Une majorité de « Pro-Vie » se dégage maintenant dans les sondages [Gallup]
Notre collègue Peter Brown a récemment évoqué dans ces colonnes l’inquiétude à propos du renversement de la sentence Roe contre Wade qui demeure bien difficile, sinon impossible: ce jugement Roe a trop marqué les esprits et l’idée reste répandue que, même après la réforme de ce jugement et sa disparition de nos mémoires, accepter l’avortement semblera encore banal.
Mais la réciproque apparaît dans la question. Ce sont les changements dans la législation — induits par l’affaire Roe, qui écartait la protection du petit dans le sein de sa mère, et diluait en même temps les réticences morales à supprimer la vie de l’enfant à naître — qui ont dénaturé la culture. Et donc on a peine à croire que le retour progressif de la législation traditionnelle — l’élimination graduée des effets de la sentence Roe, la généralisation progressive de la protection de l’enfant, le renouveau des scrupules — soit sans effet sur un retour du respect de la vie, longuement imprimé dans nos lois, et jamais, non, jamais effacé de la culture populaire.
Retour en 1989: dans l’affaire Webster contre Reproductive Health Services (Service de la santé prénatale) la Cour Suprême a fait ce qui semble le premier pas vers la restitution de la question de l’avortement au pouvoir législatif des États. Selon le Juge-chef Rehnquist les États étaient invités à assurer la protection de l’enfant à naître, même avant qu’on le sache viable. Ce qui a déclenché une tempête de protestations dans certaines régions, en particulier dans le New Jersey et l’État de New York.
Pour certains c’était l’affolement à l’idée qu’on puisse du jour au lendemain les priver d’un « droit » pour eux plus fondamental dans leur vie que la liberté de religion ou la liberté de parole. Et dans ces régions certains hommes politiques Pro-Vie perdant pied retournèrent leur veste. Et pourtant, comme je l’ai déjà exposé ici, même le Juge Kennedy a pris soin de réunir une majorité de cinq voix pour soutenir la législation pro-vie pas à pas, entrainant à chaque pas l’opinion publique, persuadant de plus en plus les gens que certaines formes d’avortement peuvent être légitimement encadrées. Sans jamais soulever d’émotion dans le pays.
En même temps nous avons assisté à une évolution de l’opinion publique, désormais les sondages montrent qu’une majorité se trouve parmi les pro-vie, et que ce mouvement est particulièrement sensible chez les jeunes. On ne peut négliger les évènements qui ont influencé les esprits, entraînant même un certain recul des jeunes devant l’avortement. N’oublions pas non plus les efforts des élus pour faire avancer publiquement la cause. Rappelons une bonne vieille règle: c’est « tout un art » de saper plus ou moins bien les mauvaises causes jusqu’à la dernière chiquenaude qui les fait s’effondrer.
Entre temps, comme le note notre collègue, bien des gens s’apercevront que des lois gauchistes en faveur de l’avortement sont à leur porte. Mais Donna Fitzpatrick Bethell, qui a de bonnes sources à Washington, remarque qu’une grande différence peut naître dans les esprits, et que les gens seront conscients que leur vie risque de verser dans un environnement sombre, inconvenant, méprisable.
J’éprouve un souci à cause du pessimisme de certains amis, pessimisme dû à la conviction de la suprématie des Juges. On suppose tout d’abord que rien ne sera pratiquement faisable dans le domaine politique tant que la Cour Suprême n’aura pas renversé la sentence Roe. On oublie l’action que peut mener la Cour en collaboration avec les élus et le gouvernement pour prendre des mesures telles qu’ériger des obstacles à l’avortement et encourager la protection de l’enfant.
Bien pire, la myopie qui actuellement affecte tant de gens les incite à adopter une « jurisprudence conservatoire ». L’idée selon laquelle la Cour Suprême ne peut faire mieux que renvoyer la question de l’avortement aux États est bizarrement et fermement ancrée dans les esprits. Mais depuis plus d’un siècle la Cour s’efforce de poser les questions judicieuses quand un gouvernement local prive de la protection des lois des humains, qu’ils soient Chinois, résidents étrangers, ou handicapés.
La Cour a aiguisé sa sagesse collective au cours des années pour détecter les raisons arbitraires éliminant toute une catégorie d’êtres humains du cercle des êtres « nantis de droits ». Ainsi en est-il de ces petits êtres qui ne peuvent — nous le savons bien — qu’être humains, à toutes les étapes de leur vie. Leur statut d’humains ne dépend ni de leur taille, ni de leur poids, ni de leur faculté à s’exprimer. Peut-on leur oter la protection des lois — ou l’appellation de « personnes » — parce qu’ils n’ont pas encore développé leurs membres, ou leur faculté de s’exprimer? D’autres personnes, amputées, ou privées de l’usage de la parole, sont bien sous la protection des lois.
Il y a encore beaucoup à dire, dans une prochaine chronique. Mais retenons qu’il n’y a rien de mystérieux, rien qui ne figure déjà dans l’arsenal dont les juges disposent depuis bien des lustres. Rien dans la Constitution ne fait obstacle; en vérité, les principes mêmes de la Constitution sont à la source des questions fondamentales posées par le problème. C’est essentiellement pour les juges l’occasion de rappeler ce qu’ils ont toujours su, et, en faisant appel à leur imagination, de le remettre sagement au goût du jour.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/judicial-statecraft-and-myopia.html
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Hadley Arkes tient la chaire « Edward Ney » de Jurisprudence à l’Université Amherst. Son dernier ouvrage: Constitutional Illusions & Anchoring Truths: The Touchstone of the Natural Law. (Illusions constitutionnelles et vérités fondamentales: la pierre de touche de la Loi Naturelle).
Pour aller plus loin :
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Le test des battements du cœur pour les Juges
- Avortement : anniversaire de la sentence "Roe": tourner la page ?
- Comment le Conseil de l’Europe impose l’avortement à l’Irlande et à la Pologne
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.