-on détester une nuée ? » Ce n’est pas une « nuée » qui fut clouée sur la croix — ce n’était pas Dieu qui compliquait leurs existences avec leurs amours si intensément senties par leurs corps, leurs caresses. Ils savaient bien — car Greene en avait connu la souffrance — que la présence d’un tiers, pour eux était celle d’un Dieu ayant un corps aussi réel que les leurs.

https://www.thecatholicthing.org/2016/02/09/graham-greene-and-the-strains-of-a-catholic-life/